La passion physique d'une femme de plus de 70 ans, dans Les jeunes amants. Ex Nihilo Kare
  • The Conversation

Cinéma : la vie amoureuse et sexuelle des femmes n’aurait-elle plus de date de péremption ?

Soudainement, des femmes seniors apparaissent dans des rôles d’amoureuses, rompant avec un siècle d’invisibilité au cinéma. Ces avancées sont dues à des scénaristes, souvent féminines, soucieuses de montrer moins de « potiches » et plus de films répondant au test de Bechdel.

Soudainement, des femmes seniors apparaissent dans des rôles d’amoureuses, rompant avec un siècle d’invisibilité au cinéma. Citons Rose avec Françoise Fabian (78 ans), veuve qui redécouvre sa sexualité ; Les jeunes amants, histoire d’amour d’un couple interprété par Fanny Ardant (72 ans) et Melvin Poupaud (48 ans) ou Vous ne désirez que moi, sur les amours de Yann Andrea et Marguerite Duras (de 38 ans son ainée).

Alors que les femmes sont majoritaires parmi les cinéphiles et que plus de la moitié des Françaises majeures sont des seniors elles ne voient que très rarement les actrices vieillissantes à l’écran, dans des rôles importants. De quoi penser ou croire que la femme, après 50 ans, ne fait plus rêver. Le regard porté sur les femmes seniors est-il en train de changer ?

Une sorcière ou une rose fanée

Dans l’imaginaire collectif, la femme vieillissante est souvent rejetée. Elle effraie, surtout si elle est veuve et émancipée. Elle est assimilée à la figure dangereuse de la sorcière : cheveux sales, monstrueuse, explique Mona Chollet.

À la Renaissance, les poèmes de Ronsard invitent les femmes à profiter du temps de leur jeunesse car telle la rose, la femme se fane du jour au lendemain. Ronsard dédie ses poèmes à Cassandre, 14 ans… Marot, de son côté, dépeint « le Laid tétin » de la vieille contre « le beau tétin » de la jouvencelle. En peinture, les tableaux de Goya illustrent le corps repoussant de la vieille mère maquerelle.

Le 19e siècle et le réalisme n’épargnent pas la femme vieillissante. Géricault peint la Vieille italienne en 1820. Les romantiques valorisent les jeunes filles pures et évanescentes, chaperonnées par de vieilles duègnes ridiculisées lorsqu’elles croient encore à l’amour. La femme de trente ans est déjà vieille pour Balzac. Même les femmes exceptionnelles, telle Camille Maupin, dans l’œuvre éponyme de Balzac, sont invitées à se sacrifier et céder la place à plus jeunes qu’elles.

À la jeune fille, le rôle d’amoureuse, aux plus âgées le rôle de femme de chambre ou marâtre.

Pourtant, Balzac s’inspire librement de son amie George Sand, qui eut des amants célèbres : Musset, Chopin ou Mérimée. Elle vécut quinze ans avec Manceau ; elle l’avait rencontré à 45 ans, il en avait 32.

Dans Chéri, en 1920, Colette décrit les amours d’une courtisane de cinquante ans, Léa de Lomval, avec son amant Chéri. Elle cède sa place à la jeune Edmée mais sera regrettée. Colette a elle-même épousé Henri de Jouvenel, puis eu une relation avec Bertrand, fils de son mari, âgé de 16 ans. Les femmes épanouies qui vivent librement leur sexualité après 30 ans ont existé et perdurent. L’écart d’âge de 23 ans du couple présidentiel américain, Mélania et Donald Trump, a été peu commenté, quand le même écart entre Brigitte et Emmanuel Macron a étonné le monde. Il rompait avec la tradition d’exclure la femme de plus de cinquante ans du cercle des personnes admirables et aimables, en particulier pour un homme plus jeune qu’elle.

Des stéréotypes ancrés sur grand écran

Le cinéma a longtemps maintenu ces stéréotypes en proposant une image différente des hommes et femmes prenant de l’âge. Les actrices de plus de 50 ans étaient seulement 6 % à avoir des rôles au cinéma en 2018, 9 % en 2020 (Brut). Le phénomène a été dénoncé aux États-Unis comme en France. Dans une tribune du monde en 2018,les fondatrices du mouvement AAFA – Tunnel des femmes de 50 ans invitaient à un changement, pour rompre avec ce tunnel d’invisibilité dans lequel entraient les quinquagénaires pour en ressortir dans des rôles de grand-mères.

Les jeunes femmes sont toujours invitées, comme Julia Roberts dans Pretty woman à fantasmer sur les cheveux grisonnants de Richard Gere. Quand ils sont à la réalisation, les acteurs vieillissent, mais pas leurs conquêtes. Quand Franck Dubosc, Dany Boon ou Daniel Auteuil prennent de l’âge, leurs partenaires rajeunissent.

On assiste parfois à une réécriture absurde de la réalité : dans le film Eiffel (2021), l’histoire d’amour de Gustave Eiffel est jouée par Romain Duris (45 ans) et Emma McKey (25 ans),ils sont censés se retrouver vingt ans après leur première relation. Elle aurait eu 5 ans !. C’est le « male glaze », le point de vue dominant masculin, qui donne cette vision déformée de la réalité. En 2020, 88 % des films diffusés à la télévision française sont réalisés par des hommes. Au cinéma, c’est jusqu’à 76 % des films selon les années. Ils imposent un certain regard sur l’amour, le désir et la beauté des femmes, trop souvent stéréotypé.

