Joséphine Staron

Docteure en philosophie et directrice d'étude et relations internationales d'un think tank

Nous avons une vraie valeur ajoutée dans notre manière de raisonner, de poser nos arguments, d’expliquer nos idées, de prendre de la hauteur.

Joséphine Staron a soutenu sa thèse en juin 2020 et intégré à temps plein Synopia, le think tank pour lequel elle avait travaillé à temps partiel durant sa thèse. Occupant désormais le poste de directrice des études et des relations internationales, elle nous raconte comment elle en est arrivée là.

Joséphine Staron, pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Joséphine Staron :
Diplômée d’un master philosophie politique et éthique de la Sorbonne, j’ai développé le goût de la recherche à travers mes études. Pendant mon master, j’ai eu la chance de faire deux stages, l’un à la fondation pour l’innovation politique et l’autre à la Fondation Robert Schuman, spécialisée dans les questions européennes, ce qui a renforcé mon intérêt pour ces sujets. J’ai décidé de continuer en thèse dans l’école doctorale Concepts & Langage et j’ai choisi de la financer en travaillant dans un think tank. Mon sujet de thèse se prêtait au concret. J’ai travaillé sur la question de la solidarité européenne du point de vue de la philosophie contemporaine. 

Pourquoi avoir choisi de travailler pour un think tank ? 
J.S. :
En licence, j’ai fait des stages courts dans la presse nationale. Il manquait le temps long, la profondeur de l’investigation, le temps de vérifier les sources que j’avais à l’université. J’ai cherché ce qui s’apparenterait à de la recherche et j’ai découvert les think tank. Dans les journaux, beaucoup d’articles citent leurs présidents et je me suis demandé qui étaient ces gens. Les think tank sont des laboratoires de recherche mais à titre privé ou associatif. Ces structures sont composées de chercheurs ou de professionnels dans différents secteurs, des experts qui font des publications, organisent des évènements à destination du grand public, d’entreprises ou institutions. Ce sont des lobbies d’idées générales qui ne rapportent pas d’argent.

Dans le cadre de mon mémoire de master, j’ai auditionné le président du think tank dans lequel je travaille aujourd’hui : Synopia. Ce think tank travaille sur les questions de gouvernance selon deux axes : la gouvernance institutionnelle, notamment la réforme des institutions et de l’État, et la gouvernance d’entreprise, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’éthique, la manière dont les entreprises partagent la valeur qu’elles produisent avec l’ensemble de leurs collaborateurs, collaboratrices, actionnaires et les territoires, populations où elles sont implantées. 

Parmi vos compétences acquises pendant le doctorat, quelles sont celles qui ont intéressées le think tank ?
J.S. :
Ce qui intéresse le monde professionnel, c’est l’esprit de synthèse et la méthode de raisonnement. Cette méthode est devenue presque naturelle car tellement travaillée sur une longue période. Notre manière de penser, quand nous l’appliquons au monde professionnel, est assez originale. Nous avons une vraie valeur ajoutée dans notre manière de raisonner, de poser nos arguments, d’expliquer nos idées, de prendre de la hauteur. Avec les recherches menées dans le cadre de nos doctorats, nous sommes en lien avec des opinions et raisonnements contradictoires, des arguments différents à nuancer et nous devons trouver des positions intermédiaires. Tout le monde n’a pas ces compétences, cette faculté de raisonnement, d’argumentation, de synthèse des sujets. Quand un problème est soumis à un docteur, il a cette faculté d’identifier différents angles à partir desquels aborder la question. C’est très valorisant et valorisé, mais encore faut-il le mettre en avant.

Parmi les compétences recherchées, il y a aussi la capacité de rédaction. Il y a vraiment une différence entre ceux qui ont l’habitude d’écrire, d’organiser leurs pensées selon un plan précis et les autres. Les docteurs sont un peu partout dans les think tank mais la difficulté est qu’aucun de nous ne se revendique docteur de manière naturelle. Suite à une remarque pertinente, il y a 6 mois, dans ma signature professionnelle de mail, j’ai écrit maintenant Dr Joséphine Staron. 

Continuez-vous à publier dans différentes revues ?
J.S. :
Mon directeur de thèse m’a incité à continuer à valoriser mon doctorat dans le monde de la recherche après ma soutenance. J’ai continué à publier dans des revues universitaires, mais en parallèle aussi dans la presse. Une de mes missions est de mettre en avant les thèses que j’ai défendues, je considère qu’elles sont d’intérêt général et qu’elles peuvent apporter quelque chose au débat public. 

