Un tournant pour les neurosciences grâce aux ultrasons
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Un tournant pour les neurosciences grâce aux ultrasons

Serge Picaud, Sorbonne Université et Mickael Tanter, ESPCI Paris

Il existe autant de neurones dans notre cerveau que de galaxies dans l’univers. Organisés en un réseau d’une complexité vertigineuse, ces neurones établissent des milliers de milliards de connexions nerveuses, faisant du cerveau l’organe le plus fascinant du corps humain. Marcher, rire, rêver, réfléchir, ressentir, mémoriser, anticiper, évoluer, apprendre, créer… Sans cerveau, rien de tout cela ne serait possible.

La plupart de nos actions et comportements restent encore aujourd’hui des mystères que les scientifiques explorent à l’aide d’outils sans cesse plus performants. Comprendre le fonctionnement de cet organe complexe est un immense défi pour les neurosciences. Un enjeu majeur est de mieux analyser, et donc mieux soigner, les maladies cérébrales. Parmi les plus connues figurent les maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson par exemple, les troubles du spectre autistique, les troubles psychiatriques, les déficits sensoriels menant à la surdité ou la cécité. Face au nombre croissant de personnes affectées par ces maladies, les neurobiologistes et les médecins ont besoin d’outils performants, simples d’utilisation et peu coûteux.

Les récentes percées de la recherche en ultrasons apportent des solutions très prometteuses pour la recherche biomédicale, le diagnostic et le soin des patients. L’utilisation d’ondes ultrasonores est la base de l’échographie, examen d’imagerie largement démocratisé en obstétrique et en cardiologie depuis les années 1980. Au-delà de ces utilisations déjà bien maîtrisées, de nouvelles découvertes en imagerie ultrasonore ouvrent un bien plus large éventail d’applications biomédicales qui nourrissent un domaine de recherche foisonnant.

Filmer le fonctionnement du cerveau par échographie ultrarapide

Depuis 2009, notre équipe de physiciens et neurobiologistes développe une nouvelle méthode d’imagerie que nous avons appelée « imagerie fonctionnelle ultrasonore ». « Fonctionnelle » car elle permet de voir le cerveau « en action » et d’évaluer s’il remplit correctement ses fonctions : cette technique filme l’activité cérébrale en temps réel.

La clé réside dans un nouveau mode d’acquisition dit « ultrarapide » : notre nouvel échographe acquiert des milliers d’images par seconde contre une cinquantaine d’images par seconde pour un échographe classique. Cette cadence ultrarapide permet de détecter les modifications locales de flux sanguin. Or l’activité neuronale produit des augmentations de débit sanguin dans de petits vaisseaux cérébraux indétectables en échographie classique : lorsqu’une zone du cerveau s’active, elle convoque un afflux de sang pour alimenter ses neurones en oxygène. Il s’agit du « couplage neurovasculaire » dont tirent parti toutes les techniques d’imagerie cérébrale, comme l’imagerie par résonance magnétique ou « IRM ». Dans notre cas, un avantage majeur est la simplicité d’utilisation car l’examen ultrasonore, indolore et non invasif, pourrait être réalisé au chevet du patient au moyen d’un échographe portatif facilement manipulable.

Chez le nouveau-né en particulier, la sonde échographique, simplement posée sur la tête en regard de la fontanelle, délivre des images d’une qualité inédite du cerveau. L’utilisation de l’imagerie fonctionnelle ultrasonore en néonatalogie est ainsi en passe de transformer la prise en charge des enfants prématurés, pour qui un passage dans un IRM ou scanner est extrêmement contraignant et complexe.

Comparaison entre les images du cerveau d’un nouveau-né obtenues par échographie conventionnelle, où seuls les gros vaisseaux sanguins sont détectés – images grises – et celles obtenues par échographie ultrarapide, où beaucoup plus de vaisseaux sanguins sont visibles. C. Demené, Physics for Medicine, Paris, Author provided

Faute d’autres moyens performants et faciles d’utilisation pour imager de manière dynamique le fonctionnement du cerveau au cours des premiers mois de vie, un grand nombre de problèmes neurodéveloppementaux liés à une naissance prématurée ne sont souvent diagnostiqués que lorsque l’enfant atteint deux ou trois ans et qu’il manifeste des troubles comportementaux ou cognitifs évidents, détectés par les parents ou lors d’une consultation psychiatrique. Outre le poids émotionnel qu’il pose sur les parents et l’entourage, le diagnostic tardif empêche une prise en charge adéquate du bébé. L’imagerie fonctionnelle ultrasonore, elle, permettra d’enregistrer l’activité cérébrale du nouveau-né dès sa naissance et aussi souvent que nécessaire au cours de sa première année. Les données fournies permettent entre autres d’étudier la connectivité fonctionnelle entre les différentes zones du cerveau.

Explorer de nouvelles pistes médicamenteuses

Si la fontanelle donne accès à cette mesure ultrasonore ultrarapide, chez l’adulte, l’os du crâne gêne le passage des ultrasons. Restaurer une bonne qualité d’image requiert alors des méthodes d’acquisition et de traitement de données avancées, qui sont l’objet de travaux en cours.

