Pierre Gonneau

Pierre Gonneau

Enseignant-chercheur sur le monde russophone

L’histoire de la Russie est jalonnée d'événements imprévisibles, c’est précisément cela qui la rend fascinante.

Pierre Le Grand, Nicolas II, Ivan le Terrible…L’histoire de ces personnages, Pierre Gonneau la connaît sur le bout des doigts. Et pour cause ! Voilà bientôt quarante ans qu’il travaille sur le monde russophone. Il s’est toutefois spécialisé sur une période précise de l’histoire de cette civilisation :  de ses origines jusqu’au XVIIIe siècle. Rencontre avec cet enseignant-chercheur et directeur de l’UFR d’études slaves à Sorbonne Université. 

Nous sommes le 24 février 2022. À l’aube, la Russie de Vladimir Poutine lance son armée pour conquérir l’Ukraine. Le monde entier est pris de court. Y compris Pierre Gonneau, pourtant fin observateur de la Russie. Âgé de 60 ans, le nouveau directeur de l'UFR d'études slaves de Sorbonne Université et aussi enseignant-chercheur. Sa spécialité ? Le monde russophone, de ses origines jusqu’au XVIIIe siècle, tout en observant scrupuleusement l’actualité et les enjeux contemporains liés à la Russie. Ce qui ne l’a pas empêché d’être surpris comme tout le monde. « À l’instar de l'invasion en Ukraine, l’histoire de ce pays est jalonnée d'événements imprévisibles, c’est précisément cela qui la rend fascinante. » 

A la découverte de l’histoire ancienne de la Russie

Son intérêt pour le monde russophone remonte à une quarantaine d’années. À Bordeaux, sa ville d’origine, Pierre Gonneau choisit d’apprendre le russe au lycée. À travers la langue, l’adolescent découvre la culture de ces pays : la littérature, l’histoire, l’opéra, etc. Vient ensuite le moment des études supérieures. Pierre Gonneau a déjà un objectif en tête : devenir historien. Il intègre en 1980 la prestigieuse École nationale des chartes à Paris. Mais au moment de choisir son sujet de thèse, le doute s’immisce dans son esprit. « Je n’avais pas spécialement envie de me circonscrire à étudier l’histoire de France. J’ai donc décidé d’élargir mon champ de recherche à la Russie et aux autres pays parlant le russe. » 
Après quelques recherches, il trouve son sujet, sur lequel il planche pendant plusieurs années : l’histoire méconnue en France du monastère de la Trinité-Saint-Serge, un important centre spirituel orthodoxe datant du XIVe siècle, situé à environ 75 km de Moscou, et qu’il est toujours possible de visiter aujourd’hui. 

Un sujet de thèse original, publié en 1993, qui traduit la volonté du chercheur de se démarquer. Car qu’on ne s’y trompe pas : de nombreux chercheurs en France s’intéressent au monde russophone, lequel est relativement bien documenté. Pour Pierre Gonneau, au moment de commencer sa carrière de chercheur, il s’agit alors de travailler sur les angles morts de cette histoire, ceux qui sont restés relativement inexplorés jusque-là en France. C’est ce qu’il fera dans ses ouvrages, intimement liés à la vieille histoire de Russie. Il se consacre entre autres à l’écriture d’un manuel sur les origines de la Russie jusqu’à Pierre le Grand. Un autre suivra sur la période de ce même Pierre le Grand à Nicolas II. Ou encore un sur l’histoire des Tsars, d’Ivan Le Terrible à Nicolas II. Il écrira aussi une biographie sur Ivan Le Terrible, « sans doute le personnage qui m’a le plus marqué ». 

Témoin oculaire des bouleversements historiques contemporains 

Prolifique, Pierre Gonneau a publié son dernier livre en mars 2022 : une édition à propos des anciennes chartes russes de 1192 à 1347. Des documents officiels (traités, compte-rendu judiciaire, etc.), « étonnamment restés intacts au fil des siècles », qu’il a traduits en français, et dont il a réalisé l'étude approfondie avec ses collègues archivistes de Riga (Lettonie) où les documents sont toujours conservés. S’immerger directement en se rendant sur place, Pierre Gonneau l’a fait à maintes reprises durant sa carrière, « surtout des années 1970 à la fin des années 1990 ». Une période au cours de laquelle il a traversé les époques, témoin oculaire des chamboulements historiques du monde russophone contemporain. « J’ai aussi bien assisté à ce qu’était l’URSS, en passant par la chute du mur de Berlin en 1989 qui a inexorablement conduit à celle de l'Union soviétique deux ans plus tard, ou encore aux années Eltsine où une ère nouvelle s’est installée en Russie. C’était passionnant à observer. »

Aujourd’hui, Pierre Gonneau observe ce qui se passe en Ukraine... et cette novlangue employée par le président russe actuel Vladimir Poutine, nourrie de nostalgie à l’égard de la grandeur déchue de la Russie du temps des Tsars. « Selon le prisme de chacun, il est flagrant de voir que l’Histoire d’une civilisation peut être écrite de différentes manières. Vladimir Poutine a la sienne, mais d’autres russophones ont la leur. Et mon travail de chercheur nécessite justement de rester neutre. De me rapprocher factuellement de la véritable Histoire. »