Vous êtes présente dans tous les médias. La soutenance vous a-t-elle aidé dans la facilité de prise de parole ?
J.S. :
Le moment le plus stressant de toute ma vie a été la soutenance ! Les passages médias sont beaucoup moins stressants à côté... Car l’enjeu est bien moindre. Le fait d’avoir soutenue ma thèse me rend plus crédible et ça m’a donné une réelle confiance en moi que je n’avais pas avant. 

En France, il y a actuellement des échéances d’élections présidentielles. Comment y contribuez-vous ?
J.S. :
C’est une période d’effervescence pour tous les think tank. Tous les 5 ans, c’est le moment de concrétisation de ce qu’un think tank peut publier comme réflexion. Nous avons édité un rapport en début d’année qui compile une soixantaine de nos propositions phares sur la réforme de l’État et des institutions. Il a été envoyé à tous les ministères, les députés, les sénateurs, toutes les collectivités concernées, mais aussi à tous les candidats à l’élection présidentielle et au Président de la République.

Nous souhaitons être reçus pour présenter et expliquer nos propositions en espérant que certaines puissent être reprises. Dans la campagne présidentielle, actuellement, il y a très peu de débat sur les questions institutionnelles. Nous faisons donc du lobbying auprès des médias et des candidates et candidats pour que ces questions soient abordées. Tout l’enjeu des think tank est de contribuer à la richesse du débat public. Le vrai retour sur investissement, c’est la diffusion large de nos idées.

Concrètement, comment travaillez-vous ?
J.S. :
Le point de vue des citoyennes et citoyens est ce qui nous intéresse en premier lieu, sur la manière dont ils sont gouvernés et la perception d’une bonne ou d’une mauvaise gouvernance. Nous regardons beaucoup les enquêtes d’opinion et les sondages et nous confrontons les résultats ensuite à la réalité des faits. Prenons par exemple la question du sentiment d’injustice du système judiciaire partagé par 75 % des français et françaises. Ce sentiment n’est pas complètement fondé, mais si la perception existe, c’est que quelque chose ne va pas. Nous allons donc interroger des magistrats, des syndicats de magistrats, de policiers, le ministère de la Justice, des associations, toutes les parties prenantes de cette question.

Nous avons besoin de comprendre, d’évaluer les besoins et les attentes, ainsi que la réalité des faits, avant de faire des propositions. Comme nous auditionnons souvent des personnalités en poste qui ne peuvent pas s’exprimer publiquement, la plupart de ces auditions se font sous la règle de Chatham house, qui garantit la confidentialité et l’anonymat des échanges. 

Quels conseils pourriez-vous communiquer aux doctorantes et doctorants sur leur poursuite de carrière ? 
J.S. :
N’attendez pas la fin de votre thèse ou d’avoir soutenu pour réfléchir au projet professionnel. La thèse est aussi un travail sur soi. Il ne faut pas hésiter à vous questionner, même si vous avez l’impression que cela va vous faire perdre un peu de temps. Si vous avez l’occasion de faire des stages et rencontrer des chefs d’entreprises, des think tank, des associations, allez-y. Ce n’est pas du temps perdu parce que c’est du temps pour vous.  

Autre conseil : mettez-vous en avant. Vous êtes légitime et la société reconnaît de plus en plus le doctorat comme un diplôme crédible. Lors des entretiens, montrez à quel point vous êtes méthodique, rigoureuses ou rigoureux et que vous savez raisonner. Grâce à la méthode acquise en doctorat, je peux m’intéresser, écrire, et parler de sujets qui sont loin de ma spécialité. Dans mon quotidien, je travaille 1/3 sur les questions européennes, les 2/3 restants sont sur des sujets divers de gouvernance. Cette méthode permet de dédramatiser l’absence de connaissance. Il faut d’abord saisir les enjeux principaux et petit à petit entrer dans le sujet.

Par ailleurs, n’hésitez pas à faire des candidatures spontanées. Et elles fonctionnent encore mieux avec le soutien du réseau. Les Think tank travaillent toujours en flux tendu à cause du financement. Dès qu’une personne part, la charge de travail devient très difficile à assumer. Tout de suite, il y aura un nouveau recrutement. Ce sont des petites structures, c’est humain de vouloir chercher des personnes connues ou recommandées. L’effet du réseau est important. Pour moi, ce sont les stages et les interviews que j’ai menées dans le cadre de mon mémoire qui m’ont permis de me faire connaître dans ce milieu. 


Pour en savoir plus sur les think tank 
Annuaire de la transparence de la vie publique