L’exploitation minière des grands fonds marins en 5 questions
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L’exploitation minière des grands fonds marins en 5 questions

Lundi 7 novembre 2022. COP27, Égypte. Emmanuel Macron déclare, devant une assemblée de chefs d’État et de gouvernements du monde entier, que la France soutient l’interdiction de toute exploitation minière des grands fonds marins. Si le pays – premier espace maritime au monde – fait un grand pas en avant, la partie n’est cependant pas gagnée pour protéger les grands fonds. Pourquoi les exploiter, quels sont ces minerais tant convoités, où se trouvent-ils, que dit la loi, quelles sont les menaces sur l’environnement ? Éléments de réponse dans notre article.    

Qu’est-ce que l’exploitation des grands fonds marins ?

L’exploitation des grands fonds marins, aussi appelée deep sea mining, consiste à extraire les métaux et les matériaux rares présents dans les profondeurs de l’océan (200 mètres en-dessous du niveau de la mer) dans le but de satisfaire nos besoins technologiques et assurer, paradoxalement, la transition énergétique : fabrication des appareils électroniques (batteries, téléphones portables…), construction d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques…
Un rapport du Sénat en date du 21 juin 2022 précise qu’il reste une quarantaine d’années au cuivre, au cobalt et au nickel avant l’épuisement des stocks sur les surfaces continentales.
« D’un point de vue technologique, les industriels sont d’ores et déjà prêts : prêts à faire descendre de gros engins pour tondre les coraux profonds, gratter les monts de sulfure, récolter les nodules des plaines abyssales et faire remonter tout cela via un gros tuyau jusqu'à un bateau qui va traiter, trier et rejeter les boues inutiles dans l’océan », déplore François Lallier, professeur à Sorbonne Université affecté à la Station biologique de Roscoff et membre du comité ministériel de pilotage de l'objectif « Grands fonds marins » de France 2030.  

 

Quels minerais sont convoités par les industriels ?

On en distingue trois :

- Les nodules polymétalliques. Ces « grosses pommes de terre » reposent sur le plancher océanique entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur. Elles renferment une grande variété de métaux comme le fer, le manganèse, le cobalt, le cuivre, le nickel ou le plomb. « Les nodules mettent des centaines de millions d'années pour se former. Si les industriels les récoltent, ils ne repousseront pas avant des lustres ! Certes, c’est une ressource, mais elle est non renouvelable », précise François Lallier.

- Les encroûtements cobaltifères. Ce sont des plaques d’une dizaine de centimètres d’épaisseur que l’on retrouve sur les parois des monts sous-marins. Elles sont riches en fer, manganèse et cobalt. Les encroûtements renferment aussi de fortes concentrations en métaux précieux (platine) et en métaux rares.
 
- Les sulfures polymétalliques.
On les retrouve dans les cheminées hydrothermales à proximité des dorsales océaniques et des volcans sous-marins, entre 1 000 et 5 000 mètres de profondeur. Les sulfures sont particulièrement prometteurs, car ils contiennent un grand nombre de métaux de base (cuivre, zinc, plomb) et de métaux précieux (or, argent). 

Où les trouve-t-on ?

Ces ressources minérales sont présentes dans tous les océans du globe, mais plus particulièrement, dans le bassin central de l’océan Indien, autour des îles Cook, des Kiribati et de la Polynésie française, dans les monts sous-marins de Magellan, dans l’océan Pacifique, à l’est du Japon.

Sur Terre, nous pouvons replanter des arbres après un déboisement. Mais au fond de l’océan, comment faisons-nous ?

François Lallier, professeur à Sorbonne Université

Que dit la loi ?

Il existe deux régimes juridiques pour les grands fonds marins : 

- Les eaux territoriales et la zone économique exclusive (ZEE) de chaque État, jusqu’à deux cents milles marins. « Chaque État est libre d'autoriser ou d’interdire la pêche comme l'exploitation des grands fonds dans une ZEE. C’est sous juridiction nationale », souligne François Lallier. Dans le monde, la France est le territoire qui possède la plus vaste zone exclusive (11 691 000 millions de km²) devant les États-Unis, avec une forte proportion de grands fonds autour des départements et territoires d’outre-mer : Antilles, Réunion, Polynésie et Nouvelle-Calédonie. 

- Les eaux internationales, aussi appelées la « Zone ». Les fonds marins en-dehors des eaux territoriales et des ZEE appartiennent au patrimoine commun de l’humanité. C’est ainsi que l’a décidé la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (convention de Montego Bay) en décembre 1982. Douze ans plus tard, l'ONU met en place l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui encadre, délivre et répartit les permis d’exploration et d’exploitation des fonds marins (hors des ZEE) entre les pays. Récemment, l’AIFM a délivré un permis « test » d’exploitation minière des fonds marins à l’entreprise canadienne, The Metals Company  dont l’objectif à long terme est de récolter 1,3 million de tonnes de minerai par an !  

 

Quelles seraient les conséquences sur la planète ?

- L’impact des panaches d’extraction dans les grands fonds :  en creusant pour ramasser les métaux, les engins d’extraction déplaceraient des particules et créeraient des panaches typiques qui « pourraient rester en suspension beaucoup plus longtemps que sur Terre, souligne François Lallier.  Lorsqu’on a découvert les cheminées hydrothermales, on a remarqué que de nombreux animaux s'agglutinent sur ces cheminées naturelles. Des écosystèmes complexes composés d’organismes adaptés à cet environnement particulier s’y sont développés. Les éléments toxiques expulsés par ces panaches pourraient alors impacter les organismes abyssaux qui ne sont pas adaptés à ces conditions extrêmes ».

- L’impact sur les mammifères marins : on parle ici de pollutions lumineuses causées par la présence des navires d’exploitation, mais aussi sonores - les sons à très basse fréquence pourraient interférer avec ceux des mammifères marins et la hausse du trafic maritime augmenterait le bruit ambiant, générerait des vibrations dans des zones océaniques jusqu’alors dépourvues d’activité humaine.

- L’impact sur la faune des grandes profondeurs : les espèces des abysses ont généralement une durée de vie plus longue, une maturité sexuelle plus tardive et une croissance plus lente dans les profondeurs. On pourrait assister à une diminution de la reproduction de ces animaux, voire une extinction. 
« Sur les sommets des monts sous-marins, il y a beaucoup de faune, notamment des coraux profonds et des espèces associées. On y retrouve également de nombreux poissons. C’est très vivant ! Mais la croissance est lente sur ces monts, il faudrait au moins une centaine d'années pour que la faune fixée y repousse par exemple. Il faut aussi évoquer l’aspect de recolonisation après l'exploitation : sur Terre, on peut replanter des arbres après un déboisement. Mais au fond de l’océan, comment fait-on ? », déclare François Lallier.

- L’impact sur la séquestration de carbone : 30 % du CO2 est absorbé par l'océan et stocké dans les fonds marins. L'exploitation minière pourrait entraîner la libération de carbone emmagasiné dans les profondeurs.