Des femmes derrière la caméra

Au cinéma, en 1992, dans La Crise de la réalisatrice Colline Serreau, Maria Pacôme revendiquait le droit d’avoir un amant. Elle exprimait son plaisir physique et sa libido retrouvée avec son nouvel amant, face à ses enfants adultes (Vincent Lindon et Zabou Breitman) scandalisés.

Depuis, le désir féminin a pris peu à peu place sur nos écrans.

Des séries ont proposé d’autres visions sur la sexualité féminine à tout âge : telles les héroïnes de Sex and the city et de sa suite And Just Like That ou récemment la série Sex Education de Laurie Nunn avec la thérapeute sexologue, Jean Milburn jouée par Gillian Anderson, dont la vie sexuelle n’a rien à envier aux adolescents. Dans la seconde saison d’Emily in Paris, l’héroïne se fait voler la vedette par sa chef française (Philippine Leroy-Beaulieu, 58 ans), qui a de nombreux amants, certains plus jeunes qu’elle.

Désormais, quelques septuagénaires occupent aussi des premiers rôles : c’est le cas dans Grace et Frankie, où Jane Fonda et Lily Tomlin découvrent que leurs maris ont une relation homosexuelle.

La série Nona et ses filles (2021) de Valérie Donzelli et Clémence Madeleine-Perdrillat avec Miou-Miou, met en scène cette dernière enceinte à soixante-dix ans.

Certains réalisateurs leur emboîtent le pas : citons Alain Guiraudie qui filme Noémie Lvovsky en prostituée dans Viens je t’emmène. L’actrice de 57 ans a déclaré dans Télérama que pour le réalisateur, filmer son corps nu était un acte politique.

Les efforts pour la parité

Ces avancées sont dues à des scénaristes, souvent féminines, soucieuses de montrer moins de « potiches » et plus de films répondant au test de Bechdel. Ce test établit trois critères pour une représentation non sexiste : la présence d’au moins deux personnages féminins dont on connaît le nom, et qui parlent ensemble d’autres sujets que des hommes.

Les films réalisés par des femmes, offrent des rôles inédits aux actrices. Laure Calamy, révélée dans Dix pour cent et César de la meilleure actrice en 2021 pour Antoinette dans Les Cévennes déclarait ainsi dans un magazine féminin :

« Avec le déploiement des femmes dans des postes à responsabilités, à la réalisation par exemple, des actrices peuvent émerger plus “tardivement”. Quand j’étais plus jeune, on me disait que si je n’avais pas fait de cinéma à 30 ans, il fallait oublier. Ce n’est plus vrai. Après la “jeune première”, il faudrait inventer le concept de « vieille première » ! C’est beau de voir que les rôles deviennent de plus en plus complexes pour les quadragénaires qui, du fait de leur expérience, peuvent apporter du relief aux récits. »

Si certains réalisateurs, tel Pedro Almodovar, ont toujours montré des femmes de tous âges, ce sont souvent des réalisatrices qui présentent une autre vision du corps féminin, plus complexe, plus bienveillante, par un cadrage différent.

Dans le film Rose, Aurélie Saada questionne les injonctions qui pèsent sur le corps et la vie des femmes qui vieillissent, en mettant en scène une veuve de 78 ans (Françoise Fabian) qui redécouvre son corps, son désir et sa sexualité.

Carine Tardieu, dans Les jeunes amants, avec Fanny Ardant et Melvin Poupaud, raconte l’histoire d’amour de Fiona, 71 ans, grand-mère et amante d’un homme de 48 ans, bien acceptée par sa fille. La première scénariste avait d’ailleurs écrit ce sujet en s’inspirant de l’histoire de sa mère. Et la réalisatrice a tenu à filmer sans filtre aucun le corps de Fanny Ardant.

Claire Simon dans Vous ne désirez que moi, s’attarde sur la relation de Marguerite Duras et Yann Andréa, l’auteur de Cet Amour là. Il était 38 ans plus jeune, homosexuel, ce n’était pas une relation traditionnelle, mais une histoire d’amour à part entière.

Cette ouverture offre enfin aux spectatrices seniors – et à tous les autres – la possibilité de voir reconnues et sublimées sur la toile des femmes de leur âge.

C’est aussi grâce à un engagement pour la parité que ces films ont pu émerger : celui du CNC, au travail de l’AAFA, de Femmes de cinéma ou encore du collectif 50/50.

Côté palmarès dans les festivals, la visibilité des femmes est encore très faible. Une seule femme a reçu le César de la meilleure réalisatrice (Tonie Marshall, en 2000). En 2021, la palme d’or à Cannes était obtenue pour la seconde fois de son histoire seulement par une jeune réalisatrice, Julia Ducournau. En Février 2022, la Berlinale a primé la réalisatrice Claire Denis pour son film Avec amour et acharnement.

Enfin, le western de Jane Campion The Power of the dog a obtenu trois statuettes aux Oscars 2022, dont celle de meilleure réalisatrice – Campion étant la première femme à avoir reçu une palme d’or à Cannes, en 1993. Espérons que cette ouverture récente sur le regard des femmes, sur la façon dont elles se voient ou sont représentées (le « female gaze » théorisé par Laura Mulvey) perdure et permette de montrer la diversité de la diversité des corps, des amours et des désirs.


Sandrine Aragon, chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation