Brexit
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Le Brexit : quel impact pour les universités ?

Entretien avec Serge Fdida, vice-président du Développement international de Sorbonne Université, et Minh-Hà Pham, conseillère pour la Science et la Technologie à l’ambassade de France à Londres.

Serge Fdida et Minh-Hà Pham

Officialisé le 1er février 2020, le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne impacte directement les universités françaises. Mobilité étudiante et coopération scientifique sont au cœur des discussions. Serge Fdida, vice-président du Développement international de Sorbonne Université, et Minh-Hà Pham, conseillère pour la Science et la Technologie à l’ambassade de France à Londres, apportent leur éclairage sur les conséquences du Brexit pour le monde universitaire français et britannique.

Que change le Brexit pour les membres de la communauté universitaire française qui souhaitent partir au Royaume-Uni ?

Minh-Hà Pham : Suite au Brexit, le Royaume-Uni a choisi de sortir du programme Erasmus qui permet de réaliser une partie de sa scolarité dans une université européenne partenaire. Alors que les Britanniques accueillaient chaque année 10 000 étudiants français, ils ont choisi d’étendre leur dispositif de mobilité Turing. Initialement tourné vers l’Asie, ce programme finance, à hauteur de 110 millions de Livres, les voyages des étudiants anglais partout dans le monde, mais ne prévoit pas de réciprocité. Avec la sortie d’Erasmus, les étudiants européens ne bénéficieront donc plus de frais d’inscription réduits et devront débourser entre 10 000 et 25 000£ pour s’inscrire dans une université britannique. Sans compter qu’ils ne pourront plus accéder à des prêts.

Même si les étudiants déjà engagés dans le programme Erasmus ne devraient pas être inquiétés cette année, les autres seront confrontés à de nouveaux problèmes administratifs. S’ils prévoient de rester plus de quatre mois sur le sol britannique, ils auront besoin d’un visa. Ils devraient obtenir assez facilement lors de leur inscription à l’université, mais il aura un coût.

Pour les chercheurs et enseignants-chercheurs qui envisagent de travailler dans une université britannique, ils pourront bénéficier d’un visa académique d'un an. Au-delà, la procédure se compliquera. Les stagiaires, quant à eux, font encore l’objet d’un vide juridique car il n’existe pas de statut équivalent au Royaume-Uni.

Soulignons que le Pays de Galles souhaite continuer à faciliter l’accueil des étudiants européens via des mobilités bilatérales. L'Irlande du Nord a également négocié avec la République d'Irlande pour continuer à bénéficier du programme Erasmus.  

À l’inverse, que change-t-il pour les étudiantes et étudiants britanniques qui souhaitent venir en France ?

Minh-Hà Pham : Chaque année, environ 4000 étudiants britanniques viennent étudier en France. Avec le Brexit, ces étudiants devront désormais passer par la plateforme « Etudes en France » gérée par le Ministère des Affaires étrangères. Ils se verront délivrer un visa après examen de leur dossier. Cette procédure, encore gratuite cette année, deviendra payante dès 2022.

Par ailleurs, si le programme de mobilité Turing compte aider 35 000 étudiants anglais à partir à l’étranger, rien n’est prévu pour les inciter à se rendre en Europe plutôt qu’aux USA ou en Asie.

Quelles conséquences pour la recherche européenne et britannique ?

Minh-Hà Pham : Depuis quatre ans, la représentation des équipes britanniques a considérablement diminué dans les projets européens en raison du contexte du Brexit. Après négociation avec la Commission européenne, le Royaume-Uni reste dans le cadre du programme Horizon Europe sous le statut de pays associé.
Ce statut permet une participation quasiment identique à celle des autres membres. Différence notable cependant : l’exclusion de certains programmes de recherche, liés notamment à la sécurité et à la défense. La Commission européenne a d’ailleurs récemment déclaré qu’elle n’autoriserait pas le Royaume-Uni, au même titre que la Suisse et Israël, à participer à des programmes sur le quantique pour des raisons de concurrence économique et industrielle.
Certains pays européens, comme l’Allemagne, ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient à cette décision. Pour le moment, rien n’est encore acté. Nous attendons que la situation se stabilise pour que des protocoles d’accord puissent enfin être signés.

Serge Fdida : Cette possible exclusion du Royaume-Uni de certains domaines de recherche est problématique : les Britanniques contribuent largement à l'avancée des connaissances et, sans eux, l’Europe perdrait une partie de sa force de frappe. Aujourd’hui, des engagements, qui avaient été pris avant le Brexit, sont toujours bloqués.  Nous nous retrouvons avec des projets dans lesquels les partenaires anglais ne sont plus financés alors qu’une grande partie de ces projets devait se faire sur leur sol.

Si l’Europe et le Royaume-Uni ne s’entendent pas rapidement pour proposer un cadre de financement de projets conjoints, nous risquons de voir nos collègues britanniques se tourner davantage vers l’Amérique, l’Asie et le Commonwealth.

En 2020/2021, les relations entre Sorbonne Université et le Royaume-Uni, c’est :

  • 95 étudiantes et étudiants britanniques formés à Sorbonne Université
  • 105 étudiantes et étudiants de Sorbonne Université en échange au Royaume-Uni
  • 16 projets de recherche portés en commun
  • 34 projets de formation conjointes
  • 25 921 publications de recherche conjointes entre le Royaume-Uni et Sorbonne Université parues entre 2014 et 2018 (80 à la faculté des Lettres, 16 266 à la faculté de Sciences et Ingénierie et 9 839 à la faculté de Médecine).

Les universités britanniques doivent-elles craindre une fuite des cerveaux ?

Minh-Hà Pham : Même si nous avons observé une petite vague de départ en 2019, il n’y a pas eu la fuite des cerveaux que certains présageaient. Capables de trouver des fonds (via les frais d'inscription, des fondations, des contrats privés...), les universités ont rapidement mis en place un système de compensation pour continuer à accueillir, dans d’excellentes conditions, de très bons chercheurs étrangers.

Comment poursuivre les collaborations entre le Royaume-Uni et la France tant au niveau de la recherche que de la mobilité étudiante ?
 
Serge Fdida
: La Grande-Bretagne est l'un des plus proches partenaires de la France. Beaucoup d'étudiantes et d’étudiants de Sorbonne Université allaient chaque année au Royaume-Uni et vont vouloir continuer à s’y rendre. Avec plusieurs de nos partenaires britanniques, nous avons commencé à réviser nos accords de coopération en amont du Brexit afin d’aplanir les difficultés liées aux frais d’inscription et aux visas que nous avions envisagées.

Concernant la recherche, nous laissons nos communautés, qui sont en première ligne, décider avec qui elles veulent travailler. Mais il est probable que le Brexit entraîne, malheureusement une diminution des coopérations avec les Britanniques, au moins dans un premier temps. C’est pourquoi nous attendons avec impatience la signature d’accord de coopération.  

Minh-Hà Pham : Nous avons proposé, au sein du Ministère des Affaires étrangères français, de mettre en place des programmes de mobilité bilatérale entre les communautés universitaires françaises et britanniques. Si rien n’est encore acté, nous souhaitons développer des mobilités de recherche de courte durée et ouvertes à toutes et tous dès le premier cycle, sous forme de stages de recherche, d’écoles d'été, etc.
Pour éviter la démultiplication d’accords entre les partenaires, j’ai également suggéré de lancer un projet pilote adossé à deux réseaux qui regroupent les grandes universités de recherche : le Russell Group britannique et le U10 français. Mais ce ne sont encore que des propositions.

Sites utiles :

-    Site du consulat de Londres 
-    Site gouvernemental sur le Brexit