Inciter les élèves à contribuer au débat public les fait gagner en maturité et en estime de soi. Colorlife/Shutterstock
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Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?

À la faveur de la COP26, les appels à transformer l’éducation pour mieux répondre aux défis actuels se sont multipliés.

C’est ainsi que les convivialistes Renaud Hétier, François Prouteau et Nathanaël Wallenhorst nous rappellent « combien l’éducation peut être un outil politique de choix pour réapprendre à vivre ensemble », que François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) en appelle à faire des jeunes « les premiers citoyens de la planète » et qu’un collectif d’enseignants-chercheurs nous convie à renforcer dans les programmes « l’éducation scientifique au fonctionnement du climat ».

Un cercle vertueux, donc, qui consiste à transformer l’éducation afin qu’elle puisse, à son tour, transformer les citoyens et le monde dans lequel nous vivons. Un monde aux prises avec les enjeux systémiques du changement climatique, de la montée des inégalités, ou encore de la crise sanitaire. Nous sommes nombreux à partager ces principes. La question est de savoir par où commencer.

Enseigner dans un monde incertain

Or, si l’éducation et la transmission – des connaissances, des valeurs et des savoir-faire – sont incontestablement des terrains privilégiés d’expérimentation pour faire éclore un nouveau monde, elles sont aussi aux premières loges des impasses et des incompréhensions contemporaines.

Nous formons les futurs citoyens dans la perspective d’en faire de bons électeurs. Or de nombreux jeunes se détournent des urnes et trouvent d’autres moyens d’investissement politique, sur les réseaux sociaux, ou dans des mouvements comme « Youth for climate ». Nous attendons d’eux qu’ils construisent l’avenir – alors que leur anxiété quant au changement climatique ne fait que croître. Nous nous targuons de forger leur esprit critique – quand la critique à l’emporte-pièce progresse dans l’espace public. Un journal comme La Croix se voit contraint de publier un manifeste pour nous rappeler des règles aussi fondamentales que celle d’« écouter le point de vue de l’autre jusqu’au bout ». Nous prétendons leur transmettre l’amour de la démocratie – alors que nous sommes de plus en plus nombreux à douter des corps intermédiaires. On le voit, l’éducation doit être repensée dans ses objectifs, ses moyens, ses méthodes et ses contenus.

C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter de transmettre des savoirs de manière descendante, comme si nous savions tout, comme si le monde et les élèves n’avaient pas changé. Nous devons, au contraire, nous demander comment éduquer les nouvelles générations sur des questions mouvantes que nous avons nous-mêmes du mal à concevoir et qui sont pourtant la clef des enjeux politiques à venir.

Quoi de plus salutaire, dans ce contexte, que de renouveler les modes de production et de transmission des savoirs dans les établissements scolaires par la pratique du débat et de la concertation ? En effet, nous avons beaucoup à apprendre de la discussion collective, tout éducateur, philosophe ou chercheur que nous sommes. Car les questions d’éthique de la recherche, des nouvelles technologies ou de la bioéthique nous plongent sans cesse dans l’incertitude.

Apprendre à débattre

Il s’agit de faire de l’école un terrain d’expérimentation privilégié du débat public et un laboratoire d’idées. Pour faire un débat réussi, encore faut-il prendre la parole des élèves au sérieux, leur offrir un cadre serein où chacun puisse s’exprimer librement. Cela suppose d’encadrer la démarche par une méthodologie structurée, de définir clairement les objectifs de la concertation, et de rendre publics les résultats de leurs échanges. Et surtout, il faut leur proposer une perspective concrète : élaborer une charte, concevoir une cartographie des controverses transmise à des instances officielles, soumettre des recommandations dans le processus de révision d’une loi…

C’est ce que nous faisons par exemple avec le programme « Transmissions » de l’Espace éthique d’Île-de-France, en invitant des lycéens à participer depuis octobre à une consultation sur les techniques d’édition du génome. Celle-ci s’appuie sur une charte méthodologique, un dossier documentaire étayé et la rencontre avec des experts. Ce travail débouchera sur un rapport élaboré collectivement avec les lycéens et les étudiants et sera remis au Global Citizens Assembly on genome editing.

Cette méthodologie produit des savoirs autant qu’elle permet d’en transmettre : des compétences autour de la conduite et du déroulement d’une consultation citoyenne, mais aussi des connaissances citoyennes sur ce qui semble acceptable ou inacceptable dans les développements techniques contemporains. Ces savoirs seront précieux en vue de la préparation des prochains États généraux de la bioéthique.

Il existe de nombreuses autres initiatives qui vont dans ce sens comme la journée de réflexion des lycéens du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), la modélisation du Conseil de l’Union européenne au lycée français de Madrid, ou encore la participation de 170 enfants à la rédaction de la Charte parisienne des droits de l’enfant.

Gain d’estime de soi

À l’heure où les enseignants sont encouragés par l’Éducation nationale à parler du vaccin à leurs élèves, cette forme du débat pourrait être appropriée pour envisager des réalités scientifiques, sanitaires et politiques complexes et renouer le dialogue sur des thématiques très clivantes.

Selon Karine Demuth-Labouze, maître de conférences en biochimie et bioéthique à l’Université Paris-Saclay, cette méthode éducative par la contribution effective des élèves au débat public cumule de nombreux avantages, du gain de « maturité intellectuelle » » au « un gain d’estime de soi » :

« Les lycéens ayant suivi la formation ont majoritairement considéré que celle-ci avait influencé leur manière de réfléchir. […] 86 % d’entre eux ont eu des discussions éthiques avec leur entourage (parents, fratrie, famille proche et camarades) en marge de la formation. Enfin, 48 % pensent avoir envisagé au moins une situation ou une problématique sous l’angle du questionnement éthique depuis le début de la formation ».

Mais pour mener à bien ce type de démarche, encore faut-il y être encouragé, avoir le temps de mettre en œuvre des projets à l’interface entre les établissements scolaires et les acteurs de la société civile, redéfinir la posture de l’enseignant pour susciter les questionnements. En bref, créer des institutions et des établissements scolaires accueillants et ouverts à la parole des élèves.


Sébastien Claeys, professeur associé à la faculté des Lettres de Sorbonne Université, responsable du Master Conseil éditorial et responsable de la médiation à l'Espace éthique Île-de-France.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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