Joséphine Baker en 1940, photographie Studio Harcourt.
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L’historien Éric Anceau défend la panthéonisation de Joséphine Baker

Entretien avec Eric Anceau.

Femme, Noire, artiste militante des droits humains, Américaine naturalisée française, résistante lors de la Seconde Guerre mondiale et francophile, il n’en fallait pas plus pour faire entrer Joséphine Baker au Panthéon, le 30 novembre 2021, à la demande du Président de la République. Éric Anceau, qui dirige l’axe Histoire politique de l’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe revient sur cet événement.

Quelles sont les raisons de la panthéonisation de Joséphine Baker ?

Éric Anceau : Le fait que ce soit une femme a indéniablement joué un grand rôle car le Panthéon n’en compte que cinq. C’est aussi une femme noire, américaine, qui réclame et obtient la nationalité française le 30 novembre 1937, au sommet de sa notoriété artistique, après avoir clamé que la France était le pays des Lumières, des droits de l’Homme et de l’égalité. Ce n’est donc pas anodin qu’Emmanuel Macron ait choisi cette date pour sa panthéonisation. Ajoutons que celle-ci résonne singulièrement dans notre actualité, avec la crise de la vente des sous-marins à l’Australie qui oppose la France aux États-Unis (EU), car Joséphine Baker opposait sa nouvelle patrie à l’ancienne, disant que la France n’était pas un pays raciste mais universaliste, qui lui avait ouvert les bras là où son pays d’origine l’avait rejetée en tant que Noire.

Elle était aussi une grande patriote française, qui a mis sa vie en péril pendant la Seconde Guerre mondiale. Après une tournée aux armées pendant la « drôle de guerre1 », elle s’est engagée dans les Services secrets français et a passé des microfilms dans son soutien-gorge pour protéger des parachutistes américains et dénoncer des nazis. Elle a aussi travaillé pour la Croix Rouge pendant et après la guerre. C’est une vraie représentante de la France libre, couverte de décorations, de la Légion d’honneur à la Croix de guerre, en passant par les Médailles de la Résistance, du Service volontaire, de la Croix rouge…

Elle a également soutenu le mouvement des droits de l’Homme et les droits civiques, n’est-ce pas ?

Absolument. Dans son rapport complexe à son pays d’origine, elle a notamment soutenu Martin Luther King et Fidel Castro, lors du renversement du dictateur cubain Batista. Et lorsque Che Guevara est mort, elle est intervenue publiquement. Elle a aussi adopté 12 enfants d’origines différentes qu’elle a élevés au Château de Milandes, en Dordogne, et qu’elle nommait sa « tribu arc-en-ciel ». Pour toutes ces raisons, elle est une excellente candidate à l’entrée au Panthéon. À la devise qui en barre le fronton : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », peut-être devrions-nous ajouter aujourd’hui « et aux grandes femmes » ?

Pourquoi êtes-vous intervenu dans la presse pour appuyer cette panthéonisation ?

J’estime que l’universitaire que je suis doit intervenir sur le forum lorsqu’il le juge nécessaire pour faire réfléchir nos concitoyens en leur donnant les éléments d’analyse. L’hebdomadaire Marianne m’a demandé cette tribune à la suite de l’annonce présidentielle. Reprenant l’idée lancée en 2013 par Régis Debray, j’avais réclamé cette panthéonisation au printemps, à l’occasion du 115e anniversaire de la naissance de Joséphine Baker. Elle remplissait à mes yeux toutes les conditions requises pour figurer au Panthéon, le temple laïc des gloires de notre République.


1 Début du conflit mondial, entre septembre 1939 et mai 1940