En attendant, cette nouvelle imagerie fonctionnelle présente un grand intérêt chez l’animal, pour mieux comprendre les processus cérébraux impliqués par exemple dans le sommeil, la vision, les interactions sociales, les addictions, la douleur. Elle permet également d’évaluer l’efficacité de nouveaux traitements médicamenteux avant de les tester chez l’humain. En cela, l’imagerie fonctionnelle ultrasonore devient un outil très puissant pour la recherche thérapeutique car elle permet d’effectuer des mesures sur des sujets éveillés (sans sédation ni anesthésie, qui peuvent biaiser les observations) avec un minimum d’inconfort. Les acquisitions peuvent en outre être répétées pour par exemple suivre l’effet de la prise d’un médicament au cours du temps suivant la dose administrée pour en déterminer l’efficacité de façon quantitative.

Réhabiliter les fonctions cérébrales par ultrasons

Un autre axe de recherche vise à miniaturiser les capteurs ultrasonores. Il serait alors possible d’équiper des patients atteints de handicaps moteurs pour lire en temps réel leur activité cérébrale et leur permettre, éventuellement, de contrôler différents instruments par la pensée.

L’intérêt des interfaces cerveau-machine pour certain patients est énorme pour gagner en autonomie dans leur vie quotidienne. Par exemple, des patients paraplégiques ont pu piloter des bras robotisés pour effectuer des actions comme saisir un verre d’eau grâce à une interface cerveau-machine utilisant des électrodes enregistrant le signal électrique du cerveau du patient (déclenché par l’intention du patient de saisir le verre d’eau) et des algorithmes traduisant ce signal en instruction à destination du bras robotisé. L’implantation d’électrodes est néanmoins une chirurgie lourde et très invasive, associée à des risques élevés de complications. Un capteur ultrasonore serait non-invasif et pourrait exploiter les signaux provenant de l’ensemble du cerveau pour une plus grande diversité d’actions.

Activer des neurones grâce aux ultrasons

Dans les applications citées jusqu’ici, les ultrasons sont utilisés comme mode d’imagerie pour « lire » l’activité cérébrale mais il devient également possible d’utiliser les ondes ultrasonores pour « stimuler » le cerveau. En effet, sous un autre mode de fonctionnement impliquant des paramètres et des régimes de puissance différents, les ultrasons peuvent être concentrés sur une zone précise du cerveau pour moduler l’activité cérébrale à des fins thérapeutiques. C’est ce qu’on appelle la neuromodulation ou neurostimulation ultrasonore. Des patients atteints de Parkinson ou de tremblements essentiels ont ainsi été soignés en stimulant par ultrasons une zone spécifique (d’environ 1 cm3) : les premiers résultats ont été obtenus aux États-Unis avec un arrêt spectaculaire et pérenne des tremblements dès l’application du traitement ultrasonore, réalisé sans chirurgie ni anesthésie.

Plus spécifiquement encore, grâce à l’ingénierie génétique, les neurones peuvent être rendus sensibles aux ultrasons et ainsi permettre l’activation quasi instantanée de très petites zones du cortex cérébral. Nous développons cette approche de thérapie sonogénétique, dans laquelle les neurones sont dotés d’une protéine fortement sensible aux ultrasons. Il deviendrait ainsi possible d’activer des réponses neuronales de manière très précise spatialement et très rapide, débloquant ainsi un verrou majeur pour le transfert à distance de très grands flux d’information au cerveau. La première application envisagée est l’écriture ultrasonore d’images issues de caméras sur le cortex de patients aveugles.


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Plonger dans les profondeurs du réseau vasculaire jusqu’à l’échelle microscopique

Activité neuronale et activité vasculaire sont étroitement liées dans le cerveau, et les médecins ont constaté que nombre de pathologies cérébrales sont sous-tendues par des anomalies vasculaires (anévrismes, AVC, etc.) qui se forment d’abord dans les petits vaisseaux. Dès lors, observer à distance ces tout petits vaisseaux et quantifier leurs flux sanguins permettrait de détecter les maladies dès leur apparition.

Cette résolution microscopique peut être atteinte par l’imagerie de super-résolution ultrasonore grâce à l’injection intraveineuse de microbulles – une injection inoffensive et déjà utilisée en routine clinique pour améliorer le contraste des échographies classiques. Dans notre cas, grâce à l’échographie ultrarapide, chaque microbulle et sa trajectoire dans le sang sont mesurées avec une précision 100 fois meilleure qu’en échographie conventionnelle, résultant en un film unique – jusqu’à l’échelle microscopique – des flux sanguins. Une acquisition de quelques secondes suffit à accumuler une quantité d’informations astronomique, donnant accès à la vitesse et la direction des flux sanguins à chaque endroit du cerveau, des grosses artères jusqu’aux vaisseaux de quelques microns de diamètre. Déjà validée chez l’animal et en cours de développement chez l’humain, l’imagerie de super-résolution ultrasonore permettra bientôt au médecin de naviguer en temps réel dans le cerveau du patient, et de zoomer à loisir jusqu’à l’échelle microscopique à la recherche de signes précurseurs de pathologies cérébro-vasculaires.


Cet article a été co-écrit par Thu-Mai Nguyen, chargée de projets scientifiques à l’Inserm, au laboratoire « Physics for Medicine Paris ».The Conversation

Serge Picaud, Research scientist, Institut de la vision (Sorbonne Université / Inserm / CNRS), Sorbonne Université et Mickael Tanter, Directeur de Recherche Institut Physique pour la Médecine (Inserm/CNRS/ESPCI Paris), ESPCI Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.