
Sakina-Dorothée Ayata
Chercheuse au LOCEAN et maîtresse de conférences
Le plancton, c’est à la base de tout. Comprendre comment il fonctionne, c’est comprendre comment l’océan respire.
Spécialiste du plancton marin, Sakina-Dorothée Ayata explore la diversité fonctionnelle de ces organismes microscopiques essentiels au bon fonctionnement des écosystèmes océaniques. Chercheuse au laboratoire LOCEAN et maîtresse de conférences à Sorbonne Université, elle mobilise la modélisation, l’imagerie et la médiation scientifique pour mieux comprendre – et faire comprendre – la vie océanique.
Rien au départ ne prédestinait Sakina-Dorothée Ayata à devenir océanographe. « Petite, je voulais faire de la recherche et de l’enseignement, mais l’Océan n’était pas encore dans l’équation. » Après des études en biologie cellulaire à l’École normale supérieure, c’est à Sorbonne Université qu’elle a eu une révélation. Attirée par les stages de terrain proposés en station marine, elle choisit un module d’écologie marine.
À l’Institut de la Mer de Villefranche-sur-Mer (IMEV), elle découvre le plancton : sa diversité, sa beauté, sa complexité. « J’ai trouvé ça fascinant, et j’aimais bien le fait que ça flotte dans la mer. » Ce sera le fil rouge de toute sa carrière.
Plongée dans la diversité fonctionnelle
Dans l’océan, la diversité ne se résume pas à un simple inventaire d’espèces. C’est leur fonction dans l’écosystème que Sakina-Dorothée Ayata s’attache à décrypter. Taille, régime alimentaire, comportement migratoire, cycle de vie… Elle s’intéresse à la diversité fonctionnelle, celle qui permet de comprendre comment les espèces interagissent avec leur environnement. « Ce qui va m’intéresser, c’est plutôt de savoir : est-ce qu’un organisme est grand, est-ce qu’il est petit, est-ce qu’il est herbivore ou carnivore, est-ce qu’il migre ? » explique-t-elle. Ces caractéristiques ont un impact direct sur les dynamiques écologiques.
L’un de ses projets, mené en Méditerranée dans le cadre de la thèse de son premier doctorant, Fabio Benedetti, portait sur les petits animaux du plancton, et plus particulièrement sur les copépodes, de minuscules crustacés planctoniques. Pour étudier leur avenir face au changement climatique, la chercheuse a utilisé des modèles de niches environnementales, qui permettent de simuler la distribution future des espèces selon différents scénarios.
Les copépodes, qui mesurent généralement plus de 200 microns à l’âge adulte, sont plus petits en Méditerranée, mais extrêmement diversifiés : plus de 500 espèces y ont été recensées. Les résultats prédisent une tendance à la baisse du nombre d’espèces dans l’ensemble du bassin en raison du changement climatique.
Ces projections ont été confrontées aux caractéristiques des copépodes afin d’évaluer les répercussions sur la diversité des rôles écologiques. Même si certaines espèces risquent de disparaître, il semble que les fonctions principales qu’ils assurent en Méditerranée pourraient être préservées d'ici à 2100. En effet, plusieurs espèces peuvent remplir des rôles similaires, ce qui offre une sorte de « filet de sécurité ». Mais cette redondance a ses limites, prévient la chercheuse : « Si les extinctions continuent, certaines fonctions clés pourraient finir par disparaître, elles aussi ».
Un projet phare : TRAITZOO
Depuis 2023, Sakina-Dorothée Ayata coordonne TRAITZOO, un projet ambitieux soutenu par l’ANR et qui combine technologies de pointe et intelligence artificielle. À partir de centaines de millions d’images de plancton collectées notamment à l’IMEV, son équipe de recherche analyse les traits fonctionnels des organismes marins et leurs caractéristiques individuelles.
Deux types d’imagerie sont mobilisés : un scanner qui capte des images haute définition d’organismes fixés, et une caméra sous-marine qui filme les individus vivants. « Ce qui est nouveau, c’est qu’on ne regarde pas seulement l’espèce. On observe à quoi ressemblent vraiment les organismes, à l’échelle individuelle. »
Ce regard novateur permet d’interpréter les comportements biologiques. En Arctique, par exemple, les images révèlent que les copépodes actifs déploient leurs antennes au printemps alors que, sous la banquise, ils les gardent le long du corps en état de dormance.
Un autre volet de ses travaux s’intéresse à la capacité de ces organismes à séquestrer le carbone, via la production de pelotes fécales. « On essaie même d’identifier les crottes de copépodes sur les images pour mesurer leur impact sur l’export de carbone. »
Une science qui se partage
Depuis 2023, Sakina-Dorothée Ayata est également titulaire d’une chaire de médiation scientifique à l’Institut Universitaire de France. Cela lui permet de consacrer plus de temps à la vulgarisation, notamment via sa chronique radio Plongée dans les océans sur Euradio.
Mais son engagement va plus loin. Avec Médiation Plancton, un projet soutenu par Sorbonne Université dans le cadre de ses initiatives jeunes publics, elle intervient dans une école maternelle classée en réseau d’éducation prioritaire à Paris. « Ils comprennent bien, ils sont très ouverts, ils n’ont pas d’a priori. » Grâce à des jeux de plateau, des figurines imprimées en 3D et des ateliers adaptés, les plus jeunes découvrent la vie marine de manière ludique. « On a créé un jeu avec lequel les enfants font avancer leur plancton avec des dés. L’idée, c’est de construire du contenu pédagogique qu’on pourra réutiliser dans d’autres écoles. »
Une chercheuse pleinement engagée
Sakina-Dorothée Ayata est aussi coresponsable d’un parcours du master Sciences de la mer à Sorbonne Université. Elle y enseigne la modélisation et les statistiques appliquées à l’océanographie, et intervient régulièrement à la Station biologique de Roscoff.
Recrutée initialement à l’IMEV en 2012, elle a rejoint le Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numérique - LOCEAN - à Paris en 2021. Ses activités oscillent entre encadrement de jeunes chercheuses et jeunes chercheurs, développement de projets pédagogiques et publications scientifiques.
En connectant disciplines, publics et générations, Sakina-Dorothée Ayata contribue à rendre visible l’invisible, et à redonner toute sa place à un monde planctonique souvent oublié, mais fondamental. « Le plancton, c’est à la base de tout. Comprendre comment il fonctionne, c’est comprendre comment l’océan respire. »
Dans le sillage du plancton avec Futura
Dans un épisode de son podcast, réalisé en partenariat avec Sorbonne Université, le média Futura donne la parole à Sakina-Dorothée Ayata. La spécialiste du plancton y dévoile, avec pédagogie et clarté, le rôle fondamental de ces organismes encore trop méconnus, mais essentiels à l’équilibre de notre planète.
Ecoutez-le !