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Un filtre présent dans de nombreuses crèmes solaires se transforme en un composé cancérigène

Filtre organique de protection solaire fréquemment utilisé dans l’élaboration des écrans solaires et crèmes anti-âge, l’octocrylène se dégrade au sein même des flacons en un composé connu, cancérigène et perturbateur endocrinien : la benzophénone. Tel est le résultat d’une étude inédite conduite par des chercheurs du Laboratoire de biodiversité et biotechnologies microbiennes de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer (Sorbonne Université/CNRS) en collaboration avec leurs confrères américains, publiée dans la revue Chemical Research in Toxicology le 8 mars 2021.

Les industries qui produisent de l’octocrylène savent que cette molécule est contaminée par de la benzophénone et que cette dernière ne peut être éliminée dans sa totalité lors de la production d'octocrylène. En outre, la concentration en benzophénone dans les produits manufacturés à base d’octocrylène est considérée comme « négligeable » par l’industrie cosmétique. Or, l'octocrylène se dégrade naturellement en benzophénone au sein même des conditionnements. Au cours de son étude, l’équipe de recherche franco-américaine a découvert que cette substance était présente dans la quinzaine de produits commerciaux testés. Par ailleurs, les scientifiques ont démontré que la concentration en benzophénone dans ces cosmétiques augmente rapidement avec le vieillissement du produit.

La communauté scientifique et l’industrie cosmétique admettent communément que l'octocrylène et la benzophénone sont tous deux facilement absorbés par la peau1.  À ce titre, l'octocrylène ne satisfait plus aux critères de sécurité de la FDA2  américaine, et les données scientifiques accumulées indiquent qu'il pourrait être toxique pour la reproduction, et perturbateur métabolique et endocrinien. De plus, l’octocrylène est également décrit comme toxique pour l’environnement, affectant notamment les coraux dans les zones de baignade et diminuant potentiellement la résilience des récifs coralliens au changement climatique3. Le fait que les produits à base d'octocrylène soient contaminés par de la benzophénone en quantité non négligeable remet donc en question la sécurité globale de ces produits pour l'usage public.

 

Cancérigène, photomutagène et perturbateur endocrinien : ce que l’on sait de la benzophénone

Aux Etats-Unis, la benzophénone est interdite dans les produits alimentaires et les emballages et figure sur les listes des substances cancérigènes et des perturbateurs du développement dans le cadre de la proposition 65 de la Californie. Dans des études sur des modèles de mammifères, l'exposition à la benzophénone induit des cancers du foie et des lymphomes. Elle peut également agir comme un photomutagène : en présence de lumière, le taux de lésions de l'ADN s’accroît, augmentant ainsi le risque de cancers de la peau. Enfin, la benzophénone est aussi connue comme un perturbateur endocrinien, affectant les fonctions thyroïdiennes et induisant une activité anti-androgène, pouvant retarder le développement des testicules et causer des déformations anatomiques aux organes reproducteurs féminins.

À ce jour, l'octocrylène a déjà été interdit dans les produits de protection solaire dans certains territoires comme les îles Vierges américaines ou la république des îles Marshall. Les produits cosmétiques contenant de l’octocrylène sont également interdits en République des Palaos (Micronésie) depuis le 1er janvier 2020. Le président Tommy Remengesau, Jr, qui a signé l'interdiction, a déclaré : "Palaos a identifié une menace environnementale émergente qui est uniquement liée au tourisme : l'utilisation de crèmes solaires dans les loisirs de plein air. La régulation préventive de ces produits chimiques et d'autres contaminants à risque n'est pas seulement une bonne politique, mais aussi la manifestation d'un paradigme traditionnel du Pacifique en matière de gestion de la conservation. Nous devrions exiger des études intensives et indépendantes sur la sécurité de tous les produits chimiques utilisés dans les produits de soins personnels, et les nouvelles recherches comme celle-ci renforcent encore cet impératif. La science doit passer en premier, nous ne pouvons pas jouer avec la santé de l’environnement"4.

Les conclusions de cette étude inédite apportent de nouvelles preuves scientifiques pour faire valoir que les produits à base d'octocrylène – et donc contaminés par de la benzophénone – peuvent constituer une menace pour la santé individuelle et publique, ainsi que pour l’environnement. Et l’équipe de conclure : « Nos résultats plaident en faveur de la mise en place de régulations dictées par le principe de précaution dont l'objectif serait la protection de la santé publique et de l’environnement ».


[1] L'absorption cutanée de benzophénone dans l'organisme peut dépasser 70 %, selon des études menées par le professeur Howard Maibach et ses collègues dans les années 1990 - un argument de poids en faveur de l'interdiction réglementaire de ce produit et de l’octocrylène dans les parfums et autres produits d’usage topique.
[2] Food et Drugs Administration
[3] Conclusions d’une précédente étude conduite par les chercheurs du Laboratoire de biodiversité et biotechnologies microbiennes, publiée le 5 décembre 2018 dans la revue Analytical Chemistry : http://www.sorbonne-universite.fr/actualites/les-coraux-menaces-par-nos-cremes-solaires
[4] Communiqué original en anglais: “Palau identified an emerging environmental threat that is uniquely tied to tourism: sunscreen use in outdoor recreation. Precautionary governance of these chemicals and other contaminants of emerging concern is not only good policy, but also a manifestation of a traditional Pacific paradigm of conservation management. We should demand intensive, independent studies on the safety of all the chemicals used in personal care products, and emerging research like this further strengthens that imperative. Science has to come first, we cannot gamble with environmental health.”

Référence:

Time-dependent benzophenone accumulation in commercial sunscreen products from the degradation of octocrylene, Craig A. Downs, Joseph C. DiNardo, Didier Stien, Alice M. S. Rodrigues and Philippe Lebaron, Chemical Research in Toxicology, 8 March 2021.

DOI : https://doi.org/10.1021/acs.chemrestox.0c00461

Contacts :

Philippe Lebaron

Professeur de microbiologie et d’écologie marine à Sorbonne Université

Didier Stien

Directeur de recherche au CNRS                                                                             

Marion Valzy

Service presse de Sorbonne Université