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Musealia - Gangrène de la main d’un rhumatologue

Tous les mois, Sorbonne Université vous propose de découvrir un objet issu de ses collections patrimoniales. Ce mois-ci, découvrez la gangrène de la main d'un rhumatologue.

Le cycle Musealia est piloté par la Bibliothèque de Sorbonne Université, et notamment par le Pôle Patrimoine et le département Collections de la BSU. Retrouvez toutes ses publications sur SorbonNum, la bibliothèque numérique patrimoniale de Sorbonne Université.

. Musealia - Gangrène de la main d’un rhumatologue

Cette pièce appartenant aux collections Dupuytren est une main gauche présentant une gangrène de radiodermite chronique hyperplasique. Prélevée et préparée au sein de l’hôpital de la Salpêtrière au début des années 1910, cette main témoigne aujourd’hui d’un pan important de l’histoire de la radiographie.

C’est Wilhelm Röntgen (1845-1923), physicien allemand, qui découvre en novembre 1895 un rayonnement inconnu émanant d'un tube de Crooks (ballon de verre, vidé d'air, dans lequel passe un courant d'électrons sous haute tension). Ce rayonnement inconnu provoque alors la luminescence d'un écran de platinocyanure de baryum qui se trouvait à proximité du ballon. Röntgen va s'enfermer dans son laboratoire pendant plusieurs semaines et va réussir à déterminer les caractéristiques essentielles de ce rayonnement1. Il décide de les nommer « X » du nom du terme de l’inconnue en mathématiques, et réalise le premier cliché radiographique le 22 décembre 1895 en intercalant la main de son épouse, Berta Röntgen, entre un tube de Crookes et une plaque photographique.

Le succès est immédiat : les premiers services d’imagerie médicale ouvrent dès la fin du siècle et Wilhelm Röntgen reçoit le prix Nobel de physique en 19012. En France, un premier laboratoire de radiologie est créé à l’hôpital Tenon en 1897 par Antoine Béclère, pionnier de la radiothérapie. Les rayons X suscitent également très vite l’intérêt du public et la radioscopie (observation sans prise de cliché) et la radiographie deviennent des attractions de foire : les badauds viennent se faire radiographier les mains, les pieds ou le sac à main…

Acquérant une renommée internationale, les rayons X conduisent l’industriel Arthur-Honoré Radiguet (dont plusieurs radiographies sont conservées au sein des collections d’anatomie pathologique Dupuytren) à entreprendre la construction de grosses bobines à induction et, dès 1896, à devenir le premier fabricant et distributeur d'équipements à rayons X en France3.

Malheureusement, ses expériences lui coûteront cher. Les premiers manipulateurs opèrent en effet sans protection et sont donc constamment soumis au bombardement des rayons X4. Les mains, qui maintiennent l’écran ou la plaque photographique et ne sont donc pas protégées, sont en première ligne, et les cas de radiodermites (brûlures) et de cancers se multiplient. Radiguet meurt prématurément en 1905, après avoir subi plusieurs amputations5.

Le corps médical prend alors conscience de la nocivité des rayons X, mais il faut encore attendre d’être les années 1920 pour que les risques liés aux rayonnements ionisants soient pris en compte et que naissent la radioprotection et la dosimétrie thérapeutique. Les appareils sont dès lors conçus pour permettre la manipulation à distance, et sont dotés de dispositifs permettant d’estimer la dose délivrée au patient.

Témoin de l’histoire de la radiographie et de l’évolution des sciences médicales, cette main est aussi un exemple de pièce dite « humide », ou en fluide, c’est-à-dire une pièce anatomique conservée dans une solution de conservation. Cette pièce dont la base du bocal en verre est partiellement lacunaire et où les étiquettes sont légèrement altérées est cependant en très bon état de conservation. Le lutage présent est un système de fermeture historique appelé « lutage de Maissiat » (à base de caoutchouc notamment) et la plaque bleue de maintien de la pièce ajoute une esthétique singulière à cette main. Au sein de la réserve dédiée, quelques 3800 autres pièces lui tiennent compagnie.

Par Eloïse Quétel, responsable des collections d'anatomie pathologique Dupuytren, Pôle Patrimoine (BSU)

Fiche technique

  •     Dénomination/Type : « Gangrène de radiodermite chronique hyperplasique d’un rhumatologue »
  •     Numéro d’inventaire :  MD.P.2015.0.2584
  •     Mesures : hauteur 32.5 cm ; profondeur 8.5 cm ; largeur 11 cm ; poids : 3141 gr
  •     Date :  7 mars 1911
  •     Lieu de conservation : Collections d’anatomie pathologique Dupuytren

 

Bibliographie

  1. Röntgen Wilhelm Conrad (1845-1923), Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/wilhelm-conrad-rontgen/
  2. The Nobel Prize in Physics 1901 https://www.nobelprize.org/prizes/physics/1901/summary/
  3. Guy Pallardy et al., Histoire illustrée de la radiologie, Paris, R. Dacosta, 1989, p. 137
  4. Jacques Repussard, Alain Rannou, Radioprotection. risques sanitaires liés aux rayonnements ionisants In BOURDILLON François, BRüCKER Gilles, TABUTEAU Didier, Traité de santé
  5. Charlotte Courtois. Contrôle faisceau et dosimétrie en protonthérapie. Physique Nucléaire Expérimentale [nucl-ex]. Université de Caen, 2011.