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Felicity Bodenstein

Chercheuse au musée du Quai Branly-Jacques Chirac

J’ai toujours été curieuse de connaître la provenance des objets d’art

Felicity Bodenstein ne se contente pas de connaître l’art et l’ethnographie, c’est une érudite. En poste au musée du Quai Branly-Jacques Chirac depuis septembre, chercheuse au Centre André Chastel et maîtresse de conférences à Sorbonne Université en patrimoine et histoire de l’art, Felicity Bodenstein cumule les casquettes avec un plaisir non dissimulé.  

Plus jeune, au moment où il faut réfléchir à son avenir professionnel et choisir son orientation, Felicity Bodenstein ne s’est pas immédiatement tournée vers l’histoire de l’art. Difficile à croire quand on l’écoute dépeindre son amour pour cette discipline. Et pour cause ! Cette Irlando-allemande a découvert la France et Paris au détour d’études de physique (!), jusqu’à se rendre compte qu’elle était « définitivement une littéraire ». Très vite, elle s’éprend de la culture française et des musées de la capitale. « Je passais beaucoup de mon temps libre à arpenter les allées des musées. Finalement, c’est ce hobby qui m’a amenée à faire un master en histoire du patrimoine et des institutions culturelles. » 

Au fil de son parcours, Felicity Bodenstein développe un intérêt certain pour la provenance des objets muséographiques et se spécialise dans l’histoire de l’art et l’archéologie, poussée par la curiosité et le désir de « savoir comment les musées constituent leur fonds ». 
Les années passent et pour sa thèse, dirigée par Barthélémy Jobert (professeur d’histoire de l’art à Sorbonne Université), c’est au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France que la jeune chercheuse étudie sans relâche l’histoire des collections royales en France et en Europe – « des collections à cheval entre l’archéologie et la numismatique ». En parallèle, elle s’implique dans un projet européen d’envergure, le European national museums: Identity politics, the uses of the past and the European citizen (EUNAMUS), sous la direction côté français de l’historien, Dominique Poulot. « Ce programme avait pour but de comprendre la typologie des musées nationaux européens. La connaissance de ces musées peut éclairer les rôles contemporains et futurs de la culture dans nos sociétés. » Elle passera trois ans à sillonner les musées d’Europe : de la Grande-Bretagne à la Suède, en passant par l’Italie et bien sûr, la France. 

Ce projet a fait naître en elle une appétence pour les musées ethnographiques. « Ce sont des institutions qui font la part belle aux cultures extérieures à une nation. Comme elles sont nées de la colonisation, elles ont souvent été remises en question, repensées, réorganisées… Ça m’intéressait beaucoup de savoir comment ces musées représentent les objets dont ils sont les gardiens, des objets qui ne sont pas forcément évidents à comprendre pour le grand public. »

Digital Benin, le projet d’une vie

A chacune de ses visites dans les musées ethnographiques d’Europe, Felicity Bodenstein rencontre des objets d’art africain très particuliers, détonnant, avec leur matière en bronze à la cire perdue. Elle découvre alors qu’ils viennent de l’ancien royaume du Bénin. « Les forces navales britanniques ont fait main basse sur ce groupe d’objets au moment d’une expédition dite « punitive » en 1897. Cette invasion a provoqué le pillage massif des œuvres de la cour royale de Benin City. Plus de 5 000 pièces existent dans le monde ! Je me suis aussi rendue au Nigeria pour comprendre les effets de l’absence de ces objets à Benin City où les collections sont plus que modestes. » 

En 2017, elle décide de monter un projet de plateforme d’humanités numériques, qui prendra le nom de Digital Benin. Felicity Bodenstein poursuit à ce moment-là un post doctorat à la Technische Universität de Berlin, sous la houlette de Bénédicte Savoy. Cette grande historienne de l’art sera amenée la même année à rédiger, en binôme avec l'universitaire et écrivain sénégalais Felwine Sarr, un rapport sur la restitution des objets du patrimoine africain en Afrique, commandé par Emmanuel Macron. 

Digital Benin prend alors une toute autre ampleur. Avec une équipe d’une douzaine de chercheurs et chercheuses, en 2019, Felicity Bodenstein s’attèle à un travail de collecte minutieux pour répertorier l’ensemble des objets d’art dérobés à la cour royale de Benin City. Porté par le musée des cultures et arts du monde de Hambourg (Museum am Rothenbaum) et financé à hauteur d’1,2 million d’euros par la Fondation Siemens, Digital Benin tend à devenir un catalogue numérique de toutes ces œuvres. Il sera officiellement accessible au grand public dès novembre prochain.

Du Quai Branly aux amphis 

C’est aussi ce projet titanesque qui l’amène à travailler, depuis début septembre, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac comme chargée de recherche. « Mon travail est de comprendre la provenance des objets de Benin City que le musée a en sa possession, mais aussi celle des autres collections du Nigeria. »

Avec ce planning bien rempli, la jeune chercheuse rattachée au Centre André Chastel* arrive même à se dégager un peu de temps pour enseigner. Depuis trois ans, Felicity Bodenstein est maîtresse de conférences en histoire de l'art contemporain et du patrimoine à Sorbonne Université.
Si enseigner cette matière la passionne, elle regrette toutefois l’absence, en France, d’une chaire universitaire pour l’art africain. « Il n’existe pas de spécialité dans le domaine. Il n’y a pas un seul professeur pour l’art africain en France. C’est vraiment dommage ». 

Avec tout cela, Felicity Bodenstein arrive-t-elle encore à trouver un moment pour elle ? « Depuis la fin de mon post doc, j’arrive à mieux équilibrer ma vie personnelle et professionnelle. Il y a un peu une vie avant et après la prise de poste », conclut celle qui entre deux cours de yoga potasse pour obtenir son habilitation à diriger des recherches. 


* Un laboratoire de recherche en histoire de l’art sous la tutelle de Sorbonne Université, du CNRS et du ministère de la Culture


Voir aussi l'ouvrage "Pourquoi restituer"