École d’été UNAM-OPUS à Mexico, rencontre avec de Sandra Zetina, cheffe de projet
  • Alliance Sorbonne Université
  • Recherche et formation pluridisciplinaires

École d’été UNAM-OPUS, rencontre avec Sandra Zetina

Du 22 au 26 août 2022, l’Observatoire des patrimoines de l’Alliance Sorbonne Université et le Laboratoire national des sciences pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel de l’Université Nationale Autonome du Mexique ont organisé leur première école d’été interdisciplinaire à Mexico, sur le sujet de la matérialité de la couleur.

L’occasion pour dix étudiantes, étudiants et jeunes chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales et sciences exactes de marcher dans les pas de l’artiste et peintre mexicain, Diego Rivera (1886-1957).

Une démarche scientifique interdisciplinaire et collaborative

Comment mobiliser autour d’un projet commun différentes disciplines et décloisonner les perceptions vis-à-vis d’un même objet d’étude ? 

Ces questions furent à l’origine de cette première école d’été intitulée "Reconstituer, restituer projeter la couleur de la fin du XIXe siècle aux années 1950 :  arts visuels, archéologie de la couleur, exotisme, études physico-chimique", fruit d’un partenariat d’excellence entre l’Observatoire des patrimoines de Sorbonne Université (OPUS) et le Laboratoire national des sciences pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel (LANCIC) de l'Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM).

Co-construit autour d’un dense programme scientifique interdisciplinaire, ce projet a permis à 10 étudiantes et étudiants, jeunes chercheurs et chercheuses de l’Alliance Sorbonne Université de partager leurs analyses, questionnements et méthodologies de recherche afin d’explorer la peinture avant-gardiste du peintre mexicain Diego Rivera (1886-1957) et d’en apprendre plus sur la généalogie du muralisme mexicain.
 
L’objectif ? Approfondir la compréhension des œuvres et des processus de création qui leur donne vie en faisant dialoguer histoire de l’art et sciences exactes, dans le but de former de futurs experts et expertes en étude de sujets patrimoniaux. C’est ainsi que pourraient être améliorés la connaissance des procédés de préservation et de restauration de tableaux, objets ou monuments patrimoniaux. 

L’occasion également pour de jeunes professionnelles, chercheurs et chercheuses de créer un réseau sur des disciplines connexes au sein de laboratoires différents afin de les aider à développer leurs compétences et leurs projets. Les participants et participantes issus des sciences sociales ont également pu acquérir des connaissances sur les techniques instrumentales spectroscopiques et chimiques qui permettent de renseigner la composition et la structure de la matière étudiée.

Fort de cette possibilité exceptionnelle et enrichissante de pouvoir travailler au plus près de l’œuvre, une peinture à l’huile contenue au sein du Musée national d’Art de Mexico (MUNAL), les participants et participantes ont par ailleurs pu former leur expertise en toute liberté au cours de divers ateliers et conférences magistrales tenus par des historiens de l’Art mexicain. 
     
La collaboration entre OPUS et l'UNAM, qui est amenée à se poursuivre en 2023 lors de la prochaine université d’été organisée par OPUS, à Paris, se nourrit aussi du profil interdisciplinaire et novateur de la cheffe de projet, la chercheuse mexicaine de l’UNAM, Sandra Zetina.

Entretien avec Sandra Zetina, cheffe de projet et chercheuse aux techniques de recherche novatrices

Rencontrée à l’occasion du déplacement d’une délégation d’enseignants chercheurs et enseignantes chercheuses de Sorbonne Université début 2020 à l’UNAM, Sandra Zetina, chercheuse au LANCIC, a permis le succès de cette première coopération entre les deux institutions. Cherchant à décloisonner les frontières disciplinaires entre les sciences humaines et exactes grâce à son profil universitaire unique, Sandra se caractérise par une rare expertise en histoire de l’art et en science des patrimoines.   

Entretien avec Sandra Zetina, cheffe de projet et chercheuse aux techniques de recherche novatrices

Sandra, pourriez-vous vous présenter ?

Sandra Zetina : 
Je suis chercheuse au Laboratoire national des sciences pour la recherche et la conservation du patrimoine culturel de l'UNAM. Ce laboratoire est le premier laboratoire dédié aux matériaux et techniques pour la recherche sur la conservation et l’histoire de l’art. Je travaille en partenariat avec des Instituts de physique-chimie et des universités pour développer des approches multidisciplinaires afin d’améliorer les techniques de restauration des objets et monuments patrimoniaux. C’est pourquoi je collabore également avec des Instituts qui œuvrent à la préservation du patrimoine artistique préhispanique mais également datant du XXe siècle à nos jours.

J’ai obtenu une licence en conservation et restauration (NDLR, en France il existe une séparation entre ces deux spécialisations) et j’ai commencé à étudier et à pratiquer la restauration et l’archéologie en m’intéressant aux reliefs patrimoniaux de la période classique préhispaniques (les Mayas). Par la suite, j’ai acquis un master puis un doctorat en histoire de l’art. Dans le cadre de mes recherches, je suis amenée à travailler principalement avec de jeunes étudiantes et étudiants de master et de jeunes chercheuses et chercheurs en doctorat.

Quelles techniques et outils utilisez-vous dans le cadre de vos recherches ?

