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« Recherche sans filtre » : bienvenue dans le monde des coléoptères aquatiques

Le photographe plasticien Grégoire Delanos et le chercheur Michaël Manuel du laboratoire de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (Sorbonne Université/MNHN/CNRS/EPHE PSL/Université des Antilles) reviennent sur leur collaboration fascinante, née du projet photographique Recherche sans filtre. Ensemble, ils ont exploré le monde des coléoptères aquatiques, pour en offrir une interprétation artistique et sensorielle unique. 

Ces photos et celles de six autres photographes seront exposées à l’Atrium de la faculté des Sciences et Ingénierie du 10 octobre au 4 novembre.

Grégoire, pouvez-vous nous parler de la genèse de votre collaboration avec Michaël ? 
Grégoire Delanos :
J’ai répondu à un appel à projet lancé par Sorbonne Université pour une commande photographique visant à illustrer la recherche scientifique. Initialement, je travaille beaucoup autour des questions liées à l'effondrement de la biodiversité et du changement climatique. Aussi, quand j'ai vu passer cette commande et son volet « Nature et environnement », je me suis dit que c’était fait pour moi. Le travail de recherche de Michaël qui porte sur les dytiques – des coléoptères aquatiques – et comment ils perçoivent leur environnement via leurs organes sensoriels, m'a particulièrement interpellé. 

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Comment avez-vous abordé l’idée de représenter la recherche sur les coléoptères aquatiques à travers votre photographie ?
G.D. :
Je travaille beaucoup la photographie de manière plasticienne, c'est-à-dire en utilisant le support pour créer des compositions liées au sujet. Pour le projet de Michaël, j’avais envie de créer une forme de synesthésie, où l’image traduirait les sensations olfactives et gustatives que les dytiques pourraient éprouver.
Bien que je n’aie pas de formation en biologie, mon approche artistique a été nourrie par des questions scientifiques. J’ai visité le laboratoire avec Michaël et son équipe pour comprendre leurs recherches sur les dytiques, et je me suis plongé dans les articles scientifiques qu’il m’avait transmis. L’idée était de ne pas simplement « documenter » la science, mais d’en proposer une interprétation sensorielle. J'ai notamment utilisé un flash frontal avec un filtre rouge pour capter l’atmosphère, l’énergie et les sensations que ces insectes peuvent ressentir dans leur milieu. 

Qu’avez-vous le plus aimé dans ce travail collaboratif avec un chercheur de Sorbonne Université ?
G.D. :
J'ai d’abord passé une demi-journée avec Michaël et son équipe dans leur laboratoire, l’Institut de systématique, évolution, biodiversité, pour m'acculturer le mieux possible, en un minimum de temps, à leurs travaux de recherche. 
Ensuite, ce qui a été intéressant, c'était de pouvoir aller sur le terrain. Les dytiques sont des créatures sauvages, et pouvoir les observer dans leur environnement naturel, était une expérience unique. Cela m'a permis de découvrir une autre facette du travail scientifique, car on a souvent une image stéréotypée des scientifiques, en blouse blanche, confinés dans leurs laboratoires. 
Accompagner Michaël sur le terrain, en pleine forêt, sous une météo capricieuse, a été une véritable aventure. C'est cette dimension exploratoire qui m'a particulièrement plu. Et puis, sur un plan plus personnel, rencontrer Michaël a été un plaisir. 

Michaël Manuel :  Tout comme Grégoire, j'ai été enchanté par cette expérience. Elle a bien sûr élargi ma vision de la communication scientifique. Travailler avec Grégoire m'a montré qu'il existe de nombreuses manières de traduire la recherche pour la rendre accessible.
J'ai particulièrement apprécié notre journée sur le terrain dans la forêt de Fontainebleau, un lieu que je trouve particulièrement beau. J'ai l'habitude de travailler sur le terrain, mais partager cette expérience avec une autre personne, qui n’est pas un scientifique, a été très intéressante. Même si les conditions météorologiques de l’année passée ont rendu la recherche des dytiques plus complexe. Quand nous y sommes allés avec Grégoire, il n’y avait que des petites populations...

Vous n’avez pu y aller qu’une seule fois ?  
M.M. :
Oui, c'était un one-shot… En tout cas en forêt de Fontainebleau ! Car Grégoire avait déjà fait des prises de vue dans notre laboratoire où nous avons des insectes. 
Cela dit, pour cette sortie, il cherchait surtout à capturer l'ambiance générale, la lumière. Je l'ai donc emmené dans un lieu offrant une certaine diversité : des zones dégagées, des espaces humides, avec des flaques et des mares. C'était l'environnement, le contexte, qui l'intéressaient principalement, et non spécifiquement la présence d’insectes.  

