• Communiqué de presse

Un regard nouveau sur la chimie des planètes

Il est généralement admis que les planètes se sont formées à partir de la même matière que leur étoile centrale, produite à l’origine par la nucléosynthèse qui s’achève au sein des évènements cosmiques que sont les supernovae. Cette matière gazeuse constituant le nuage protoplanétaire est supposée subir des phases de condensation et photo-évaporation dépendant de la distance à la protoétoile et du temps. Ces processus détermineraient la composition chimique globale de la matière dans les régions où se forment les planètes. Cependant, ce modèle ne permet pas de clarifier toutes les différences géochimiques entre les planètes. Une équipe de recherche impliquant le Laboratoire de réactivité de surface (Sorbonne Université / CNRS) a examiné la composition chimique de la croûte terrestre externe pour la comparer à celle du soleil et également à des mesures sur les échantillons lunaires et les météorites, à des analyses in-situ pour Mars et Vénus, et à des données spectrales pour Mercure. Dans un article, paru le 14 janvier dans The Astrophysical Journal, ils révèlent l’existence de corrélations entre le potentiel d’ionisation d’un élément donné et son abondance relative à la surface d’un corps planétaire donné. De plus, les corrélations sont dépendantes de la distance au Soleil.

  • Hervé Toulhoat, chercheur émérite au Laboratoire de réactivité de surface (Sorbonne Université / CNRS)

Pour interpréter les corrélations ainsi observées, une série d’équations a été développée par Hervé Toulhoat, chercheur émérite au Laboratoire de réactivité de surface (Sorbonne Université / CNRS), à partir de principes de la physique statistique. Cette théorie fait l’hypothèse qu’à un stade précoce de l’évolution du disque protoplanétaire, la matière atomique gazeuse était ionisée par les rayons X émis par la protoétoile, un corps noir très chaud. Simultanément, sa chute dans le potentiel gravitationnel de cette étoile confinée au voisinage du plan galactique, était influencée par le champ magnétique normal à ce plan. En conséquence, la prévalence des forces de Lorentz1 causait la capture en orbites stables des atomes ionisés, sous forme d’un plasma. La probabilité d’ionisation d’un élément atomique dépendant à la fois de son potentiel d’ionisation et de la température ionique locale, il en résulte que le profil de température le long d’un rayon du disque protoplanétaire déterminait une différenciation chimique du protoplasma selon la position radiale, qui a précédé les étapes de condensation et s’imprime jusqu’au temps présent sous forme d’une différenciation chimique fossile des planètes. Cette théorie a été testée avec succès sur les données de composition chimique dans le système solaire évoquées ci-dessus. Elle est en principe généralisable à tout système planétaire présentant des exoplanètes.

Parmi d’autres conséquences et prédictions, ce modèle découvre que la Terre se situe à une distance très particulière du Soleil, à laquelle la température locale à l’époque d’ionisation primitive atteignait sa limite inférieure, la température du fond cosmique. La température électronique du plasma était simultanément minimale, et en conséquence la différenciation chimique par rapport à la matière primitive maximale à cette distance. Par contraste, la différenciation est négligeable aussi bien pour la couronne solaire que pour les planètes les plus éloignées.
Le modèle prédit aussi un contenu initial en hydrogène très élevé pour la Terre : 83 % poids. La plupart de cet hydrogène a pu s’échapper vers l’espace du fait de l’effet Jeans , mais une certaine fraction est susceptible d’être restée stockée dans les profondeurs de la Terre, sous forme liée chimiquement dans des hydrures. Le Dr Viacheslav Zgonnik, deuxième auteur de l’article, explique que de nombreux travaux ont proposé que l’intérieur de la Terre renferme des quantités importantes d’hydrogène . La conclusion que les profondeurs de la Terre sont riches en hydrogène est basée sur l’analyse des données géophysiques fournissant le profil de densité du noyau terrestre, ainsi que les expériences de laboratoire sur la stabilité des hydrures aux conditions du noyau. Toutefois, jusqu’au présent travail, il manquait un mécanisme plausible pour expliquer la présence de telles quantités à l’intérieur de la planète

L'article discute également la différenciation chimique très marquée induite cette fois le long d’un rayon planétaire par le flux important d’hydrogène de l’intérieur vers la surface, révélée par une composition des surfaces planétaires différente de la composition globale : l’oxygène et les halogènes étant les plus fortement liés dans leurs hydrures sont dirigés vers la surface par le flux d’hydrogène, formant à la longue les vastes océans salés de notre planète. Tous les autres éléments se positionnent d’autant plus près de la surface que leur affinité pour l’oxygène est plus élevée : par exemple les actinides et lanthanides principalement dans la croûte, et les métaux de transition les plus riches en électrons d principalement dans le noyau.

Le modèle proposé présente des éclairages nouveaux et alternatifs sur la différenciation chimique des planètes et montre qu’elles furent toutes formées à partir d’un mélange gazeux différent. Il ouvre une porte en vue d’une réévaluation de la composition globale de la Terre, de la reconsidération de paradoxes géochimiques, d’une explication alternative de l‘origine des volatils (y compris l’eau), d’une réévaluation des ressources énergétiques et minérales de la planète, et plus encore. Il pourrait enfin aider à identifier les proches analogues de notre planète Terre parmi les exoplanètes distantes dont les découvertes s’accumulent.


[1]La force électromagnétique, également appelée « force de Lorentz » est la force subie par une particule chargée dans un champ électromagnétique. Il s’agit de la principale manifestation de l'interaction électromagnétique.
 [2]  Il est fait référence ici à l’échappement thermique de Jeans, phénomène qui se produit à très haute altitude dans l’atmosphère raréfiée: la vitesse des molécules de masse m en équilibre thermodynamique est distribuée selon la loi statistique de Boltzmann, et une fraction croissante avec la température mais très rapidement décroissante avec m est animée d’une vitesse supérieure la vitesse de libération d’un satellite de masse quelconque, qui dépend de la gravité locale. Cette vitesse est de l’ordre de 11 km/s pour la Terre où l’échappement de Jeans n’est significatif que pour H et H2. Les petites planètes perdent ainsi progressivement leur atmosphère, tandis que les planètes géantes telles que Jupiter retiennent même H2.
[3] Viacheslav Zgonnik a publié l’an dernier une revue exhaustive sur l’hydrogène naturel, qui a mis en évidence que l’hydrogène d’origine profonde est probablement la plus grande source d’hydrogène moléculaire dans la nature.

 

Référence:

Chemical Differentiation of Planets: A Core Issue, Hervé Toulhoat and Viacheslav Zgonnik 2022, The Astrophysical Journal, 924 83
DOI : https://doi.org/10.3847/1538-4357/ac300b