Quand capteurs riment avec société : vers une science plus ouverte, plus connectée, plus responsable

L’Initiative T-CAPES (Transdisciplinarité – Capteurs et Instrumentation pour l’Environnement et la Santé) porte l’ambition de fédérer une communauté scientifique autour des technologies de capteurs. En croisant sciences fondamentales, ingénierie, humanités et sciences sociales, elle s’attache à développer des dispositifs innovants au service de la santé, de l’environnement et des citoyens. Ancrée dans l’interdisciplinarité et portée par une dynamique participative, T-CAPES veut faire des capteurs bien plus que des outils de mesure : de véritables catalyseurs de recherche transversale, de collaboration sociétale et de formation.

Interview d’Emmanuel Maisonhaute et d’Hakeim Talleb, directeurs de l’Initiative Transdisciplinarité-Capteurs et Instrumentation pour l’Environnement et la Santé (T-CAPES)

Comment et dans quel contexte s’est constituée l’initiative T-CAPES ?
Emmanuel Maisonhaute : L’initiative T-CAPES est née d’une prise de conscience collective et progressive au sein de Sorbonne Université, de l’importance des recherches sur les capteurs dans divers domaines, en particulier l’environnement et la santé. Au niveau de la Faculté des Sciences et Ingénierie, cela a débuté par des discussions autour des problématiques liées à l’eau qui ont révélé la nécessité d’une approche transversale et collaborative bien au-delà de la problématique initiale. Le vice-doyen Recherche, Philippe Agard, a alors décidé d’initier les « Matinales Capteurs » au FabLab, permettant aux chercheurs de disciplines variées de se rencontrer et d’échanger sur leurs travaux respectifs.
Ces rencontres ont mis en lumière un besoin de mutualisation des compétences et des ressources. Il apparaissait évident que de nombreux chercheurs travaillaient sur des sujets connexes sans réellement interagir. De ces discussions est née l’idée de formaliser cette dynamique sous la forme d’une initiative structurante : c’est ainsi qu’est née T-CAPES.

L’interdisciplinarité est au cœur des initiatives et instituts. Comment se traduit-elle concrètement pour vous ?
Hakeim Talleb : Lors de la conception ou du déploiement d’un capteur, on se heurte à des défis qui nécessitent de collaborer avec d’autres spécialistes. L’interdisciplinarité est donc une nécessité lorsque l’on parle de capteurs. Nous retrouvons ainsi dans T-CAPES les sciences dites dures : physique, chimie, biologie, et plus largement ingénierie (et au premier titre électronique), mais aussi les sciences humaines et sociales avec la sociologie, la philosophie des sciences, la géographie et même le design ! Notre force est que toutes ces compétences se trouvent réunies dans les différentes structures de l’ASU. Mentionnons également une thématique importante sur la collecte et le traitement des données, qui est particulièrement ressortie lors de notre journée de lancement le 7 janvier 2025.
L’interdisciplinarité se traduit aussi dans des approches atypiques de faire de la science. Par exemple sur la thématique des îlots de chaleur en région Parisienne, notre collègue Vincent Dupuis a mis au point un capteur de température pour réaliser des mesures lors d’une traversée de Paris à vélo. Cet exemple peut sembler a priori simple, mais pose de manière très concrète les questions de réalisation et de fiabilité d’un capteur, de collecte des mesures et in fine de leur interprétation par une communauté très large et pluridisciplinaire.
Pour pousser l’interdisciplinarité, nos deux comités (exécutif et d’orientation stratégique) intègrent des experts internes et externes à l’ASU provenant de différents horizons afin de permettre de croiser les regards.

Quels sont les objectifs de l’initiative ?
E.M. : Notre objectif principal est de créer un réseau de scientifiques et d’utilisateurs de capteurs au sein de Sorbonne Université, afin de renforcer notre visibilité et notre influence sur ce domaine au niveau national et international.
Nous souhaitons également offrir un tremplin aux chercheurs en facilitant l’accès à des financements supplémentaires via d’autres agences de financement. Actuellement, notre financement permet de lancer des projets, mais nous cherchons à structurer des actions pérennes que ce soit sur des sujets académiques ou industriels. Dans ce cadre, nous avons déjà eu des discussions très constructives avec plusieurs instituts et d’autres initiatives.
Pour favoriser les connections, nous avons déjà financé pour 2025 huit stages de M2, ce qui contribue à renforcer les liens entre chercheurs.

Quels axes de recherche avez-vous définis ?
H.T. : Nos axes de recherche sont encore en cours de définition, mais certaines thématiques centrales émergent déjà :

  • Sciences participatives : intégration de citoyens et d’étudiants dans le processus de collecte et d’analyse des données.
  • Environnement et biodiversité : qualité de l’air, de l’eau, surveillance des milieux naturels.
  • Santé : par exemple, l’initiative OBEPINE développée par Vincent Maréchal pour analyser les eaux usées et prévoir les pics de Covid, qui pourrait être étendue à d’autres pathogènes.
  • Interprétation des données : assurer une exploitation pertinente des mesures réalisées.

A l’image d’une auberge espagnole de la recherche, nous souhaitons travailler de manière participative en créant différents groupes de travail au fur et à mesure que des thématiques prioritaires émergeront. De ces groupes seront issus les moyens humains en post-doctorants et ingénieurs que nous financerons. Soulignons que nous pourrons bénéficier d’un appui technique via les plateformes de l’ASU, et en particulier le Fablab et SUMMIT (Sorbonne Université, Maison des Modélisations Ingénieries et Technologies) qui fournit des prestations d’ingénierie dans de nombreux domaines.
Techniquement, nous nous appuyons sur un forum, une liste de diffusion et bientôt un site internet. Nous invitons toutes les personnes intéressées à intégrer ainsi notre communauté T-CAPES !

Quels sont les enjeux en termes de formation ?
E.M. : Nous n’avons pas vocation à créer de nouvelles unités d’enseignement, mais nous nous intégrerons à l’offre existante. Par exemple, nous nous appuyons sur le Master CIMES (Capteurs, Instrumentation et Mesures) dirigé par Stéphane Holé.
Nous travaillons également à la création d’une plateforme numérique de formation et à l’organisation de sessions pédagogiques de type « Capteurs pour les nuls », destinées à démystifier la technologie et favoriser les collaborations interdisciplinaires.
Enfin, la formation se fait également sous forme de stages de master orientés capteurs.

Quel impact les recherches réalisées au sein de l’initiative peuvent-elles avoir sur la société ?
H.T. : Nous vivons dans un monde où les capteurs sont omniprésents et jouent un rôle crucial dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne. L’objectif de T-CAPES est non seulement de développer ces technologies, mais aussi de sensibiliser à leur bon usage et à l’importance de l’interprétation des données.
Les sciences participatives sont un levier que nous souhaitons exploiter davantage, en impliquant étudiants et citoyens dans la collecte et l’analyse des données.
Enfin, nous cherchons à démontrer que la notion de capteur ne se limite pas à un simple outil technologique, mais qu’elle soulève des questions éthiques, sociologiques et philosophiques qui doivent être abordées avec rigueur et pertinence.