Chloé Ragazzoli

Égyptologue et maîtresse de conférences

Je rêve de découvrir la bibliothèque d’un scribe de village

Égyptologue et maîtresse de conférences à Sorbonne Université, Chloé Ragazzoli explore la vie quotidienne des bâtisseurs des pyramides. Elle nous raconte son parcours et son métier qui consiste à essayer de saisir un monde révolu, celui des Pharaons.

Si les premiers égyptologues avaient coutume de dire que la morsure du canard des hiéroglyphes leur avaient transmis le virus de l’égyptologie, il en est tout autre pour Chloé Ragazzoli. Cette Vosgienne a découvert cette discipline au collège, au hasard du programme d’histoire : « J’ai entendu parler de l’Égypte antique en 6e, cela a été un déclic. Puis, en 4e, j’ai essayé d’apprendre toute seule les hiéroglyphes. J’ai pensé assez tôt faire de l’égyptologie mon métier ».

Après le baccalauréat, Chloé Ragazzoli décide alors de se lancer dans une classe préparatoire littéraire (khâgne) et rentre à l’École normale supérieure pour étudier l’histoire. En 2011, doctorat en poche, elle occupe son premier poste de jeune chercheuse à l'université d’Oxford, puis, deux ans plus tard, saute dans l’Eurostar pour intégrer Sorbonne Université. 

Des missions à marquer d’une pierre blanche

Depuis lors, cette férue d’écriture égyptienne revêt toutes les casquettes : maîtresse de conférences HDR à la faculté des Lettres de Sorbonne Université, chercheuse de terrain et présidente de la Société française d'égyptologie (lire encadré). Voilà qui fait un emploi du temps bien rempli !
« Il est d’ailleurs parfois difficile à tenir entre les tâches d'enseignement et celles de chercheur, précise Chloé Ragazzoli. Avec mes objets d’étude, je dois aller sur le terrain. Ça nécessite de jongler avec les emplois du temps. Je profite des vacances scolaires pour partir en mission mais hors période estivale, sinon il fait beaucoup trop chaud en Égypte. » 
Et d’ajouter, amusée : « Je suis par monts et par vaux. Nos étudiants nous appellent parfois Bip-Bip (en référence au dessin animé "Bip-Bip et Le Coyote" dans lequel Bip-Bip est un oiseau courant à grande vitesse). Il m’est arrivé de filer à l’aéroport dès que j’ai donné mon dernier cours et vice versa, je me dépêche de rentrer pour être à l’heure au prochain. »

En plus de son activité d’enseignante-chercheuse,  Chloé Ragazzoli codirige un programme de recherche consacré à l’archéologie et l’anthropologie des pratiques d’écriture de l’Égypte ancienne, en partenariat avec l’Institut français d’archéologie orientale du Caire. Elle se rend environ une fois tous les deux mois en Égypte.  « J’y organise des colloques, je travaille sur des objets et des œuvres du musée du Caire, je participe à des activités de recherche… ».
Et a aussi l’occasion de participer à des fouilles ! Parmi ses expériences archéologiques, certaines ont été plus mémorables que d’autres. Sa toute première en Égypte, par exemple, alors qu’elle était en fin de thèse et dotée de peu de moyens, lui a permis de découvrir une centaine de graffitis dans une tombe à Louxor.

La seconde s’est tenue… en France. Elle se souvient : « À l’époque, j'étais chargée de recherche documentaire à la BnF, je m’occupais des papyrus égyptiens. L’une de mes tâches était de les cataloguer et de les décrire. Un jour, j’ai voulu m’atteler à l’une des boîtes, la 237, mais elle ne voulait pas s’ouvrir. Les papyrus à l'intérieur étaient gondolés et il paraissait impossible de l’ouvrir sans tout détruire. J’ai finalement décidé de la découper soigneusement au cutter…
La boîte a révélé plus de 200 fragments de papyrus provenant de Deir al-Médîna (le village des artisans qui construisaient les tombeaux et les temples des pharaons) avec des textes de toutes sortes et de nombreux dessins. Cela correspond à une trouvaille de papyrus très ancienne du début du XIXe siècle par le colonel Boutin, un espion de Napoléon Ier. Pour nous, égyptologues, c’est l’une des plus importantes trouvailles récentes issues de ce lieu. »

