Christophe Prazuck

Directeur de l’Institut de l’Océan et porteur de projet pour la Mission Bougainville

Avant de trouver des solutions, il faut toujours comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Directeur de l’Institut de l’Océan de l'Alliance Sorbonne Université, Christophe Prazuck est ancien amiral de la Marine Nationale. Aujourd'hui, il est porteur de projet pour la Mission Bougainville, véritable aventure soutenue par la Fondation Sorbonne Université et visant à mieux comprendre la composition du microbiome des océans. 

Vous êtes Directeur de l'Institut de l'Océan de l'Alliance Sorbonne Université. Racontez-nous votre parcours.

Mon parcours n’est pas universitaire, à l’exception d’un Ph.D. en océanographie dans une université américaine. Je suis un marin, un praticien de la mer. J’ai été pendant 42 ans dans la Marine, de l’école navale en passant par tous les grades, jusqu’à la diriger, au sein de l’état-major. Quand il a fallu quitter cette institution, où j’ai eu une carrière passionnante à tous égards, Sorbonne Université m’a proposé de rejoindre l’Institut de l’Océan.

Je suis donc passé d’une mission de défense à une mission de savoir et de recherche. Mais au cœur de mon activité se sont toujours retrouvés les espaces maritimes, qu’il s’agisse de les défendre, de les protéger, comme aujourd’hui de comprendre leur fonctionnement, leur évolution, leur biodiversité.

Pouvez-vous nous présenter la Mission Bougainville ? Quels en sont les objectifs ?  

La Mission Bougainville c’est d’abord une rencontre, entre des chercheurs de Sorbonne Université dans ses stations marines de Roscoff, Banyuls-sur-Mer, Villefranche-sur-Mer, qui travaillent sur les micro-planctons, le vivant invisible de l’océan. Sa profusion a été découverte il y a seulement une quinzaine d’année grâce aux expéditions Tara Océan. Une des limites de cette découverte fascinante c’est le nombre d’observations. Si on veut bâtir une vision globale de ce vivant de l’océan, à la base de l’absorption du carbone, de la chaîne trophique, de tout ce qui se passe dans les mers, si on veut le comprendre, il faut passer de la photographie au film, et donc multiplier les observations.

Le problème de cette multiplication est le coût qu’elle engendre. Il faut des campagnes océanographiques, des bateaux spécialisés, des instruments très onéreux. Pour contourner ce problème quelques chercheurs visionnaires ont inventés des capteurs frugaux, peu chers, dont les très grandes qualités d’observation viennent d’être prouvées. Cela permet donc une dissémination facile avec une qualité de mesure préservée.

Mais où placer ces capteurs ? C’est là que l’institut de l’Océan permet de tisser un lien avec la Marine Nationale pour embarquer ces capteurs frugaux, valider leur emploi, leur procédure d’exploitation, en s’appuyant sur leurs bateaux qui patrouillent et surveillent les zones économiques exclusives françaises sur tous les océans du monde.

Le dernier acteur de la Mission Bougainville c’est une association, Plankton Planet. Elle s’est fixée l’ambition de multiplier les moyens d’observation du vivant invisible vers la société au sens large, les seatizens et le monde maritime.

La Mission Bougainville est donc une aventure scientifique, comprendre des choses encore peu expliquées, une aventure humaine, car des étudiantes et étudiants de Sorbonne Université vont partir sur des bateaux de la Marine sur tous les océans pour conduire ces observations pendant une année de césure, et une aventure citoyenne puisque le but est de valider les capteurs, les procédures, pour qu’ensuite ce travail soit réalisé par le plus grand nombre possible de personnes : pêcheurs, ostréiculteurs, aquaculteurs, compagnies maritimes, etc.

Comment ce projet s’engage-t-il à mieux comprendre le réchauffement climatique et ses mécanismes, et donc peut-être à ouvrir la voie vers des solutions à ce dernier  ?  

Pour l’instant il s’agit de comprendre la composition du microbiome de l’océan. On sait que ce vivant invisible flotte, un peu comme des forêts flottantes qui se meuvent au gré des courants sans capacité de mobilité propre. Toute modification de l’environnement dans lequel ces êtres vivent (température, salinité, acidité etc.) aura donc un impact sur ces forêts invisibles.

En observant la modification du microbiome on détectera donc des modifications, mêmes infimes, de l’océan lui-même. En fonction de la géographie, de la latitude, des saisons, des côtes et des îles. On pourra également comprendre comment ces milliers d’organismes s’intègrent aux écosystèmes océaniques : qui mange qui, qui dépend de qui. En somme, leur rôle dans la chaîne alimentaire, la chaîne trophique du vivant marin et leur action dans la régulation du climat puisqu’ils constituent, malgré leur très petite taille, un gigantesque puit de carbone.

