Quelles solutions pour diminuer nos importations d’hydrocarbures russes ?
Quelles solutions pour diminuer nos importations d’hydrocarbures russes ?
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Quelles solutions pour diminuer nos importations d’hydrocarbures russes ?

Entretien avec la géologue Isabelle Moretti.

La guerre d’Ukraine conduit l’Europe à s’interroger sur sa dépendance énergétique et à remettre en cause sa stratégie pour les prochaines décennies. Isabelle Moretti, vice-présidente du pôle énergie de l’Académie des technologies et chercheuse associée à l’ISTeP1 , nous éclaire sur les enjeux et les solutions envisageables à court et moyen termes pour une plus grande autonomie énergétique.

Le conflit en Ukraine a rappelé que nous étions partiellement tributaires des importations de gaz, pétrole et charbon russes. Quel est le poids de ces importations en France et en Europe et à quoi sont-elles utilisées ?

Isabelle Moretti : Alors que près de la moitié du gaz importé en Europe vient de Russie, le gaz russe ne représente, en France, que 17% des importations, loin derrière le gaz norvégien (36%). Quant au pétrole français, il provient à hauteur de 12% de la Russie, de 15% de l'Arabie saoudite, de 14% du Kazakhstan, 12% du Nigeria, 11,7% de l’Algérie et le reste de la Norvège. Nous importons également 30% de notre charbon de la Russie pour produire de l'acier, de la fonte et de l'électricité – soit 13 millions de tonnes, ce qui est relativement peu.

Ces hydrocarbures sont utilisés pour de très nombreux procédés industriels, mais aussi pour la mobilité, le chauffage, l'éclairage, etc. Afin de sortir progressivement du charbon, la stratégie de décarbonation européenne repose sur une augmentation du gaz qui, parce qu’il génère trois fois moins de CO2 que le pétrole – et bien moins que le charbon, est considéré comme une énergie de la transition.

Quelles seraient les alternatives pour réduire notre dépendance énergétique à la Russie à court terme ?

I. M. : Pour réduire la consommation des hydrocarbures russes à court terme, nous pouvons, tout d’abord, réduire nos consommations. La sobriété énergétique passe notamment par la réduction des températures des logements. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, baisser le thermostat du chauffage d’un degré de tous les logements, bureaux, locaux commerciaux européens réduirait la demande de gaz d’environ 10 milliards de m3 par an.

La seconde solution est de faire venir les hydrocarbures d’autres pays, ce qui implique de trouver des vendeurs et des voies d’acheminement. Avec le gaz de schiste, les États-Unis sont passés en douze ans de premier pays importateur de gaz à premier pays producteur devant la Russie et le Moyen-Orient. Actuellement la moitié du transport de gaz se fait dans les gazoducs et l’autre moitié par bateaux. S’il est impossible de construire un gazoduc en un an, nous pouvons, en revanche, faire venir plus de bateaux dans nos ports pour livrer du gaz naturel liquéfié (GNL). C’est d’ailleurs la stratégie qu’a adoptée la Pologne depuis quelques années en créant de nouveaux ports afin de moins dépendre du gaz russe. À l’inverse, l’Allemagne est le seul pays européen à ne pas avoir de terminaux méthaniers permettant d'importer le GNL malgré un accès à la mer.

Et à moyen terme ?

I. M. : Le biogaz est une solution qui prend de l’ampleur. Le biogaz de première génération est produit à partir des déchets humides, des boues d'épuration, etc. Il peut ensuite soit être brûlé directement pour produire de l'électricité et de la chaleur, soit être purifié afin d’être injecté dans le réseau (il existe actuellement près d’une centaine de points d'injection dans le réseau français). La seconde génération de biogaz est obtenue par pyrolyse de la matière organique sèche (en brûlant des plastiques ou les restes d’un meuble, par exemple). Elle nécessite des installations plus lourdes, mais qui sont en train d’être déployées en France. Au vu des quantités non négligeables de déchets que nous produisons, nous pouvons imaginer une production de biogaz sous forme de circuits courts à moyen terme.

Autre technologie prometteuse, le gaz de synthèse fabriqué à partir du mélange d'hydrogène et de CO2. Près de Marseille, un système pilote a été lancé pour neutraliser, grâce à de l’hydrogène, le CO2 provenant d’une industrie polluante et le transformer en gaz. L’hydrogène est une solution d’avenir qui peut changer la donne. L'hydrogène naturel présent dans le sous-sol, et sur lequel je travaille depuis plusieurs années, est une source d’énergie bon marché et que nous espérons disponible en grande quantité. Elle peut être utilisée pour de nombreux usages comme la mobilité, la neutralisation du CO2, la chimie, etc.

Quelle place est accordée aux renouvelables pour aller vers une plus grande autonomie énergétique ?

I. M. : Nos dirigeants sont confrontés à un problème complexe : celui de devoir, dans un même temps, diminuer les émissions de gaz à effet de serre, gagner en autonomie énergétique, produire une énergie peu chère et avec le minimum de risque.

Les technologiques renouvelables se développent vite – surtout en Inde et en Chine, même si ces pays continuent encore à ouvrir quotidiennement des centrales thermiques à charbon en raison du faible coût de cette énergie. En France, nous avons le solaire, l'éolien, l’hydraulique, la biomasse, l'énergie de la mer, etc. Le déploiement de ces technologies est cependant confronté à des freins. D’abord, le coût de développement : aujourd’hui, l’énergie marine reste chère. Mais quand on observe les courbes de diminution du prix du photovoltaïque ou de l’éolien sur une trentaine d'années, on constate que les prix baissent drastiquement lorsque la technologie devient mature. Le solaire est désormais une énergie compétitive. Nous devons donc continuer à travailler pour faire baisser les coûts.

Au problème du coût s’ajoutent des réticences culturelles et sociétales. Certaines technologies, comme la géothermie, sont très peu répandues en France, alors qu’elles le sont largement dans d’autres pays. En Hollande, par exemple, la moitié des maisons sont équipées d’un système de stockage de chaleur, alors que dans l’Hexagone ces installations sont présentes dans 0,01% des logements. Autre exemple : l’installation d’éoliennes sur le territoire français ou ses côtes nécessite bien souvent des années de négociations avant de pouvoir être actée.

Une meilleure indépendance énergétique passe aussi par la prise de conscience de tous les citoyens qui doivent comprendre que l'énergie ne tombe pas du ciel et que sa génération peut avoir des impacts. Si la majorité des citoyens ne veut ni éoliennes, ni panneaux solaires, ni biogaz, ni barrages, ni centrales, alors l’unique alternative sera d'importer l'énergie de nos pays voisins.

Le problème de l'énergie est un problème complexe aux multiples facettes. La guerre en Ukraine a changé la donne, mais il est essentiel de prendre le temps de la réflexion pour ne pas choisir des solutions qui pourraient se révéler inappropriées dans l’avenir.


1 : Institut des Sciences de la Terre de Paris (Sorbonne Université, CNRS, Institut National des Sciences de l'Univers)