Biodiversité urbaine et richesse des ménages
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Biodiversité urbaine et richesse des ménages

La biodiversité urbaine est-elle liée à la richesse des ménages ?

Par Marianne Cohen, professeure de géographie à Sorbonne Université, Faculté des Lettres - Laboratoire Espaces, nature et culture (ENeC)

Selon plusieurs études scientifiques, les espaces urbains où vivent des espèces spontanées contribuent à la fois à la biodiversité, au bien-être des citadins et aux « services écosystémiques », tels que la régulation du ruissellement et de la température.

Mais ce sont généralement les quartiers les plus favorisés qui en bénéficient. Qu’en est-il à Paris, dans le cœur dense de l’agglomération ? Les espaces urbains contenant des espèces végétales spontanées apportent-ils des services de façon équitable aux citadins ?

Les résultats d’une étude récente menée à Paris montrent que les six types de végétation différenciés à Paris - bois, trottoirs, quais de Seine et canaux, jardins, friches, cimetières - apportent des services écosystémiques différents. Par exemple, pour la régulation hydro-climatique, les bois, les friches, les jardins et les cimetières sont nettement plus positifs que les trottoirs et les quais. Rien là de surprenant.

Plus étonnant en revanche, les services écosystémiques dus à la végétation spontanée sont le plus souvent inversement proportionnels au niveau de revenu des habitants : dans le centre et l’Ouest parisien, très densément bâtis et aisés, ils sont faibles, malgré la présence de parcs et de jardins ; c’est l’inverse pour les profils moyens et populaires résidant dans l’Est parisien et en périphérie, dans des quartiers moins denses ou plus hétérogènes où les friches sont plus nombreuses. De même, les jardins du XXe arrondissement, où résident majoritairement des employés et des cadres moyens, sont plus riches en flore spontanée et en espèces locales que ceux du XVe, plus aisés. Quant aux oiseaux, ils abondent davantage dans les secteurs de classes moyennes et modestes, particulièrement dans l’Est Parisien.

A Paris, la biodiversité est donc plus importante dans les quartiers populaires que dans les quartiers « bourgeois ». Dans nombre d’autres villes, par exemple à Phoenix, dans l’Arizona, c’est l’inverse. Cette différence s’explique : aux États-Unis et au Canada, les ménages aisés vivent dans des banlieues résidentielles verdoyantes riches en espèces exotiques coûteuses. En revanche, Paris est marqué par le « paradoxe haussmannien » : un bâti bourgeois dense associé à un « urbanisme végétal ». Ce modèle est défavorable à la biodiversité et aux services  écologiques  rendus par la végétation urbaine, malgré la diminution récente de l’emploi des herbicides dans les espaces verts municipaux. Les espaces de nature apportant le plus de services écosystémiques à la société, les friches et les cimetières, sont préférentiellement localisés dans d’anciens faubourgs, de bâti hétérogène et plus ou moins dense, où résident les classes moyennes et populaires. 

A l’inverse, même si des études le suggèrent, on ne peut considérer que la présence de végétation spontanée atténue les inégalités socio-économiques parisiennes grâce à ses effets favorables sur la qualité de la vie, le bien-être et la santé. Car elle n’est pas perçue positivement par tous les habitants. 

Quoi qu’il en soit, le fait que la biodiversité urbaine n’aille pas dans le même sens que les inégalités spatiales liées aux revenus peut donner plus de légitimité politique à la préservation de la nature urbaine spontanée. A l’heure de la mise en place et de la réactualisation du Plan Biodiversité de Paris, l’enjeu de la communication et de l’éducation des citadins est d’importance, et les espaces de nature spontanée tels que les friches pourraient trouver une « utilité » sociale, notamment comme espaces d’apprentissage.

Pour en savoir plus :

M. Cohen, Inégalités socio-professionnelles et biodiversité urbaine, in P. Ingallina (Ed), 2019, Ecocity, Knowledge city, Smart city. Vers une ville écosoutenable ?, Lille, PU du Septentrion.

Source :

Lettre d'information de l'Institut de la transition environnementale de Sorbonne Université (SU-ITE)