
Le bruit, un facteur de risque majeur encore sous-estimé
Une récente étude menée auprès de près de 300 habitants du Grand Paris révèle que les Franciliens sont exposés à des niveaux de bruit préoccupants, notamment lors de leurs déplacements. À l’origine de cette étude, Basile Chaix, socio-épidémiologiste à l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique, s’intéresse aux effets de la mobilité urbaine sur la santé et alerte sur les conséquences des nuisances sonores sur l’organisme.
Entretien avec Basile Chaix
Votre dernière étude, publiée le 21 mars 2025 dans la revue Journal Of Exposure Science And Environmental Epidemiology, porte sur la pollution sonore en Île-de-France, un sujet souvent sous-estimé face à d’autres pollutions. Pourquoi était-il important pour vous d’explorer cet enjeu aujourd’hui ?
Basile Chaix : Le bruit est souvent perçu à tort comme un risque de second ordre car c’est un facteur familier moins facile à objectiver puisqu’il ne laisse pas de traces résiduelles après son émission, contrairement à la pollution de l’air. Il ne provoque pas non plus de catastrophes visibles ou de pics marquants, comme on en a connu avec la pollution atmosphérique.
Pourtant, selon l’OMS, le bruit est le deuxième facteur de risque environnemental en Europe, derrière la pollution de l’air. Plus de 100 millions de personnes, soit 20 % des Européens, sont exposées de manière chronique à des niveaux de bruit liés aux transports, préjudiciables pour leur santé. En France, cela représente près de 10 millions de personnes fortement gênées et plus de 3 millions dont le sommeil est perturbé. À l’échelle de l’Ile de France, Bruitparif estimait en 2021 que l’exposition au bruit des transports entraîne en moyenne une perte de 13 mois de vie en bonne santé par habitant.
Les seuils recommandés par l’OMS sont dépassés 64 % du temps, selon votre étude. Quelles sont les principales conséquences sur la santé des Franciliens ?
B. C. : Ici, on ne parle pas des effets auditifs directs, causés par des expositions à des niveaux très élevés, comme dans certains environnements professionnels ou de loisirs (musique forte, sports mécaniques, tir…). Nous nous intéressons aux effets extra-auditifs, liés à une exposition chronique ou répétée à des niveaux modérés, typiques de l’environnement urbain.
Parmi ces effets aujourd’hui bien établis, on retrouve d’abord la gêne, mais aussi la perturbation du sommeil, aux conséquences métaboliques sérieuses, ainsi que les effets sur le système cardiovasculaire. L’exposition au bruit des transports, notamment routiers, est associée à une augmentation des cardiopathies ischémiques (infarctus du myocarde, angines de poitrine), ce qui contribue à la perte de la durée de vie en bonne santé.
Pourquoi était-il indispensable de compléter les cartes de bruit traditionnelles par une approche centrée sur les déplacements quotidiens ?
B. C. : L’originalité de notre étude est de s’intéresser à l’exposition personnelle au bruit, en tenant compte non seulement du lieu de résidence mais aussi des déplacements et des activités quotidiennes, ce que la plupart des études ne font pas.
Nous avons suivi 290 habitants du Grand Paris, équipés pendant six jours de plusieurs capteurs. Notamment, un dosimètre de bruit était porté à la ceinture, relié à un micro positionné au niveau de l’oreille, pour mesurer au plus près l’exposition sonore réelle. Nous avons ensuite segmenté l’exposition au bruit par bandes de fréquence – graves, intermédiaires, aiguës et très aiguës – ce qui nous a permis de constater que selon les modes de transport ou les situations, les niveaux et types de bruits varient fortement.
En plus du dosimètre, les participants avaient aussi deux capteurs de pollution de l’air, un traceur GPS pour enregistrer leurs déplacements, un accéléromètre pour suivre leur activité physique, et un smartphone pour répondre à des enquêtes. Des capteurs sanitaires mesuraient la tension artérielle et la fréquence cardiaque, et les participants devaient aussi prendre leur tension matin et soir, réaliser un test de spirométrie (capacité pulmonaire) matin et soir, et remplir des questionnaires sur leurs symptômes respiratoires. C’est probablement l’une des études les plus complètes jamais menées dans le domaine, mobilisant un nombre inédit de capteurs.
Quels sont les principaux résultats de votre étude ?
B. C. : L’étude mesure l’exposition quotidienne au bruit, en particulier celle liée aux déplacements et aux différents modes de transport. Elle montre que les trajets, tous modes confondus (marche, vélo, transports motorisés), représentent en moyenne 37 % de la dose journalière de bruit, alors qu’ils occupent moins de 10 % du temps. On observe donc une forte disproportion entre le temps passé dans les transports et la part de bruit reçue.
