Milan Stankovic

Milan Stankovic

Docteur et deux start-up à son actif

Il est indispensable de comprendre la vie d’un chercheur entrepreneur et de voir si vous vous reconnaissez dans ce parcours.

Originaire de Belgrade, informaticien humaniste, Milan Stankovic en est déjà à sa deuxième création de start-up. Nous nous étions entretenu avec lui lors d’une « rencontre carrière », il y a 3 ans. Toujours volontaire pour donner son témoignage aux doctorantes et doctorants de Sorbonne Université, il a accepté de se livrer une fois de plus. 


Milan, vous êtes arrivé en France grâce à une bourse du gouvernement français pour entreprendre un master en informatique à l’Université d’Orsay. Comment en êtes-vous venu à faire votre thèse à la faculté des Lettres de Sorbonne Université ?
Les professeurs qui m’ont encadré pour mon master m’ont conseillé de trouver un contexte favorable à mon profil « atypique ». J’ai trouvé au sein de l’école doctorale Concept et langages de Sorbonne Université une vraie flexibilité, une grande ouverture d’esprit et d’autonomie. J’ai fait mon doctorat dans le laboratoire LaLIC (laboratoire langage, logique, informatique et cognition) sous la direction de Philippe Laublet et Jean-Pierre Desclés sur le web sémantique.

En intelligence artificielle, il y a plusieurs approches : l’approche d’apprentissage automatique faite au Lip6 et le web sémantique qui touche à la linguistique, à la représentation des connaissances. À ce moment-là, nous étions en 2009-2012, et les réseaux sociaux étaient une nouveauté. La question était de déterminer ce que signifiait « faire un like » sur Facebook ? Comment un ordinateur pouvait-il interpréter ce « geste » ? Je suis arrivé au laboratoire alors qu’une start-up du nom d’Hypios cherchait un nouveau thésard en CIFRE. À l’époque, Hypios travaillait pour un grand groupe, qui cherchait des solutions externes. En 2009, on ne croyait pas que la machine pouvait surprendre l’humain, qu’elle était capable de faire des propositions pertinentes et surprenantes. En fait, grâce au web social, la machine peut trouver des experts sur Twitter. Avec l’analyse des tweets, la machine peut déterminer que la personne sait de quoi elle parle et qu’elle pourra aider à trouver une solution… 


En 2013, vous avez créé SEPAGE. Dites-nous en plus sur cette aventure ? 
À la fin de ma thèse, je souhaitais créer ma propre start-up, et les investisseurs qui m’avaient suivi chez Hypios me faisaient confiance. Je ne pouvais pas réutiliser les résultats de mon travail de thèse car il avait donné lieu à un brevet. Hypios souhaitait me recruter mais leur offre était moins avantageuse que de créer ma propre société.

J’ai donc créé SEPAGE, qui a été incubée chez Agoranov sur la base du concept d’un système de recommandation. Au début, je ne savais pas ce que j’allais vendre, ni à qui. J’ai travaillé avec des experts. Finalement, le secteur le plus porteur s’est révélé être le tourisme. Il y avait une vraie difficulté avec la vente en ligne aux particuliers. Un internaute passe 48 heures pour acheter un voyage. C’est un choix complexe qui souvent fait intervenir deux personnes avec plusieurs appareils (ordinateurs, smartphone). SEPAGE propose à partir de la deuxième page, une troisième avec une recommandation pertinente qui surprend l’internaute. Le secret : une bonne connaissance de toute l’offre. Les recommandations cachent une question sur la raison d’être de l’achat. La machine explicite l’intention, elle imite le vendeur et propose une offre.

La parution d’un article sur SEPAGE dans Le Figaro a apporté beaucoup de visibilité et de notoriété à la société, qui a été identifiée comme "novatrice" dans le milieu du voyage. De sorte qu’Havas Voyages, la plus ancienne agence de France, spécialiste des voyages professionnels, est entrée en contact avec nous et a demandé à l’équipe la création d’une nouvelle application. Alors ont commencé les offres d’acquisition par plusieurs acquéreurs géants, français et étrangers. Finalement SEPAGE est vendue à Travelsoft en mai 2017. 


Et depuis cette vente, quels ont été vos projets ? 
Depuis 2020, je me suis lancé dans la création d’une nouvelle start-up, Blindnet. Elle a pour objectif de produire des logiciels pour rendre internet plus sécurisé, plus confidentiel. À la naissance d’internet, nous ne savions pas l’ampleur que cela prendrait, que les données personnelles se retrouveraient sur internet, qui a été construit dans un esprit de bienveillance, sans prendre en compte les dangers de piratage, de dommage à la personne physique et avoir pour conséquence la méfiance des internautes.

Tous les contrats, les documents confidentiels se retrouvent sur le cloud. Les utilisateurs ont besoin que les données soient chiffrées et que le chiffrement puisse être déchiffrer seulement par l’utilisateur lui-même pour respecter la confidentialité. Les humains s’attendent à avoir confiance en l’informatique.

Blindnet souhaite être à la hauteur des attentes de l’usager et rendre facile le chiffrement. L’outil est en développement. L’entreprise a fait une levée de fond au printemps 2021 avec un fond deeptech. Nous avons la première version du produit. Nous avons créé un formulaire en ligne sécurisé par chiffrement. Une application « démonstrateur » simple est proposée aux dentistes. Nous sommes en train de faire la démonstration devant des clients potentiels et quelques investisseurs. Une nouvelle levée est prévue. Nous comptons lever 2 millions d’euros.


Pourquoi cette entreprise nécessite autant d’argent ? 
Le système imaginé est un système compliqué, lourd à mettre en place. Il occupe 10 personnes en interne et fait appel à des personnes externes expertes en cryptographie. Nous travaillons et communiquons auprès des développeurs en entreprise. Nous sommes en phase de démarrage, l’entreprise cherche son mode opératoire et ne facture pas encore. La phase d’affinage du produit va encore durer un an et il n’y aura probablement pas de revenus importants avant fin 2022.


Quels conseils voudriez-vous donner aux doctorantes et doctorants qui souhaiteraient vous emboiter le pas ? 
Tout d’abord, les doctorantes et doctorants ne doivent pas hésiter à solliciter les docteures et docteurs qui ont créé une start-up pour comprendre leur raisonnement, les choix faits. J’ai moi-même sollicité beaucoup de monde lors de la création de ma première start-up. Beaucoup m’ont répondu. Ayez le courage de demander de l’aide. Il est indispensable de comprendre la vie d’un chercheur entrepreneur et de voir si vous vous reconnaissez dans ce parcours. Les deux aspects recherche et création d’entreprise sont difficiles à marier : la recherche nous apprend à douter à se remettre en question,  mais dans le business il faut se donner confiance… Ayez le courage de voir grand. Pourquoi pas vous ?

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