Plus récemment, Chloé Ragazzoli s’est rendue sur un certain nombre de sites archéologiques en Moyenne Égypte -  où elle « rassemble les inscriptions que les scribes antiques laissées dans les monuments funéraires » - mais aussi à Louxor. 
C’est dans cette ville bâtie sur l’ancienne capitale antique, Thèbes, qu’a été découvert l’année dernière une cité enfouie depuis plus de 3 000 ans. Si ces révélations sont majeures et ont été mises sur le devant de la scène, ce n’est pas nécessairement celles qui vont être les plus marquantes pour la science, comme tient à le souligner Chloé Ragazzoli : « Les papyrus découverts par Pierre Tallet en 2013, eux, ont beaucoup changé la face de l’histoire même s’ils ont fait moins de bruit dans la presse ».

Une fascination qui ne date pas d’hier

À n’en pas douter, l'Égypte antique émerveille toujours autant depuis la première expédition de Napoléon Bonaparte en 1798 et surtout, depuis le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion il y a deux siècles. « À ce moment-là, l'Égypte antique a été introduite dans l’espace public, et n’est pas restée confinée dans l’université. »
Selon Chloé Ragazzoli, cette fascination du public pour cette civilisation disparue a quelque chose d’intrinsèque : « Nous sommes fascinés par leur grandeur, cette massivité avec les pyramides, et les moyens qu’il a fallu mettre en œuvre pour les construire. Cela nous semble proche car ils étaient humains, utilisaient des objets qui nous sont familiers… et en même temps, si éloigné, car ils ne vivaient pas comme nous, n’avaient pas les mêmes croyances, les mêmes valeurs. »

Cette attirance pour l’Égypte antique n’est d’ailleurs pas prête de se faner. « Je ne pense pas que nous aurons un jour tout trouvé. C’est un peuple qui a une histoire de plus de 3 000 ans ! Il y a encore beaucoup de lieux à explorer et nous n’avons pas découvert tous les sites.  Certes, nous en avons identifiés beaucoup mais il faut les moyens humains, matériels et financiers pour pouvoir les étudier, les restaurer… Sans parler de la masse de documentation inédite qui est emmagasinée dans les musées et qui n’est ni traduite, ni publiée tout simplement car il n’y a pas la force humaine. »
Même si, à Sorbonne Université, les cours d’égyptologie ne désemplissent pas (lire encadré), le manque de postes de recherche dans le domaine est flagrant. 

« L'égyptologie est un milieu de niche », précise Chloé Ragazzoli qui planche en ce moment sur l’anthropologie de l’écriture en attendant de réaliser son rêve : découvrir la bibliothèque d’un scribe de village. « J’aimerai avoir une idée de son travail, de ce qu’il lisait, ce qu’il écrivait. Ce n’est pas irréalisable. Je reste attentive aux fouilles, aux projets et aux types de site où cela pourrait arriver. »
Que son vœu soit exaucé !

Qu’est-ce que la Société française d'égyptologie ?

Cette association loi 1901 promeut la connaissance de l’Égypte ancienne et est aussi un espace commun où se retrouve les professionnels, amateurs, étudiantes et étudiants autour de cette discipline. Elle est un espace de circulation de la connaissance et de sociabilité autour d’un savoir. « Une société savante, comme le dit si joliment Chloé Ragazzoli qui la préside, avec un lien fort entre la profession et tous ceux que ça intéresse ».

Lire aussi : Chloé Ragazolli, présidente de la Société française d'égyptologie.

Sorbonne Université, vitrine de l'égyptologie

Chaque année, quelque trois cents étudiantes et étudiants suivent des cours sur l’Égypte ancienne à Sorbonne Université. En France, l’établissement fait partie des cinq universités à proposer l'égyptologie dans ses cursus avec une particularité, que nous explique l’égyptologue : « Cette discipline fait partie intégrante des sciences humaines et sociales. Elle est pleinement intégrée à l’UFR d’histoire et à l’UFR d’histoire de l’art et d’archéologie. » 

En savoir plus : Centre de recherches égyptologiques de la Sorbonne.