Eleni Diamanti

Eleni Diamanti

Spécialiste en cryptographie quantique

Le plan quantique va permettre de montrer l'engagement de la France dans ce domaine.

À l’instar des propriétés quantiques sur lesquelles elle travaille, la directrice de recherche Eleni Diamanti est capable de mener plusieurs existences en parallèle. Entre recherche de haut vol et coordination du futur hub quantique de Paris, la chercheuse est devenue une figure majeure de son domaine. Portrait d’une femme solaire qui oscille entre excellence et humilité.

C’est avec une chaleur toute méditerranéenne qu’Eleni Diamanti nous accueille au laboratoire d’informatique de Sorbonne Université (LIP6). Derrière son masque de rigueur en ces temps de crise sanitaire, on devine un sourire pétillant. Dans un français parfait teinté d’un léger accent grec, la spécialiste des télécommunications quantiques nous explique avec enthousiasme le cœur de ses recherches : connecter des objets en utilisant les propriétés de la lumière pour sécuriser et transférer les informations quantiques sur de longues distances.

Fille de physiciens, la chercheuse grecque est la seule de sa fratrie à avoir poursuivi dans cette voie. Étudiante en génie électrique à l’université polytechnique d'Athènes, elle découvre à la fin des années 90, les prémisses de la recherche sur les technologies quantiques. « C’était le tout début de la cryptographie quantique, explique-t-elle. Il n’y avait pas l’engouement que l’on connaît aujourd’hui pour ce domaine ».

Encouragée par ses professeurs à faire une thèse aux États-Unis, la brillante étudiante débute en 2000 un doctorat en cryptographie quantique dans la prestigieuse université de Stanford en Californie. « C'était la grande aventure ! Partir à l’autre bout du monde dans l'une des meilleures universités qui soit me donnait l’impression d’être au cœur de la science », se souvient la chercheuse, qui souligne au passage la qualité des doctorats européens.
 
Après six années de thèse expérimentale outre-Atlantique, la jeune scientifique choisit de poursuivre sa carrière en France pour l’excellence de ses recherches, la proximité avec la Grèce, mais aussi parce que c’est le pays d’origine de son mari. Elle qui a appris l’anglais à six ans et le français à neuf s’interroge : « Je ne sais pas si ma mère avait en tête qu'en me faisant apprendre les langues étrangères dès mon plus jeune âge, j’allais partir pour toujours. »  À 29 ans, la chercheuse entame alors un post-doc financé par le programme européen Marie Curie à l'Institut d'optique de Palaiseau. En 2009, elle obtient un poste de chargée de recherche CNRS à Télécom Paris, avant de rejoindre sept ans plus tard le laboratoire d’informatique de Sorbonne Université. Là, elle collabore, pour son plus grand plaisir, aussi bien avec des informaticiens que des physiciens. « Situé juste à côté du LKB1 , l’un des plus grands laboratoires de physique français, le LIP6 offre un environnement très enrichissant. La synergie entre nos disciplines est vraiment stimulante », affirme la chercheuse qui depuis a décroché l’un des si convoités financements ERC2 pour un projet à la frontière entre physique et informatique.

Quand simplicité rime avec excellence

Passée directrice de recherche en 2018, Eleni Diamanti garde, malgré le nombre important de projets européens qu’elle dirige, une grande humilité. « J'ai toujours su où étaient mes limites, ce que j’étais capable de faire et là où j'avais besoin d'aide. Dans la démarche scientifique, c'est essentiel d'avoir conscience de ses lacunes », affirme la chercheuse.

Mais humilité ne signifie pas manque d’ambition. « Eleni est une personne brillantissime, qui emmène tout le monde avec elle ; une force de proposition, de travail et d’organisation », confie l’un de ses collègues, Jules Espiau. Vice-présidente depuis 2014 du Paris Centre for Quantum Computing (PCQC)3, la directrice de recherche coordonne actuellement l’évolution de cette fédération de recherche vers le hub quantique de Paris. Cette structure qui travaillera en étroite collaboration avec le QICS4 , rassemblera les forces de Sorbonne Université, de l’Université de Paris, du CNRS, de l’INRIA et de Paris Sciences et Lettres.

