Dispositif Sonate : repérer, orienter et soigner les personnes fragiles
Le service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, a mis sur pied un dispositif d’accueil destiné aux publics éloignés des structures de santé.
Ce dispositif, porté notamment par la Pr Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses et tropicales, vise notamment les personnes transgenres, les travailleurs du sexe, les étrangers égarés par la complexité administrative et, plus largement, tous ceux qui sont stigmatisés dans leur accès au soin. La démarche permet de les repérer, accompagner et orienter, pour leur propre santé et plus largement dans une approche de santé publique. Elle permet aussi à la recherche de mieux connaitre ces publics insaisissables.
Il ne fait pas bon ignorer le français ou les codes de sociabilité propre à notre système médical pour se faire soigner ! Pas d’avantage d’appartenir à un groupe facilement réprouvé comme les transgenres, travailleurs du sexe ou étranger en situation irrégulière. Le risque est alors grand d’être accueilli comme un chien dans un jeu de quilles, renvoyé d’interlocuteur en interlocuteur, voire éconduit. « Cette cuisante expérience, nous l’avons toutes faite, explique Giovanna Magrini, médiatrice de santé à l'Assistance publique – hôpitaux de Paris. Tu es expédiée de guichet en bureau, il te manque toujours un papier, et tu n’es finalement pas soignée… »
Patiente-experte VIH, femme transgenre qui a connu la prostitution et la vulnérabilité des personnes sans titre de séjour, elle est la cheville ouvrière et la vitrine sur les réseaux sociaux du dispositif Sonate. Cette structure associative, adossée au centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) du service des maladies infectieuses et tropicales du Pr Karine Lacombe à l’hôpital Saint-Antoine, s’est donné pour mission d’accueillir dignement et efficacement les publics malmenés ailleurs, pour améliorer leur accès aux soins. Et par la force des choses, ses compétences s’étendent bien au-delà de la santé…
Lutte contre le non-recours
« Nous savons qu’une partie des patients potentiels, susceptibles d’être dépistés pour les infections sexuellement transmissibles ou la tuberculose, de recevoir des traitements ou de la PrEP1, sont incapables de franchir la porte de l’hôpital tel qu’il fonctionne, explique le Dr Thibault Chiarabini, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine, responsable du réseau Sonate et membre du centre de dépistage gratuit. Ainsi, depuis que nous avons mis en place le dispositif Sonate pour faciliter l’accueil des publics précaires ou stigmatisés, en 2019, ils représentent 20 % des consultations du centre. » Ce non-recours à leurs droits à la santé tient à des écueils d’ordre administratif, culturel et psychologique. Le premier est l’obstacle de la langue, et c’est pourquoi de nombreuses consultations dans les hôpitaux français se sont dotées d’interprètes dans les principales langues parlées par les publics issus de la migration. « Mais ça ne suffit pas, il faut les aider avant-même le cabinet médical, affirme Giovana Magrini. Il s’agit d’abord d’éduquer le personnel soignant et non-soignant au respect des usagers non-francophones ou atypiques. »
Dr Thibault Chiarabini, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine, responsable du réseau SonateDepuis que nous avons mis en place le dispositif Sonate pour faciliter l’accueil des publics précaires ou stigmatisés, en 2019, ils représentent 20 % des consultations du centre.
L’équipe de Sonate fait preuve de pédagogie en ce sens auprès des vigiles, des agents administratifs, des infirmières et même des médecins de l’hôpital. « Mais il reste toute l’administration et les services publics français à sensibiliser », estime-t-elle. En attendant, avec l’assistante sociale du service et en lien avec plusieurs associations2, elle passe une bonne partie de son temps à monter des dossiers d’aide médicale3, à expliquer les démarches administratives essentielles quant au séjour en France, à débrouiller des imbroglios avec la CAF ou les autres hôpitaux.
Bien être individuel et santé publique
« S’adresser à ces publics réclame une grande flexibilité d’organisation, explique Thibault Chiarabini. Il faut pouvoir recevoir en consultation sans délai ces patients au mode de vie souvent dicté par la précarité, trouver des moyens pour leur prise en charge quand c’est nécessaire, garder une disponibilité quasi permanente pour les orienter et les insérer dans les circuits de soin adaptés. » Car la vocation du réseau Sonate n’est pas de conserver indéfiniment les personnes vulnérables sous son aile, mais plutôt de les orienter vers des services de santé ou d’aide sociale partenaires, où elles seront bien accueillies et bien traitées. « Plus du quart des personnes venues se faire dépister via Sonate sont positives au VIH », indique le praticien. L’enjeu est avant tout d’améliorer l’état sanitaire, sociale et psychologique de chacune. Et, s’agissant de maladies infectieuses, il est également important de les soigner pour réduire la pression pathogène sur l’ensemble de la population.
Au-delà de la prise en charge, le réseau Sonate permet d’acquérir de précieuses connaissances sur ces publics habituellement si discrets. Des recherches, menées à postériori sur les données recueillies, devraient permettre d’améliorer les stratégies de prophylaxie ou de traitement en fonction du mode de vie des patients, voire d’élaborer des modes d’administration pus adaptés à leur spécificité, comme des formulations de traitement à longue durée. Le réseau Sonate a été présenté à la communauté scientifique lors du colloque « genre et médicalisation », organisé par Sorbonne Université en 2022.
1. Prophylaxie pré-exposition, traitement préventif permettant d’éviter l’infection au VIH même en cas d’exposition au virus. Proposé aux publics ayant des rapports sexuels avec des partenaires multiples ou des partenaires infectés.
2. Notamment ARCAT, Punto Latina et Le Repère pour la domiciliation indispensable à l’établissement des droits sociaux, IKAMBERE pour l’accueil des femmes, la Maison Chemin-vert et les cabinets IPSO pour le suivi médical à la ville, AREMEDIA pour le dépistage hors les murs
3. Aide médicale d’État (AME), couverture médicale universelle (CMU) ou régime général de l’Assurance maladie
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La médiatrice de l’APHP Giovanna Magrini, femme transgenre et patiente-experte VIH, au centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic de l’hôpital Saint-Antoine.
Crédit : DR