Le but est tout d’abord de comprendre, et d’utiliser ces connaissances pour prévoir et détecter des modifications de long terme. Avant de trouver des solutions, il faut toujours comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je ne doute pas que la singularité, le nombre, la qualité des observations réalisées grâce à Bougainville contribueront de manière significative à la démarche globale de compréhension des océans. Et que cette démarche nous livrera des clés pour agir, prévenir, protéger, préserver, restaurer les océans. Mais avant toute chose la Mission Bougainville a pour objectif de comprendre l’état de santé des océans.

Quel message auriez-vous pour quelqu’un qui considère faire un don à la Fondation, en particulier pour la Mission Bougainville ?  

Il y a quatre bonnes raisons de soutenir la Mission Bougainville. La première est de soutenir Sorbonne Université, la première université européenne pour les sciences marines, la troisième dans le monde, un motif de fierté pour les français mais aussi pour celles et ceux qui s’intéressent à l’université et aux océans. La deuxième raison est comme je vous le disais de nous aider à ouvrir une porte sur un paysage inconnu, celui du microbiome océanique ; c’est une nouvelle aventure pour la science du vivant, elle sera révolutionnaire. La troisième raison c’est le soutien à une aventure extraordinaire, unique, originale pour les étudiantes et étudiants participants à la mission, qui marquera leur manière de voir le monde, d’agir, leur implication dans la société. La quatrième raison, est finalement que la Mission Bougainville est une œuvre collective, citoyenne qui prépare l’avenir de notre planète par son ambition scientifique et son engagement sociétal. Contribuer à cette mission est cohérent avec les défis de notre temps : comprendre et partager.

La Mission Bougainville revêt aussi un important aspect international, avec l’idée de Seatizen, pouvez-vous nous en parler ?  

L’idée de Bougainville est sous-tendue par la démarche de l’association Plankton Planet. Les chercheurs posent des questions, inventent des capteurs, les marins les mettent en œuvre et les fiabilisent, et une fois que toute cela est acquis, les citoyens entrent en jeu et multiplient les observations. Nous changerons une nouvelle fois d’échelle. Bougainville est la première étape durant laquelle nous espérons passer de deux centaines d’observations du microbiome à deux milliers dans deux ou trois ans grâce aux bâtiments de la marine, puis ultérieurement à des dizaines de milliers grâce aux Seatizens du monde maritime au sens large. Des compagnies maritimes ont déjà manifesté leur vif intérêt pour ce projet.

Pourquoi avoir décidé d’engager des binômes étudiants de Sorbonne Université dans le projet ?  

Tout d’abord parce qu’il faut des scientifiques pour utiliser les capteurs, qui ne sont pas automatiques. Ce ne sont pas encore des « boîtes noires ». Il faut ensuite traiter les données, s’assurer de leur qualité, confronter les données in situ et les données satellitaires, les valeurs physico-chimiques et les données biologiques etc... La direction scientifique de la mission orientera leurs travaux.

Deuxième chose, c’est une occasion pour des étudiantes et étudiants qui étudient l’océan de le pratiquer, ce qui est plus qu’important pour moi. Il faut avoir passé un bout de temps en mer pour concrètement voir ce qu’est l’océan et donc, par exemple, mieux percevoir les limites de sa représentation scientifique.

Troisième point, les bateaux de la marine sur lesquels se déroulera la Mission Bougainville sont chargés de la protection des espaces maritimes français : prévenir les pollutions, empêcher la pêche illicite, préserver la biodiversité. Il est important pour les équipages chargés de cette mission de parfaitement comprendre l’environnement dans lequel ils naviguent. Mieux on comprend, mieux on protège, meilleur marin est-on. C’est l’interaction entre les étudiantes et étudiants en année de césure et les équipages qui apportera cette formation indispensable. Les essais réalisés en mer d’Iroise à l’hiver 2021 sont à cet égard très prometteurs.

Mon dernier point est historique. Quand les Européens sont partis à la découverte du monde aux XVIIIème et XIXème siècles les équipages de Cook, Bougainville, Lapérouse, Dumont d’Urville, Baudin, comptaient des astronomes, des cartographes, des naturalistes, ils ont aussi fait œuvre d’ethnologues. Ils ont inspiré les grandes expéditions ultérieures du Challenger au Beagle. Modestement pour l’instant nous renouons avec l’esprit de ces expériences audacieuses et fondatrices : la Marine contribue à la connaissance scientifique et en tire profit.

Finalement, n’est-ce pas fascinant de se rendre compte que ces petites choses que sont les planctons peuvent en dire long sur la santé de notre planète ?  

Ça, c’est la magie de la science ! Découvrir qu’il y a des milliards d’organismes dans un seul seau d’eau de mer, puis formuler l’ambition de comprendre leurs relations entre eux comme avec le reste du monde. C’est une aventure scientifique fascinante et enthousiasmante. Il est très probable que les nouveaux moyens d’observation du vivant marin, basés sur le séquençage ADN, l’imagerie, l’intelligence artificielle, la science du calcul et des données, nous placent à l’aube d’une nouvelle révolution dans notre manière d’appréhender le vivant, au moins dans l’océan.

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