En lien avec le plan quantique dévoilé par le Président de la République en janvier 2021, la création, à Grenoble, Saclay et Paris, de trois centres dédiés à ces technologies vise, selon la chercheuse, à mieux structurer la communauté. « C’est l’opportunité de développer une plus grande synergie entre les équipes pour répondre à des appels d'offre, arbitrer des contrats doctoraux, lancer de nouveaux projets, partager des équipements, etc. Plus globalement, poursuit Eleni Diamanti, le plan quantique d’1,8 milliards d’euros va permettre de montrer que la France s’engage dans ce domaine. Symboliquement, c'est important, pour nos collaborations européennes et internationales, de savoir que nous sommes soutenus par notre gouvernement, comme le sont l'Allemagne ou l'Angleterre. » Et face à l’ambition du chef de l’État de faire de la France la troisième puissance quantique mondiale, la scientifique conserve l’enthousiasme et l’optimisme qui la caractérisent : « La troisième place, c’est très ambitieux, mais pourquoi pas, indique-t-elle. Nous avons une communauté scientifique reconnue dans le domaine des technologies quantiques. Je pense que notre pays a les capacités de le faire. »

En attendant, la coordinatrice du hub parisien a du pain sur la planche. Elle devra d’abord s’assurer de la bonne répartition des sources de financement entre recherche fondamentale et appliquée, mais aussi entre les trois enjeux technologiques que sont le calcul, les communications et la métrologie quantiques. « Nous devons également préserver l’équilibre avec tous les autres écosystèmes régionaux qui contribuent à la recherche dans ce domaine », précise-t-elle. La chercheuse tient aussi à renforcer les liens entre les acteurs de l’innovation en proposant notamment la création d’une maison du quantique qui réunirait partenaires académiques et industriels dans la capitale. En parallèle, elle continue ses activités de recherches et à veiller sur les doctorantes et doctorants qu’elle encadre : « Je ressens une grande responsabilité envers eux. C'est un peu comme une famille. Je m'inquiète pour chacun d'entre eux », ajoute-t-elle.

Une intrication quantique : être une femme scientifique

Mère de trois enfants, Eleni Diamanti a longtemps émis quelques réserves à afficher sa position de « femme scientifique » : « On ne demande jamais aux hommes comment ils concilient leur vie professionnelle et personnelle, sourit-elle. Pourtant, mon mari aussi a trois enfants et est enseignant-chercheur ! » Désormais naturalisée française, la physicienne mesure sa chance : « En France, nous comptons plus de femmes en physique quantique qu'ailleurs. Et ce n'est pas pour rien : les conditions sont meilleures ici que, par exemple, en Allemagne où mes collègues sont bien souvent obligées de s’arrêter plusieurs années pour élever leurs enfants. » 

Néanmoins, une expérience l’a récemment convaincue de la nécessité d’agir pour faire évoluer les mentalités : « Au cours d’un comité avec des doctorants, je leur ai demandé de me proposer des noms de scientifiques que nous pourrions inviter pour notre conférence. Sur les quinze, pas un seul, excepté l’unique doctorante du groupe, n’a donné un nom de femme. » Elle qui avoue souvent rogner sur ses heures de sommeil pour mener de front responsabilités scientifiques et familiales, accepte désormais plus volontiers d’être utilisée comme modèle. « Il est très important que les jeunes filles et les lycéennes voient des femmes scientifiques pour que les choses bougent. C’est pour cela que je suis toujours partante quand on me demande de venir parler dans les lycées. Si, grâce à mon intervention, ne serait-ce qu’une seule fille a envie de faire des sciences, c'est déjà une réussite », confie la chercheuse dans un sourire plein d’optimisme.


 

Sécuriser nos données

Comment Eleni Diamanti va changer le monde

1 Laboratoire Kastler Brossel

2 European Research Council

3 Centre qui rassemble informaticiens, physiciens théoriques et expérimentaux et mathématiciens autour des nouvelles technologies d'information et de communication quantiques,

4 Quantum Information Center Sorbonne (QICS)

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Julien Laurat

Dompteur de lumière et spécialiste des mémoires quantiques

On est à une étape-clé du passage à l’échelle de la technologie quantique, mais qui ne peut être franchie que via un travail important dans les start-up.