S.Z. : 
Pour mener mes recherches et obtenir la composition élémentaire des matériaux organiques et inorganiques présent sur les œuvres, je travaille essentiellement avec des techniques d’imagerie scientifique, de microscopie optique et microscopie électronique à balayage. Les techniques d’imagerie sont variées : ultraviolets, infrarouges, fluorescence par rayons x (NDLR, une technique d'analyse chimique des propriétés physiques de la matière) et imagerie multi-spectrale.

Grâce à mes collègues de sciences et aux chimistes avec lesquels je collabore, j’utilise aussi des techniques spectrométriques et chimiques telles que les chromatographies et la résonance magnétique nucléaire, une méthode spectroscopique d'analyse de la matière fondée sur les propriétés magnétiques de certains noyaux atomiques. Également, la spécificité de ces techniques spectrométriques réside en ce qu’elles sont portatives, non-invasives et non-destructrices. C’est-à-dire qu’elles nous permettent d’analyser les matériaux et de les dater, sans endommager les œuvres lors des prélèvements d’échantillons.

Ces analyses sont importantes, car le choix d’un colorant, d’un pigment et d’une texture renseigne sur le contexte artistique et social de création d’une œuvre. En outre, cela permet d’améliorer les techniques de restauration, car pour préserver, il est nécessaire de se représenter les idées esthétiques et le sens donné par les artistes à leurs pratiques de création.

Qu’est-ce que le projet de la matérialité de la couleur ?

S.Z. : 
Un détour historique est nécessaire pour mieux saisir cette notion de la matérialité des couleurs et la manière dont l'utilisation de textures, de matériaux et de couleurs modifient l'expression de l'espace dans une œuvre peinte sur un tableau ou un mur (fresque murale).

En 1839, le chimiste Michel-Eugène Chevreul, qui travaillait sur les tapisseries de la Manufacture des Gobelins à Paris, énonce la loi du contraste simultané des couleurs. Cette loi étudie notre perception optique des couleurs à partir de leur juxtaposition sur une œuvre par les artistes. Ceux-ci savent qu’en juxtaposant deux points de différentes couleurs, ils peuvent en créer une troisième.

Aussi, ce projet naît dans les pas de l’artiste mexicain d’avant-garde, Diego Rivera (1886-1957), présent à Paris de 1911 à 1921 avec d’autres artistes tels que Robert Delaunay (1885-1941) ou Pablo Picasso (1881-1973). Rivera, comme de nombreux peintres de son époque, s’est intéressé à l’interaction entre la lumière, la couleur et l’espace dans la peinture et s’est interrogé sur celle-ci à partir de son étude des œuvres du peintre français Eugène Delacroix (1798-1863).

Si les peintures murales sont emblématiques de l’art mexicain et que Diego Rivera est célèbre pour avoir créé une école de peinture au Mexique, il est important de comprendre quelle a été l’influence technique de son passage à Paris et en Espagne. Car c’est par sa réappropriation des techniques liées à la couleur et à la recherche sur l’espace, dans les pas du mouvement Cubiste, qu’il put transformer son art et la peinture mexicaine.

Plus généralement, le projet permet d’avoir une large approche de la notion de matérialité de la couleur et de sa réinterprétation, qui intéresse les archéologues, les chimistes et les chercheuses et chercheuses travaillant sur les sujets patrimoniaux. En effet, travailler de manière interdisciplinaire sur la couleur permet des avancées dans les reconstitutions numériques en histoire de l’art, afin de savoir quelle(s) couleur(s) et quelle(s) processus nous pouvons donner à des matériaux. 

Comment le lien entre les deux établissements vous a-t-il permis de réaliser ce projet ?

S.Z. : 
Ce projet de matérialité de la couleur a été construit dans une idée d’échange entre les deux établissements, afin de faire bénéficier aux 20 étudiantes, étudiantes et jeunes chercheurs et chercheuses des deux pays d’un riche programme co-élaboré à partir des différentes disciplines (lettres, sciences humaines et sociales et sciences exactes) enseignées à la fois au Mexique et en France.

Les soutiens financiers de l’institut OPUS, de la Direction Internationale de Sorbonne Université et de l’UNAM ont été essentiels pour permettre la réussite du projet et la tenue des ateliers de recherche sur place. 

Quelles sont les pistes de développement du projet à l’avenir ?

S.Z. : L’idée est de mettre en place des échanges et séjours de longue durée autour du projet scientifique que je développe, notamment un doctorat en cotutelle, avec deux directeurs de thèse (un à Sorbonne Université et un à la UNAM), afin de continuer à promouvoir les compétences pluridisciplinaires en sciences du patrimoine et en histoire de l’art. 

En effet, je pense que l’avenir du secteur passe par le déploiement du double profil d’historien de l’art et de scientifique en science exacte. En outre, ce projet est l’occasion pour de jeunes chercheurs et chercheuses de développer un curriculum plus divers, de se bâtir un solide réseau, voire de creuser des pistes pour un post-doctorat. Enfin, le développement du projet passera également par son implantation au sein de différents laboratoires de recherche et différentes disciplines, afin de stimuler les échanges scientifiques.

Retour en images

Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico

Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico
Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico
Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico
Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico
Au Museo Nacional de Arte (MUNAL), Centre historique de Mexico