Grégoire, qu'est-ce qui a influencé votre travail sur cette photo ?
G.D. :
Beaucoup d’artistes visuels m’ont inspiré bien sûr. Mais je me suis surtout posé cette question : comment traduire visuellement des sensations aussi subtiles ? Il fallait qu'il y ait une dominante de couleur assez forte. J’ai choisi le rouge, parce que c'est une couleur très organique, qui évoque la vie, l’énergie, des émotions fortes. 
Or, lors de notre expédition en forêt de Fontainebleau en février-mars, le paysage était dominé par des teintes froides et ternes : le jaune des feuilles mortes, le brun de la boue… Je me suis dit qu’il fallait que j’utilise une couleur qui tranche avec l’environnement naturel pour symboliser les perceptions sensorielles des dytiques. Le rouge s'est imposé comme le choix idéal.

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés ? 
G.D. :
Le premier était sportif ! Pour la prise de vues, nous avons fait une virée en VTT à Fontainebleau. C’était déjà un défi en soi ! 
Plus sérieusement, pour la photo, j'ai utilisé un flash frontal qui crée ces effets lumineux rouges caractéristiques. Le flash provoquait un reflet intense que j'ai cherché à transformer en une multitude d'iridescences. J'ai concentré mes prises de vue sur les bordures des mares, qui sont les habitats privilégiés des dytiques. En jouant avec les gouttes d'eau présentes sur la végétation, j'ai obtenu des reflets irisés rouge et blanc. 
Enfin, les tirages ont été réalisés en risographie par l’atelier ChloTour, une technique d'impression par couches successives qui m'a permis d'utiliser trois couleurs : rouge, noir et doré.

Michaël, qu'est-ce qui vous a attiré dans la proposition visuelle de Grégoire pour cette interprétation de vos recherches ?
M.M. :
Il faut savoir que je m'intéresse depuis tout petit aux insectes et notamment aux dytiques. Ce sont des insectes aquatiques fascinants, à la fois prédateurs et indicateurs de la qualité de leur environnement. 
L'esthétique des photos de Grégoire, avec leurs dominantes de rouge et d'or, est saisissante. Je trouve ça particulièrement beau. Elles mettent en lumière la beauté souvent méconnue de ces milieux aquatiques, comme ces petites flaques d'eau, riches en biodiversité. C'est tout un écosystème ! 

Est-ce que vous lui avez donné des éléments de votre recherche pour aider à mieux comprendre les coléoptères ?
M.M. :
Oui, tout à fait. Je ne me souviens plus exactement de notre première rencontre, mais je sais que nous avons eu l'occasion de discuter longuement de son projet au laboratoire. J'ai pu lui présenter nos recherches, lui montrer nos installations et nos insectes. 
Ensuite, nous avons organisé notre sortie où il a réalisé la photo qui a finalement été sélectionnée. Et il est revenu au laboratoire pour d'autres prises de vue. Ces échanges ont été très enrichissants, car ils nous ont permis d'aborder en profondeur les aspects scientifiques de notre travail.

Est-ce qu’il y a eu des aspects de la photographie de Grégoire qui vous ont fait voir votre travail de recherche autrement ? 
M.M. :
Cette expérience m'a apporté beaucoup, bien au-delà de mes recherches scientifiques. N'ayant jamais collaboré avec un artiste auparavant, j'ai été particulièrement impressionné par la vision de Grégoire. Je me souviens encore du moment où il a sorti ses filtres colorés sur le terrain. 
J'ai l’habitude d’aller sur le terrain pour collecter des spécimens, mais c’était la première fois que je le faisais avec un artiste, ce qui a ouvert de nouvelles perspectives. Même si, pour l’anecdote, nous n’avons pas trouvé les grands dytiques que j’espérais lui montrer ce jour-là, cela n’a pas empêché Grégoire de saisir l’essence de ces milieux. 

Pensez-vous que cette photo va aider le grand public à mieux comprendre votre travail et la recherche scientifique sur le sujet des coléoptères ?
M.M. :
Je l'espère ! En tout cas, je suis convaincu de l'importance du commentaire qui va l’accompagner. Sans ces explications, il serait difficile pour le public de saisir le lien entre cette image et notre travail de recherche. 
C'est toujours une bonne chose que les scientifiques sortent un peu de leur cadre habituel pour partager leurs découvertes avec le grand public. Et là, concrètement, cela sort vraiment des sentiers battus et c'est, je pense, une manière originale et efficace de sensibiliser à la biodiversité et à l'importance de préserver les milieux aquatiques.
 

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La photo décryptée par Grégoire Delanos

Cette photographie en rouge, noir et doré est tirée en risographie. Cette technique, utilisant de minuscules gouttelettes d'encre, rappelle les micro-gouttelettes qui se fixent sur les récepteurs sensoriels des dytiques. Ces derniers perçoivent leur monde grâce à ces récepteurs, un peu comme nous le ferions avec nos sens. 
La photo, centrée sur des feuilles mortes et des brindilles dans un milieu humide, évoque l'environnement des dytiques. On y voit un enchevêtrement de formes plus ou moins organiques, avec des iridescences rouges et blanches, qui représentent les sensations de ces insectes dans leur environnement et leur façon de se déplacer dans cette masse de végétaux et dans l'eau.