Les transports motorisés concentrent 21 % de cette dose en seulement une heure par jour, et les transports souterrains (métro, RER, trains) y contribuent à près de 10 % pour seulement 1,4 % du temps, soit une vingtaine de minutes.
Parmi eux, le métro est le plus bruyant, notamment en hautes fréquences, avec ces sons stridents que les usagers connaissent bien. On s’y habitue, mais si l’on y prête attention, on réalise à quel point ces niveaux sonores sont élevés, avec des conséquences réelles sur la santé.
Votre étude confirme aussi que les populations socialement défavorisées sont plus exposées au bruit. Pourquoi cette inégalité persiste-t-elle selon vous ?
B. C. : C’est une question de justice environnementale. Selon l’échelle géographique et les méthodes utilisées, les résultats varient beaucoup : dans une étude que nous avons menée, centrée uniquement sur le bruit résidentiel, les quartiers favorisés comme Saint-Lazare ou Montparnasse apparaissaient parfois plus exposés que des zones plus calmes et excentrées, comme certains secteurs du 20e arrondissement.
En revanche, dans notre étude actuelle, qui prend en compte la dose quotidienne totale de bruit sur l’ensemble des activités de la journée, on observe que l’exposition augmente à mesure que le revenu diminue, tant pour les individus que pour les quartiers.
C’est un résultat important, peu documenté jusqu’ici, car la plupart des études se concentrent uniquement sur le lieu de résidence sans mesures individuelles.
Quelles solutions proposez-vous pour réduire l’exposition quotidienne au bruit ?
B. C. : Il faut poursuivre les efforts pour transformer les environnements urbains, sans exclure les habitants de la périphérie. Il est essentiel de réduire la place du transport motorisé, de favoriser la marche, le vélo, et d’encourager des modèles comme la ville de 15 minutes, où chacun accède aux services essentiels à proximité.
Il faut aussi repenser l’organisation des transports, en éloignant les flux motorisés des piétons et cyclistes, ce qui réduirait à la fois l’exposition à la pollution de l’air et au bruit. Du côté des transports collectifs, des solutions d’ingénierie doivent être développées pour diminuer les niveaux sonores, encore trop élevés.
Enfin, les zones calmes jouent un rôle clé : ce sont des lieux où l’exposition au bruit est limitée, permettant à l’organisme de se ressourcer. Le label QUIET, lancé dans le cadre du 4e Plan National Santé Environnement, identifie ces espaces intérieurs ou extérieurs, où le niveau sonore reste en dessous de 55 dBA, seuil au-delà duquel l’OMS considère que les risques pour la santé apparaissent. L’enjeu est de les implanter dans les territoires les plus bruyants car selon l’Agence européenne de l’environnement, les habitants des villes de plus de 50 000 habitants y ont encore peu accès, comme le montrent les cartes stratégiques de bruit.
Est-ce que l’évolution vers des transports électriques ou hybrides pourrait aider à réduire cette pollution sonore ?
B. C. : Je ne pense pas que le véhicule individuel électrique soit LA solution pour répondre à la crise environnementale des villes, car celle-ci est en grande partie liée à l’omniprésence du transport motorisé individuel. Les priorités doivent plutôt aller vers les mobilités douces et le transport collectif. Cela dit, les véhicules électriques ont un rôle à jouer, notamment pour les personnes vivant en périphérie avec peu d’alternatives.
Des études montrent que les véhicules hybrides produisent autant de bruit que les véhicules thermiques classiques, tandis que les véhicules 100 % électriques réduisent effectivement le bruit à condition de rouler à des vitesses modérées typiques en milieu urbain. Mais ce bénéfice est surtout valable pour des véhicules légers, alors que certaines grosses électriques, comme les Tesla, n’offrent pas nécessairement d’avantage significatif en termes de bruit.
Quelle sera la suite donnée à cette étude ?
B. C. : Nous travaillons actuellement sur les réponses cardiovasculaires, notamment sur la pression artérielle. Nos travaux montrent que les personnes, qu’elles se déplacent à pied, à vélo, en voiture ou en transports en commun, sont exposées à des cocktails de polluants susceptibles de provoquer des réactions aiguës de la pression artérielle, comme des à-coups. En lien avec nos collègues angiologistes de l’Hôpital européen Georges Pompidou, nous pensons que ces stress répétés, plusieurs fois par jour, peuvent à long terme endommager le système cardiovasculaire et favoriser l’hypertension chronique.
Dans le cadre d’une thèse financée par l’Institut de la transition environnementale de Sorbonne Université, nous allons ajouter le bruit comme nouvel ingrédient à ce “cocktail” de stress environnementaux, en observant comment les différentes fréquences sonores (graves, aiguës) influencent la réponse cardiovasculaire. L’objectif est de démêler autant que possible les effets attribués à la pollution de l’air et au bruit, souvent amalgamés, et d’identifier ce qui impacte le plus la santé cardiovasculaire.