« Avec la fonte de la banquise, le réchauffement en Arctique progresse »
« Avec la fonte de la banquise, le réchauffement en Arctique progresse »
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« Avec la fonte de la banquise, le réchauffement en Arctique progresse »

Directrice de recherche CNRS au Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN), Marie-Noëlle Houssais nous parle de ses travaux de recherche et des effets du réchauffement climatique sur l'océan Arctique, l’un de ses sujets de prédilection.

 

 

Vous êtes spécialisée sur la dynamique et la variabilité des océans polaires. En quoi cela consiste ?

Je m’intéresse à la circulation océanique et à ses liens avec la cryosphère marine et terrestre. Je travaille sur la dynamique des océans polaires, les transports de chaleur, de sel et d’eau douce, afin de comprendre comment l’océan contribue au changement climatique en Arctique.
Mon équipe et moi consacrons une grande énergie à acquérir de nouvelles observations dans cette région du monde. Nous maintenons par exemple un réseau de mouillages au large de l’archipel du Svalbard avec des capteurs qui mesurent les courants, la température, la salinité et l’oxygène dissous de la colonne d’eau. Cet archipel norvégien est la porte d’entrée des eaux de l’Atlantique vers l’Arctique, celles qui apportent de grandes quantités de chaleur et peuvent modifier les interactions avec la banquise.

Qu'avez-vous pu constater avec cette technique de mesure ?

Maintenu depuis bientôt quatre ans, ce réseau de mouillage nous a permis d’observer la variabilité des propriétés du courant Atlantique, et d’estimer les transports de volume et de chaleur qui lui sont associés. Nous cherchons à comprendre par quels mécanismes cette chaleur disponible dans le courant en subsurface est diffusée vers la surface et influence la banquise arctique.
Ce n’est pas facile car, entre cette eau chaude qui rentre en Arctique et la banquise, il existe une couche d’eau très froide et très peu salée, qui tend à isoler les eaux atlantiques de la surface. Cette couche est entretenue par la fonte de la banquise et les apports d’eau douce des grands fleuves sibériens se déversant en Arctique.
Ces phénomènes de mélange, lorsqu’ils se produisent, opèrent à petites échelles et sont d’autant plus ardus à mesurer qu’ils ne se produisent pas uniformément et sont intermittents. Par moment et par endroit, nous allons remarquer des flux d’eau chaude qui viennent grignoter la glace. Il faut comprendre pourquoi et comment.

 

Quels sont les effets du réchauffement climatique en Arctique et ses impacts ?

La fonte de la banquise est un des changements les plus notables. Au fil des années, en Arctique, on remarque une diminution du couvert de glace qui est plus saisonnier, diminue plus rapidement l’été que l’hiver, devient moins épais, dérive plus vite.
La période de fonte est aussi plus longue, avec un couvert de glace qui ne se reconstitue que partiellement durant l’hiver. Peu de glace résiste à la fonte l’été. Même si elle subsiste encore légèrement du côté de l’Arctique de l’ouest,  jadis, une grande partie du couvert de glace était pluriannuelle et résistait à la fonte estivale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui…

La fonte du Groenland, qui déverse de l’eau douce dans l’océan, est un autre effet important. Cette eau, moins dense et plus légère, stratifie les couches supérieures de l’océan en modifiant la répartition des densités dans l’océan Arctique et au-delà, dans l’Atlantique Nord. Si l’eau douce du Groenland s’approche des sites océaniques où se forment les eaux profondes de l’océan, elle risque de ralentir le processus de formation en empêchant la plongée des eaux de surface vers les couches profondes.

Un autre phénomène est celui des interactions des eaux chaudes océaniques avec les glaciers côtiers du Groenland et leur impact sur la perte de masse de la calotte. Ces eaux chaudes circulent notamment dans les mers subarctiques et viennent lécher les glaciers. Si la fonte du Groenland s’accélère, le déversement des eaux douces du Groenland dans l’océan va lui aussi s’accroître.


L’Arctique est l'une des zones du monde qui se réchauffent le plus rapidement. Pourquoi ?

Un réchauffement atmosphérique plus rapide en Arctique suppose des rétroactions qui accentuent les changements. Avec la fonte de la banquise, le réchauffement en Arctique progresse.
La banquise ayant un pouvoir réfléchissant plus important que l’océan, quand elle fond, la chaleur au lieu d’être réfléchie vers l’atmosphère, est absorbée par la surface océanique ce qui contribue à amplifier le réchauffement.
Cet effet d’albédo (le pouvoir réfléchissant d'une surface) est un effet de rétroaction positif : plus la glace fond, plus la surface se réchauffe. D’autres causes existent comme la modification de la circulation atmosphérique avec un transport d’air chaud accentué des tropiques vers les pôles.
Tout cela contribue à réchauffer l’Arctique davantage que le reste de la planète.


L’année passée, il a été rapporté que les températures de la région Arctique étaient 5°C au-dessus des normales. Que peut-on craindre pour l’avenir ?

Effectivement, 2020 a été une année particulièrement chaude en Arctique. Outre des perturbations sur les  écosystèmes et la biodiversité, de nombreuses recherches semblent montrer que la diminution du couvert de glace aurait un impact sur le climat en général et sur les hivers des latitudes tempérées en particulier.
Les eaux en se réchauffant et en devenant moins salées à cause de la fonte des glaces ont plus de mal à former des eaux profondes. Cela perturbe la circulation océanique de grande échelle.

On a observé dans les climats passés des ralentissements de la circulation méridienne de retournement atlantique, une circulation permanente des eaux marines qui consiste en une remontée des eaux chaudes des tropiques de l'Atlantique vers le Nord alimentée par les sites de formation d’eau profonde des régions polaires. Si la plongée des eaux est affaiblie, cette circulation méridienne pourrait ralentir, avec des conséquences importantes pour le climat.

 

Conférences Expertises Croisées

Le 1er avril dernier, l’Institut de l’Océan a lancé son cycle de conférences Expertises Croisées avec pour premier sujet, l'océan Arctique, auquel a participé Marie-Noëlle Houssais. La vidéo de son intervention est disponible ici.

Les conférences Expertises Croisées auront lieu le premier jeudi de chaque mois jusqu'au  1er juillet. L'objectif de ces séminaires en libre accès est d’examiner un sujet sous une grande variété d’angles, grâce à des universitaires de disciplines différentes et des acteurs de terrain.

Plus d'infos sur le site Internet de l'Institut de l'Océan.