
Faire dialoguer disciplines et savoirs : la vocation interdisciplinaire de l’initiative iRHiST
L’initiative Renouveler l’histoire des sciences et des techniques (iRHiST) porte l’ambition de faire de l’Alliance Sorbonne Université un pôle structurant dans un champ de recherche à la croisée des disciplines — histoire, philosophie, sociologie, sciences exactes — afin de redonner toute sa visibilité à une communauté scientifique déjà active, mais jusqu’ici dispersée. En misant sur l’interdisciplinarité, la valorisation du patrimoine scientifique, la formation initiale et le dialogue avec la société, il s’agit, dans une perspective historique, de renouveler les manières d’étudier et de faire comprendre les sciences et leurs usages.
Interview de David Aubin, directeur de l’initiative Renouveler l’histoire des sciences et des techniques
Comment et dans quel contexte s’est constituée l’initiative Renouveler l’histoire des sciences et des techniques ?
David Aubin : L’iRHiST est l’aboutissement d’un long processus de maturation, amorcé bien avant la fusion des universités. À l’époque, nous avions déjà commencé à faire dialoguer des chercheurs travaillant sur l’histoire, la sociologie ou la philosophie des sciences et des techniques, au sens large. Cela a par exemple donné naissance, il y a une dizaine d’années, à un séminaire qui fonctionne toujours. Intitulé Histoire des sciences, histoire de l’innovation, le séminaire est coorganisé par les historiens de la faculté des Lettres (alors Paris-Sorbonne), dont le professeur Pascal Griset, et des historiens des sciences, à la faculté des Sciences et ingénierie. Ce rapprochement avait également permis la création dès 2014 d’une mineure transdisciplinaire thématique en Histoire et Philosophie des Sciences et des Techniques (HPST). Cette mineure, où collaborent des enseignants-chercheurs des deux facultés, est ouverte à partir de la deuxième année de licence à tous les étudiants de la faculté des Sciences et aux étudiants d’histoire et de philosophie de la faculté des Lettres.
L’iRHiST représente aujourd’hui une montée en puissance de cette dynamique : elle réunit un plus grand nombre de chercheurs en faisant appel, au-delà de Sorbonne Université, à l’ensemble de l’Alliance Sorbonne Université (ASU), en particulier au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). L’ouverture des appels à manifestation d’intérêt pour les Instituts et Initiatives a permis à l’iRHiST de se structurer pleinement. Elle est désormais en mesure de se positionner comme un acteur important dans le paysage de la recherche et de la formation en histoire des sciences et des techniques.
L’interdisciplinarité est au cœur des initiatives et instituts. Comment se traduit-elle concrètement pour vous ?
D.A. : L’histoire des sciences et des techniques est, par essence, interdisciplinaire. Elle repose, pour le dire vite, sur l’application des méthodes des sciences humaines et sociales à l’étude des sciences exactes et naturelles. Cela implique de travailler étroitement avec des spécialistes de ces sciences, de même qu’avec les acteurs de l’innovation technique et de la médecine, en combinant les approches.
Mais cette interdisciplinarité est aussi présente à l’intérieur même des sciences humaines et sociales : historiens, philosophes, sociologues, linguistes, ou encore spécialistes des lettres croisent leurs perspectives. L’iRHiST cherche de plus à faire une large place aux professionnels du patrimoine, archivistes, bibliothécaires ou conservateurs de collections scientifiques, avec lesquels nous collaborons étroitement. C’est d’ailleurs l’une des grandes originalités de l’initiative : faire de cet espace un véritable carrefour où se rencontrent et collaborent ces différentes disciplines.
Plus encore, l’interdisciplinarité n’est pas seulement une méthode de travail, c’est aussi un objet d’étude en soi, que nous analysons historiquement pour comprendre comment les disciplines se forment et comment leurs contours évoluent au fil du temps.
Quels sont les objectifs de l’institut ?
D.A. : Notre objectif principal est de fédérer une communauté à la fois très diverse et très nombreuse, mais historiquement peu structurée au sein de Sorbonne Université. La section 72 du CNU, qui concerne l’épistémologie et l’histoire des sciences et des techniques, est très bien représentée au sein de l’ASU. En incluant le CNAM, nous formons probablement l’un des plus grands pôles français dans ce domaine, avec une douzaine d’enseignants-chercheurs et une communauté élargie à plus d’une centaine de personnes, qui comprend les chercheurs du Centre Alexandre-Koyré, dont l’une des tutelles est le MNHN.
