• Communiqué de presse

Observation marine : caractériser des millions d’images de plancton et de neige marine acquises dans la colonne d’eau pour comprendre les cycles des océans

Une équipe internationale[1] associant notamment le Laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV, Sorbonne Université/CNRS) et le Laboratoire de Recherche International Takuvik (UL – Canada/CNRS) a développé un instrument et mis au point une méthode pour caractériser individuellement et catégoriser des millions d’images d’organismes planctoniques et de particules de neige marine, « flottant » dans la colonne d’eau. Capturées directement in situ lors de la floraison printanière planctonique dans l’océan Arctique, ces images ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre les cycles des océans et mieux appréhender leur rôle dans le cycle global du carbone et la régulation du climat. Les résultats de ces études ont été publiés le 15 janvier dans la revue Limnology and Oceanography et le 15 mai dans Nature Communications.

  • Lars Stemmann, professeur à Sorbonne Université et chercheur au Laboratoire d'Océanographie de Villefranche

Les écosystèmes pélagiques occupent le plus grand espace de vie de notre planète et participent des grands équilibres biogéochimiques et climatiques. Pour cette raison, l’IOC (Intergovernmental Oceanographic Commission of UNESCO) a déclaré la période 2020-2030 « décennie des océans » et soutient, en particulier, les efforts d’observation.

L’observation des océans et notamment des organismes marins vivants, dont la plupart sont du plancton est difficile car le milieu marin impose de lourdes contraintes techniques (immensité, pression, corrosion, etc.). Il en va de même pour les particules et agrégats dérivant de l’activité du plancton en surface et coulant vers les profondeurs sous forme de « neige marine », lesquels, de surcroît, sont particulièrement fragiles. Les caméras sous-marines sont un moyen efficace et rapide d’obtenir des informations sur chacun des objets présents dans la colonne d’eau. Durant les 20 dernières années, une équipe du Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (Sorbonne Université/CNRS) a développé de telles caméras, maintenant commercialisées dans le monde entier et pour lesquelles l’équipe assure une partie du contrôle qualité et l’hébergement des données. Grâce à ces appareils, des dizaines de millions d’images de plancton mais surtout de neige marine (85% des images), ont pu être enregistrées. Leur tri et leur identification constituent des étapes essentielles pour comprendre la dynamique de la production biologique dans la surface des océans et l’export de cette matière en profondeur, où le carbone sera séquestré sur le long terme.

 

Une nouvelle méthode pour étudier le plancton et la neige marine

Les deux articles complémentaires publiés cette année proposent une nouvelle méthode capable d’une part, de synthétiser rapidement l’aspect visuel de chacune des nombreuses images collectées, permettant ainsi d’accéder aux caractéristiques individuelles des organismes planctoniques, et d’autre part, de catégoriser de façon objective les images de neige marine présentant un continuum d’aspect. Ces images ont été acquises par la caméra développée au LOV (Underwater Vision Profiler 5) durant la période de floraison planctonique qui succède à la fonte printanière de la banquise Arctique, en Baie de Baffin (Vilgrain et al 2021, Trudnowska et al., 2021) et dans le détroit de Fram (Trudnowska et al., 2021), entre 0 et 1000 m de profondeur. Elles ont ensuite été classées dans des groupes biologiques, en associant une prédiction par un réseau neuronal convolutif et une validation par des experts taxonomistes, séparant ainsi les images de différents organismes du plancton de celles de la neige marine.

Les auteurs ont alors utilisé les descripteurs morphologiques mesurés sur chaque objet pour déterminer objectivement les caractéristiques visuelles principales de centaines de milliers d’images de plancton et de millions d’image de neige marine. Ainsi, il a été possible d’associer aux organismes et à la neige marine des informations supplémentaires importantes pour comprendre le fonctionnement de l’écosystème pélagique.  La méthode mise au point ouvre des possibilités importantes pour de nombreuses applications en écologie marine, en particulier pour estimer plus précisément les flux verticaux de particules biogènes dans les premiers kilomètres des océans, qui contribuent largement au cycle global du carbone et à la régulation du climat.

 

Mieux comprendre la dynamique fine des systèmes écologiques

Cette analyse morphologique automatique des images a l’avantage d’être simple mais surtout versatile : elle avait initialement été développée et appliquée pour étudier la structure des communautés de plancton ou quantifier le flux vertical de neige marine révélant alors des gradients écologiques inaccessibles pour les méthodes d’observation traditionnelles. En effet, les données de comptage de chaque espèce et l’abondance de la neige marine, habituellement utilisées en écologie, permettent de s’interroger sur le type d’espèces, la quantité de particules et la raison de leur présence.

Cette nouvelle approche morphologique individuelle appliquée au zooplancton (Vilgrain et al., 2021) permet d’élargir ce questionnement à : sont-ils dans une position active ou au repos ? Sont-ils transparents ou bien nourris et colorés ? Interagissent-ils entre eux ? etc. Appliquée à la neige marine (Trudnowska et al., 2021), l’ajout de l’information morphologique permet de mieux comprendre les sources de neige marine, les processus d’agrégation de la matière et quantifier plus finement leur importance dans la séquestration du carbone. Toutes les questions sont excitantes car elles permettront de mieux comprendre la dynamique fine des systèmes écologiques, observés directement in situ.

 

Dans un futur proche, ce type de caméras contribuera à une observation massive des océans et augmentera encore le flux d’images et d’informations à traiter, afin de répondre à des questions fondamentales sur le fonctionnement des écosystèmes, leur santé et leur évolution. La caractérisation et la catégorisation de ces images sous-marines est encore à perfectionner mais l’exploitation de l’ensemble des informations morphologiques qu’elles contiennent semble aujourd’hui un défi possible à relever et porteur de grandes promesses.

 


[1] Ont également participé à cette étude : l’Institute of Oceanology (Polish Academy of Sciences), le Department of Earth System Science (Stanford University), et l’Institute for Ecosystem Research (Kiel University).

Références:

Trait‐based approach using in situ copepod images reveals contrasting ecological patterns across an Arctic ice melt zone, Vilgrain L, Maps F, Picheral M, Babin M, Aubry C, Irisson J-O, Ayata, S-D. 2021. Limnology and Oceanography. 66(4):1155-1167.
doi:  10.1002/lno.11672


Marine snow morphology illuminates the evolution of phytoplankton blooms and determines their subsequent vertical export, Trudnowska E, Lacour L, Ardyna M, Rogge A, Irisson J-O, Waite A M, Babin M, Stemmann L. 2021. Nature Communications 12: 2816–2816.
doi: 10.1038/s41467-021-22994-4