10 idées reçues sur les antibiotiques
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10 idées reçues sur les antibiotiques

Si les antibiotiques ont contribué à faire baisser significativement la mortalité au cours du 20e siècle, leur utilisation massive a conduit à l’émergence de bactéries résistantes. Cette antibiorésistance est aujourd’hui devenue un problème de santé mondial alarmant.

Florence Brossier, biologiste, spécialisée en bactériologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, au Centre d'immunologie et des maladies infectieuses (CIMI) [1], répond à 10 idées reçues sur les antibiotiques et l’antibiorésistance.

1. C’est l’individu qui est résistant aux antibiotiques. 

Faux. L’antibiorésistance est la résistance d’une bactérie à un antibiotique. Ce n’est donc pas l’individu qui est résistant aux antibiotiques, mais ses bactéries.

Le corps humain est constitué de 10 fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Parce que cette flore bactérienne qui nous compose varie tout au long de notre vie, les résistances bactériennes que nous observons chez un individu à un temps t ne seront pas les mêmes quelques années plus tard.

2. Les bactéries sont naturellement résistantes aux antibiotiques.

Vrai et faux. Une bactérie peut naturellement être résistante à certains antibiotiques, mais elle peut aussi développer une résistance à un ou plusieurs antibiotiques. Cela s'appelle la « résistance acquise ». Cette résistance est due à des mutations survenues dans le chromosome bactérien ou à l’acquisition de gènes de résistance portés par des éléments génétiques mobiles comme les plasmides, ces morceaux d’ADN circulaires qui peuvent être échangés d’une bactérie à l’autre.

Par ailleurs, la résistance aux antibiotiques évolue sans cesse car de nouveaux mécanismes de protection apparaissent chez les bactéries.

3. Il y a un lien entre le niveau de consommation d’antibiotiques et la résistance aux antibiotiques.

Vrai. L’augmentation de la résistance aux antibiotiques est une réponse évolutive à l'utilisation généralisée des antibiotiques qui crée une forte pression de sélection. La vitesse à laquelle la résistance aux antibiotiques et les facteurs de virulence évoluent dans le monde bactérien peut être ralentie en réduisant la pression de sélection, c’est-à-dire en diminuant l'utilisation d'antibiotiques.

Lorsque nous utilisons un antibiotique, seules survivent et se reproduisent les bactéries dotées de systèmes de défense contre cette molécule. Or plus une bactérie est soumise à un antibiotique, plus elle va essayer de trouver des moyens de lutter contre cet antibiotique. 

La prolifération des bactéries résistantes peut aboutir à leur inquiétante dissémination chez l’homme, l’animal ou dans l’environnement.

Présente partout dans le monde, l’antibiorésistance varie cependant d’un pays à un autre. Dans le Nord de l’Europe, nous observons relativement peu de résistance aux antibiotiques comparativement à l’Est et au Sud de l’Europe. Cela s’explique par différents facteurs qui peuvent se combiner : une utilisation des antibiotiques plus ou moins bien contrôlée (sur prescription médicale ou librement accessibles), une dissémination de la résistance plus ou moins bien maitrisée, une utilisation différente des antibiotiques en santé animale et dans l’agriculture, etc.

4. Les antibiotiques sont efficaces pour soigner la grippe.

Faux. Les antibiotiques sont des substances (naturelles, synthétiques ou semi-synthétiques) qui vont tuer les bactéries ou empêcher leur prolifération à travers différents mécanismes d’action.

50% des Européens ignorent encore que les antibiotiques ne sont efficaces que sur les bactéries et n’ont aucun effet sur les virus et les champignons. Ils ne fonctionnent donc pas contre la grippe qui est une affection virale.

5. Si vous n'avez plus de symptômes, vous pouvez arrêter le traitement antibiotique.

Faux. Le fait d’arrêter un traitement antibiotique avant la fin de sa prescription ou de prendre une dose inférieure à celle prescrite empêche l’élimination totale des bactéries. Les bactéries qui n’auront pas été tuées auront été exposées à l’antibiotique et pourront alors devenir résistantes et se multiplier.

Pour réduire le risque d’émergence de souche résistante, il faut donc traiter à la dose recommandée pendant toute la durée préconisée par le médecin.

6. Mieux vaut traiter par antibiotique « au cas où… ». Cela ne peut pas faire de mal.

Faux. Prendre un traitement médicamenteux quel qu’il soit n’est jamais anodin. Toutes les molécules ont des effets indésirables, les antibiotiques aussi. Ils impactent notamment le microbiote intestinal composé de milliards de bactéries qui jouent un rôle important dans notre métabolisme.