L’un des rôles essentiels de l’initiative est donc de mettre en lumière ces richesses déjà présentes, de les renforcer et de positionner l’Alliance Sorbonne Université comme un acteur majeur de l’histoire des sciences et des techniques à Paris et en France.
Quels axes et enjeux de recherche avez-vous définis ?
D.A. : Nous avons structuré notre action autour de cinq grands axes de recherche, issus des dynamiques déjà présentes au sein de notre communauté :
- Histoire des patrimoines universitaires, notamment au sein de l’ASU : il s’agit de mettre en relation les responsables des collections, des archives et des bibliothèques, afin de mieux comprendre l’histoire des institutions scientifiques par le prisme de leur patrimoine.
- Les matériaux des sciences (objets, images, mots concepts) : de nouvelles approches, notamment dans le champ des humanités numériques, donnent de nouvelles clés d’analyse sur les matériaux dont on se sert pour fabriquer les sciences. Notre objectif est de renouveler par ce biais la manière dont nous comprenons la construction et la diffusion des savoirs.
- Savoirs en mouvement : des questions très actuelles sont posées par la façon dont les savoirs circulent dans différents espaces sociaux (des innovations techniques dans l’entreprise aux sciences participatives), ou font l’objet de controverses (par exemple, dans les domaines de la santé, de l’environnement, de l’IA…).
- Histoire et philosophie des sciences / épistémologie : nous cherchons à enrichir les réflexions sur les relations entre histoire et philosophie des sciences, mais aussi sur leurs usages possibles pour mieux répondre aux demandes sociales adressées aux connaissances scientifiques, et aider à en produire de nouvelles.
- Formation : la recension des enseignements existants va nous permettre de développer une cohérence globale de l’offre pédagogique pour des publics étudiants diversifiés. Nous cherchons également à nous inscrire dans une perspective de collaboration européenne, notamment avec l’alliance 4EU+.
Quels sont les enjeux en termes de formation ?
D.A. : Le principal enjeu est de renforcer la présence de ces thématiques dans la formation initiale, à tous les niveaux : licence, master, doctorat. La mineure HPST en licence existe déjà, mais nous souhaitons améliorer sa visibilité et sa cohérence avec les autres formations, notamment les masters. L’objectif est de créer un parcours plus lisible, avec un débouché naturel vers les études supérieures dans ce domaine.
La question du master est particulièrement centrale pour nous. Il ne s’agit pas nécessairement de créer de toutes pièces de nouvelles formations, mais de valoriser, fédérer et rendre visible l’existant. Nous n’envisageons pas, pour l’instant, de développer la formation continue : notre priorité est de nous concentrer sur la formation initiale.
L’iRHiST sera enfin le lieu de formation d’une nouvelle cohorte de doctorants, qui pourront bénéficier des dynamiques impulsées et y contribuer eux-mêmes, en particulier en organisant leur propre séminaire.
Quel impact les recherches réalisées au sein de l’institut peuvent-elles avoir sur la société ?
D.A. : Nous vivons une époque où le rôle des sciences et des techniques dans la société est de plus en plus l’objet de débats, voire d’attaques. Les controverses publiques et les remises en question fondamentales qui frappent l’activité et les résultats scientifiques aujourd’hui montrent qu’il reste beaucoup d’incompréhensions de part et d’autre. La manière dont les savoirs scientifiques sont produits, circulent, et sont perçus, mérite d’être mieux comprise.
L’histoire des sciences et des techniques peut apporter des outils précieux pour analyser ces phénomènes. Elle aide à comprendre comment les savoirs se construisent, comment ils sont transformés, diffusés, ou contestés par différents groupes sociaux à diverses époques. Il s’agit aussi d’éclairer les chercheurs eux-mêmes sur la réception de leur travail, et sur les attentes de la société vis-à-vis de la science.
En repensant les relations entre science et société, en contribuant à une meilleure culture scientifique partagée, nos recherches peuvent jouer un rôle essentiel dans la démocratie des savoirs.