Théâtre et relationnel à la faculté de Santé avec des élèves du Cours Florent ©Pierre Kitmacher
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Quand la scène rencontre le soin : le théâtre dans la formation médicale

Dans une démarche visant à améliorer la formation des futurs médecins, Sorbonne Université a mis en place un enseignement innovant en partenariat avec le Cours Florent. Intégré au département Relations de soins, ce module intitulé Théâtre et relationnel (TER) offre une formation originale qui met la communication au cœur de la pratique médicale.

Un enseignement qui allie technique et humanité

« Être un bon médecin ne se limite pas à être un technicien ou un expert en diagnostic », affirme Laure Gossec, professeure de rhumatologie, cofondatrice et directrice du département Relations de soins. Depuis une dizaine d’années, Sorbonne Université s’est engagée à renforcer les compétences humaines et relationnelles de ses futurs médecins en créant le département Relations de soins, qu’elle dirige. Ce département propose des cours qui replacent la relation médecin-patient au centre de la pratique médicale.

Le module Théâtre et relationnel, lancé en 2018 sous l’impulsion d’Alexandre Duguet, alors vice-doyen de la faculté de Santé, et de Simone Strickner, directrice du Cours Florent, est l’un des piliers de cette initiative. Il s’appuie sur une collaboration originale entre la faculté de Santé et le Cours Florent, une référence en formation théâtrale. « L’aspect relationnel dans la prise en charge des maladies est essentiel autant pour le bien-être des patients que pour l’adhésion au traitement, et dans un monde où le diagnostic pourrait bientôt être en partie automatisé par l'intelligence artificielle », souligne Laure Gossec qui coordonne cet enseignement avec le Dr Manon Allaire. L’objectif est clair : former des médecins capables d’allier compétences techniques et qualités humaines.

Des scénarios réalistes et pédagogiques

Chaque année, les étudiants de troisième année de médecine participent à une matinée de quatre heures en petits groupes, accompagnés d’élèves du Cours Florent. Ces derniers, en dernière année de formation, apportent leur expertise théâtrale pour donner vie à des situations réalistes et plausibles. « Nous avons imaginé des scénarios fréquents et essentiels », explique Laure Gossec. Par exemple, un médecin en retard doit gérer un patient agacé, inquiet pour sa santé ou déprimé après une rupture. Dans un autre scénario, le praticien doit expliquer à un patient qu’il n’a pas accès à ses résultats d’IRM à cause d’une panne informatique. « Ces cas mettent les médecins en difficulté sans être trop éprouvants, comme le seraient des annonces de mort imminente », précise la directrice.

Ces exercices permettent aux futurs médecins de travailler leur capacité à écouter et gérer des situations délicates, tout en maintenant une relation de confiance avec leurs patients. « Les étudiants en médecine doivent, en huit minutes, identifier le motif de consultation tout en préservant une bonne relation avec le patient », détaille la professeure. Cette durée, correspondant à la moyenne des consultations en médecine générale en France, les oblige à travailler leur capacité d’écoute et leur gestion du temps.

L’apport du théâtre dans la formation médicale

Grâce à leur formation, les élèves du Cours Florent incarnent les patients avec réalisme. « Les étudiants en médecine trouvent cet exercice beaucoup plus enrichissant lorsque les rôles sont joués par des élèves comédiens que s’ils étaient interprétés par un soignant, ou un élève de la faculté de Santé », note Laure Gossec.

Après chaque simulation, un débriefing est organisé avec les enseignants de médecine et du Cours Florent pour analyser les aspects verbaux, non verbaux et para-verbaux de la communication. « Tout cela se fait dans un esprit de non-jugement et de bienveillance car l’objectif n’est pas de stigmatiser, mais de progresser ensemble en groupe, précise la rhumatologue. C’est aussi enrichissant pour les enseignants qui apprennent également beaucoup de ces séances. »

Ce partenariat bénéficie aussi aux élèves du Cours Florent, qui expérimentent le « théâtre hors des planches ». « Ils découvrent que leurs compétences artistiques peuvent servir à d’autres fins, comme améliorer la relation soignant-soigné », ajoute Laure Gossec. L'interaction entre futurs acteurs et futurs médecins crée un effet miroir intéressant, chacun apprenant de l'autre dans son domaine respectif.

Une pédagogie exigeante

Pour compléter les simulations théâtrales, l’enseignement s’appuie également sur d’autres outils pédagogiques comme des vidéos, des retours d’expérience de patients, ou des analyses des interactions filmées.

Par ailleurs, cet enseignement s'intègre dans un programme plus vaste qui aborde divers aspects de la relation médecin-patient. « Nous travaillons, par exemple, sur les préjugés, les violences sexuelles en médecine, l’annonce d’un décès en fonction de l’approche culturelle et familiale. Nous abordons également les discriminations, qu'il s'agisse des personnes en situation de handicap, obèses, ou transgenres, mais aussi des aspects comme la prise en charge palliative », détaille la rhumatologue.

Au total, les étudiants cumulent 46 heures d'enseignement sur ces thématiques entre la deuxième et la sixième année de médecine, « soit deux fois plus d'heures que celles dédiées à la cardiologie », ajoute Laure Gossec. Malgré un emploi du temps chargé, avec des semaines de près de 50 heures, les étudiants en médecine participent volontiers à ces cours, qui sont, également, pour certains d’entre eux, une opportunité d'introspection. « Parfois, cela leur permet de réaliser qu'ils ne souhaitent pas travailler dans le soin direct aux patients. Ils peuvent alors envisager des spécialisations plus techniques », note le Pr Gossec.

Après cinq années d’existence, le module Théâtre et relationnel est devenu une référence à la faculté de Santé de Sorbonne Université. Ce partenariat unique avec le Cours Florent contribue à former une nouvelle génération de médecins, à la fois compétents et attentifs aux besoins de leurs patients. « Nous sommes l'une des rares facultés, et peut-être la seule, à offrir un enseignement structuré sur la relation médecin-malade qui mobilise au total 1600 heures de cours. Un volume horaire qui reflète l’importance de la relation de soins accordée dans la formation des futurs médecins. », conclut Laure Gossec.

Par Justine Mathieu