Par ailleurs, donner un antibiotique pour prévenir une surinfection bactérienne dans une pathologie virale pose question : si le risque de surinfection bactérienne secondaire est faible, la prise inutile d’antibiotique augmente, elle, considérablement le risque de développer des résistances bactériennes.

7. Les bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient devenir la première cause de mortalité.

Vrai. En 2016, des chercheurs internationaux ont révélé que ce phénomène est aujourd’hui responsable de 700 000 morts à travers le monde. Selon leurs projections, si rien n’est fait d’ici là, les bactéries résistantes aux antibiotiques pourraient tuer jusqu’à 10 millions de personnes par an d’ici à 2050, soit autant que le cancer.

En 2015, l’OMS déclarait que nous étions entrés dans une « ère post-antibiotique ». Certaines souches de bactéries sont déjà multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques. D’autres, « pan-résistantes », sont devenues résistantes à tous les antibiotiques disponibles. Ce phénomène, encore rare en France mais en augmentation constante, confronte les médecins à une impasse thérapeutique qui ne disposent plus d’aucune solution pour lutter contre l’infection bactérienne.

L’antibiorésistance est également une menace pour les dernières avancées médicales notamment pour les traitements qui induisent une baisse du système immunitaire (chimiothérapie, greffe d’organes, etc.) et donc un risque accru d’infections.  

8. Il est encore temps d’agir pour diminuer la résistance bactérienne.

Vrai. Pour préserver le plus longtemps possible l’efficacité des antibiotiques disponibles, il est urgent de réduire leur consommation. Pour cela, nous devons :

  • Réserver l’usage des antibiotiques aux seuls cas où ils sont utiles et nécessaires
  • Développer des outils de diagnostic rapide pour détecter une pathologie et identifier les germes en cause afin de cibler au plus vite le bon antibiotique.
  • Prescrire la durée et la dose de traitement optimales.
  • Mettre en place des « référents antibiotiques » ou des équipes mobiles d’infectiologie dans les hôpitaux pour conseiller les spécialistes sur les meilleurs traitements à donner.
  • Se faire vacciner dès que cela est possible, comme dans le cas du méningocoque, du pneumocoque ou de la grippe.
  • Respecter les règles d’hygiène élémentaires, comme le lavage des mains ou l’isolement des patients porteurs de bactéries multirésistantes.
  • Mettre en place une coordination entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire sur la question de l’utilisation des antibiotiques.  

La France a fait des efforts qui ont payé : 1ers consommateurs d’antibiotiques en ville et 2e à l’hôpital au niveau européen en 2000, les Français étaient, en 2015, 4e pour la consommation en ville et 9e pour la consommation à l’hôpital.

9. Nous pouvons rendre de nouveau sensibles des bactéries résistantes aux antibiotiques.

Vrai. Des études ont montré qu’une bactérie résistante à une classe d’antibiotique peut redevenir sensible si cette classe d’antibiotique est moins utilisée pendant un certain temps. En diminuant l’utilisation de l’antibiotique pendant plusieurs années, la bactérie, moins soumise à la pression de sélection, finit par perdre son facteur de résistance et redevient sensible.

10. Il existe des pistes de recherche pour des solutions alternatives.

Vrai. Pas assez rentable, la recherche de nouvelles molécules de la part des industries pharmaceutiques a chuté de façon drastique depuis plus d’une vingtaine d’années. Mais d’autres pistes de recherche ont vu le jour. C’est le cas de la phagothérapie qui a pour objectif d’éliminer des bactéries ciblées grâce à des virus spécifiques de certaines bactéries appelés « bactériophages ».

Le développement de molécules appelées « anti-toxines » est une autre source d’espoir. Ces anti-toxines ont pour objectif de neutraliser le système de virulence de la bactérie afin qu’elle ne provoque pas d’infection.

Pour les patients porteurs de bactéries multirésistantes, la greffe de microbiote intestinal est déjà testée. Il s’agit de remplacer les bactéries multirésistantes nichées dans le tube digestif du patient par des bactéries sensibles d’un donneur sain.

De nombreuses pistes sont en cours de développement, notamment à la Pitié-Salpêtrière. Mais le chemin est encore long avant de trouver une alternative efficace aux antibiotiques.


[1] Sorbonne Université, CNRS, Inserm