Hervé Claustre

Biogéochimiste marin et vulgarisateur acharné

Sensibiliser notre jeunesse au fonctionnement de l’océan est un préalable pour en faire des citoyens éclairés qui comprennent les enjeux et les décisions à prendre pour le protéger.

Bientôt 40 ans qu’Hervé Claustre trempe dans la recherche marine à l’Institut de la Mer de Villefranche (Sorbonne Université-CNRS). Son objet de recherche ? Le phytoplancton. Rencontre avec un chercheur, ingénieur et activiste du savoir.

À l’océan, l’humanité reconnaissante. Telle pourrait être la devise de l’Institut de l’Océan, éclos il y a moins d’un an à l’initiative de l’Alliance Sorbonne Université, dont l’objectif est de fédérer les moyens scientifiques des partenaires de l’Alliance autour de sa thématique éponyme. Hervé Claustre en a vite saisi le potentiel pour ses recherches en robotique marine.

Ingénieur ou chercheur ?

Carcassonne, terre de rugby. C’est là que naît, en 1962, et grandit Hervé Claustre, dans un environnement familial bien loin de la science. Et c’est là qu’il développe une passion pour l’aquariophilie. À tel point que lorsqu’il obtient son Brevet des collèges, ses parents l’emmènent visiter le Musée océanographique de Monaco. « Aujourd’hui, j’échange professionnellement avec certaines personnes du musée. »

Il effectue toute sa scolarité dans sa ville natale avant de partir pour Montpellier, en classe préparatoire aux écoles d’ingénieurs agronomes. Ce sera l’École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles (ENITA), à Dijon. Il se verrait bien se lancer très vite dans l’élevage de poissons d’aquarium ou l’aquaculture alimentaire. Alors quand il cherche un laboratoire de recherche en biologie marine pour son stage de dernière année, des chercheurs l’orientent vers le leur, à l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer. Il y débarque en 1982 pour étudier la composition en lipides du plancton végétal (le phytoplancton) et sa valeur alimentaire pour le plancton animal (le zooplancton). « J’ai apprécié le travail en laboratoire qui m’a appris que le sujet de recherche est important mais pas fondamental. C’est la démarche scientifique, récurrente et itérative, qui est intéressante. » L’important n’est pas le but mais le chemin pour y arriver, dit le proverbe. La transition de l’ingénierie vers la recherche s’opère.

Hervé Claustre s’inscrit en DEA d’océanologie biologique, lui qui pensait entrer rapidement dans la vie active. Pour cela, direction Paris et le campus Pierre et Marie Curie de Sorbonne Université où il apprend la théorie avant de redescendre à Villefranche pour son stage. Puis c’est la thèse, à l’issue de laquelle il part pour un an en post-doc au Plymouth Marine Laboratory, en Angleterre, où il s’oriente vers l’étude chémotaxonomique des pigments du phytoplancton – sujet de son habilitation à diriger des recherches en 1994. « Une simple mesure de leur teneur dans l’eau permettait de connaître le type de phytoplancton présent dans l’échantillon. ». C’est fort de cette expertise inédite en France qu’il tape à la porte du CNRS en 1989.

Il y entre l’année suivante, au Laboratoire de physique et chimie marines de l’Observatoire de Villefranche, pionnier de l’utilisation de satellites pour caractériser la présence de phytoplancton dans la mer en en mesurant la couleur. « Plus l’eau est verte, plus il y a de chlorophylle donc de phytoplancton. Je pouvais mesurer précisément la quantité de chlorophylle et de pigments caractéristiques pour connaître la quantité de phytoplancton et en identifier les familles. »

Des robots dans les flots

À partir de 1991, Hervé Claustre participe – quand il ne les organise pas – à plusieurs campagnes océanographiques. En 1995, il rejoint pour un an l’Université de Californie à Santa Barbara pour étudier le milieu marin antarctique.

À 39 ans, il devient directeur de recherche du CNRS. Deux ans plus tard, en 2004, le voilà reparti en campagne dans l’Océan Pacifique. En parallèle, il s’intéresse à de nouveaux capteurs qui permettent de caractériser in situ le phytoplancton et les particules marines. « Je m’intéressais à cette technologie pour acquérir beaucoup d’informations océanographiques le plus efficacement possible, avec des capteurs qui les récoltent de façon autonome, un peu partout, de jour comme de nuit. C’est mon côté ingénieur, le souci de l’efficacité. »

2005 est l’année qu’a choisie le CNRS pour lui remettre sa médaille d’argent. C’est aussi l’année d’une nouvelle transition. Le chercheur s’oriente désormais vers la robotique marine. Les robots sous-marins chargés de capteurs que l’on déploie en mer et qui ressortent à intervalle régulier pour transmettre directement leurs données aux labos, par satellite, apparaissent. « C’était une voie d’avenir que je voulais à tout prix explorer en commençant par le développement technologique. » Le Laboratoire de Villefranche-sur-Mer élabore, avec le concours de la Direction générale de l’armement et dans le cadre de consortiums, intégrant des laboratoires académiques et des sociétés d’ingénierie privées, des planeurs sous-marins et des robots profileurs capables de transmettre toutes sortes de mesures comme le pH de l’eau, la quantité d’oxygène dissout ou encore le spectre de la lumière. « La prochaine génération de robots que nous finalisons actuellement disposera de capteurs d’images qui analyseront in situ le type de zooplancton présent grâce à l’intelligence artificielle. »

Ce projet de robotisation lui permet d’obtenir un financement du Conseil européen de la recherche (ERC), en 2010, pour développer de nouveaux robots et en déployer une flotte dans les océans. « J’ai commencé à faire ce que j’appelle de l’océanographie ‘de salon’. On ne part plus en mer, les données arrivent directement au laboratoire. »

En parallèle, Hervé Claustre crée un réseau international de collaboration en robotique marine qui intègre, en 2016, le projet BGC-Argo d’un réseau de quelque 1 000 flotteurs-profileurs intelligents.

En 2021, la création d’un Institut de l’Océan à Sorbonne Université est l’occasion de réfléchir à de nouveaux projets. Hervé Claustre rencontre son directeur, Christophe Prazuck, qui lui explique l’aspect transversal de l’Institut, mêlant sciences dures et sciences humaines et sociales. Et surtout, la nécessité de diffuser ce qui y est produit. Touché ! Le chercheur a toujours mis un point d’honneur à vulgariser ses travaux. C’est d’ailleurs au laboratoire de Villefranche qu’a été hébergée l’antenne départementale des Petits débrouillards, dans les locaux où sont créés les robots. « Sensibiliser notre jeunesse au fonctionnement de l’océan est un préalable pour en faire des citoyens éclairés qui comprennent les enjeux et les décisions à prendre pour le protéger. » Il a ainsi lancé, il y a près de dix ans, le programme Adopt a float, « qui permet à une classe d’adopter un flotteur et de suivre en temps réel son voyage scientifique ». Dans son second financement ERC (REFINE), reçu en 2019, il a également même obtenu qu’une partie de l’argent revienne à des actions de médiation.

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