Charlotte Ribeyrol © Pierre Kitmacher

Charlotte Ribeyrol

Professeure en littérature britannique du XIXe siècle et responsable du projet CHROMOTOPE

Comment Ruskin parlait de la peinture, comment il décrivait les grands peintres de son époque, tout cela me fascinait.

Spécialiste de littérature et d’histoire de l’art britannique à Sorbonne Université, Charlotte Ribeyrol a lancé en 2019 le projet CHROMOTOPE. Il explique comment la révolution industrielle du XIXe siècle a inauguré de nouvelles manières de penser la couleur dans la littérature, les arts, ainsi que l’histoire des sciences et des techniques. Ces recherches font actuellement l’objet d’une exposition au musée Ashmolean à Oxford. 

De la couleur, Charlotte Ribeyrol a aussi l’habitude d’en mettre dans ses mots. Une palette que cette chercheuse de 43 ans et professeure en littérature britannique du XIXe siècle à Sorbonne Université met à profit pour dessiner les contours de sa spécialité. Dès son adolescence, la jeune fille aux origines anglaises se passionne pour la culture et l’art d’Outre-Manche. Elle dévore les livres des grands auteurs, s'intéresse aussi à l’Histoire de l’art via le prisme littéraire. En toute logique, c’est vers ces matières-là qu’elle se tourne à l’École normale supérieure puis à l’université. Durant sa première année de master, Charlotte Ribeyrol étudie les liens qui unissent texte et image. La future chercheuse s’entiche notamment des travaux de John Ruskin, un célèbre essayiste et critique d’art britannique, dont elle admire les écrits. « Comment Ruskin parlait de la peinture, comment il décrivait les grands peintres de son époque, tout cela me fascinait, raconte-t-elle. Il avait une manière bien à lui de peindre avec les mots. La finesse de sa plume a inspiré de nombreux autres artistes, comme William Morris, qui a découvert les couleurs de l’art médiéval grâce à ces écrits ». 

Une époque marquée par la révolution des couleurs

Son étude de la relation entre écriture et peinture se poursuit en deuxième année de master, durant laquelle Charlotte Ribeyrol se consacre aux correspondances entre un peintre et un écrivain : celles entre James Abbott McNeill Whistler et Algernon Charles Swinburne. Deux figures partageant leur intérêt commun pour la France. Une manière de croiser les cultures, à laquelle elle se consacre au cours de son doctorat. Son sujet de thèse : l'hellénisme victorien. « Les poètes victoriens se référaient souvent aux couleurs de l’Antiquité grecque. Il faut comprendre qu’au XIXe siècle, l’archéologie naissante mettait au jour des vestiges et des trésors datant de l’époque d’Homère. Cette réalité matérielle invitait à relire de manière nouvelle les poètes du passé ».  

Des découvertes archéologiques qui ont en effet chamboulé l’imaginaire antique. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les statues grecques ont été sculptées d’un blanc immaculé, on découvre au XIXe siècle qu’elles étaient généralement colorées. « Malgré les résistances, cela a suscité chez des artistes un véritable engouement pour la couleur, explique Charlotte Ribeyrol. D’autant qu’à cette époque, de nouveaux pigments et de nouveaux colorants sont créés, donnant lieu à une véritable révolution chromatique, notamment dans l’industrie du textile alors en plein essor, mais aussi dans le domaine artistique. Cette révolution a cependant divisé les artistes. Entre ceux qui se sont enthousiasmés d’un monde plus coloré et moins terne, à l’image du mouvement des Préraphaélites ou des impressionnistes, qui trouvaient que les nouveaux pigments donnaient un éclat supplémentaire à leurs œuvres. Et ceux qui dénonçaient déjà l’impact environnemental de ces progrès, les nouveaux colorants étant créés à partir de charbon ».  

Le projet CHROMOTOPE s’expose à Oxford

Fascinée par toutes ces nouvelles couleurs qui voient le jour à l'ère industrielle, Charlotte Ribeyrol s’investit dans ces recherches en parallèle de son poste de maîtresse de conférence à Paris Sorbonne obtenu en 2009. Quatre ans plus tard, à l’issue d’une collaboration avec des chimistes de l’université Pierre et Marie Curie, elle pose les jalons de ce qui deviendra le projet CHROMOTOPE. Né en 2019, ce programme de recherche, mené en partenariat entre Sorbonne Université, l’université d’Oxford et le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), explore comment le tournant chromatique du XIXe siècle a permis de penser autrement la couleur dans la littérature, l’art, l’histoire des sciences et des techniques.

Cette recherche fait actuellement l’objet d’une exposition au musée Ashmolean à Oxford jusqu’au 18 février 2024. « Dans cette exposition, il s’agit de montrer l’impact artistique qu’ont eu les innovations chromatiques telles que la chromolithographie – l’impression en couleurs – ou l’invention des premiers colorants de synthèse. Nous expliquons également comment les expositions internationales qui ont jalonné cette période ont informé les nouveaux paysages colorés de la modernité », conclut celle qui est responsable du projet. Comme quoi, même depuis la Grande-Bretagne, il est possible de prendre des couleurs.