Bientôt le retour de la baignade en Seine ?
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Bientôt le retour de la baignade en Seine ?

Interdite depuis 1923 en raison des risques sanitaires, la baignade en Seine devrait de nouveau être possible dès 2025. Alors que Jacques Chirac avait promis en 1990 de rendre le fleuve suffisamment propre pour y nager, sa promesse devrait devenir réalité trente-cinq ans plus tard, à l’occasion des Jeux olympiques de Paris 2024.
 

Jean-Marie Mouchel

Ancien directeur d'un laboratoire de l’École des Ponts ParisTech, Jean-Marie Mouchel travaille sur la qualité des eaux urbaines et leur impact sur les milieux depuis de nombreuses années. En 2006, il rejoint Sorbonne Université en tant que professeur des universités pour prendre la direction du programme interdisciplinaire de recherche sur l'eau et l'environnement du bassin de la Seine (Piren-Seine). Aujourd’hui directeur de l’unité mixte de recherche Metis, il revient sur les enjeux de la qualité de l’eau de la Seine pour la baignade.

« Les JO ont été un levier pour accélérer l'assainissement de la Seine », déclare Jean-Marie Mouchel, qui a dirigé le programme Piren-Seine de 2007 à 2015. Lancé il y a 35 ans, ce programme a pour objectif d’étudier la qualité et le débit des nappes et des rivières dans le bassin de la Seine. Financé par les gestionnaires de l'eau du bassin de la Seine, il rassemble une équipe de recherche pluridisciplinaire composée d'hydrologues, chimistes, biologistes, climatologues, hydrauliciens, mathématiciens, physiciens, ainsi que des économistes, sociologues, politistes et historiens. Cette diversité de compétences permet d'aborder les problématiques liées à l'eau sous différents angles et de proposer des solutions intégrées et des modèles scientifiques solides. « Nous essayons de répondre à des questions de façon globale, dans un cadre scientifique pluridisciplinaire, pour fournir de l'information utile sur des politiques que les élus pourraient mener », explique Jean-Marie Mouchel.

Un siècle d’interdiction

Ce programme a contribué à améliorer la qualité de l’eau de la Seine qui s’était largement dégradée il y a plus d'un siècle. « Dans la seconde partie du XIXe siècle, les égouts ont été créés pour collecter les eaux de pluie et de lavage de rue, envoyées vers l'aval comme engrais pour les terres maraichères ou rejetées en Seine », raconte le scientifique. Cependant, l'introduction du tout-à-l'égout à la fin du XIXe siècle a entraîné une augmentation de la charge polluante. Les quantités rejetées ont considérablement augmenté jusqu’à saturation du système au début du XXe siècle.

À partir de 1938, la première grande usine d'épuration a été mise en place, mais ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que des mesures plus efficaces ont été prises. La loi sur l'eau de 1964 a permis la création d'agences financières de bassin, qui ont établi un système de financement des coûteuses infrastructures nécessaires pour répondre aux besoins en eau et en assainissement : les factures d'eau des habitants incluent une redevance prélevée pour financer le traitement des eaux usées, l'alimentation en eau et de nouveaux réseaux.

Depuis quelques dizaines d’année, les progrès concernant la qualité de l’eau ont été importants et les membres du programme Piren-Seine y ont contribué. « Nous avons par exemple analysé en détail les causes de la mauvaise qualité de la Seine et conçu des modèles prédictifs qui permettent d'évaluer l'impact des nouveaux ouvrages , comme la bassin de stockage actuellement en chantier à côté de la gare d’Austerlitz et qui pourra stocker des dizaines de milliers de mètres cubes », indique le chercheur. Le maillage des réseaux a également permis de dériver l'excédent d'eau en période de pluie vers les zones les moins touchées, et la désimperméabilisation des sols limité le ruissellement vers la Seine. Grâce à ces solutions, le nombre de déversements lors d'orage a baissé d'année en année. « Aujourd'hui, dans l'agglomération de Paris, par temps sec, seules les eaux qui ont été traitées à un niveau jugé suffisamment bon sont rejetées dans la Seine, atteignant un taux de traitement de 90 à 98% selon les stations pour des éléments tels que le carbone et l'azote », affirme le scientifique.

Une baignade bientôt possible

La question de la baignade soulevée par les jeux olympiques de Paris a amené un nouvel élan. Deux stations de traitement des eaux ont été équipées de systèmes de désinfection avancés, tels que l'utilisation de rayons ultraviolets ou de traitements oxydants, pour éliminer les agents pathogènes présents dans les eaux usées traitées. Ces mesures de désinfection donnent des résultats encourageants, avec des niveaux de bactéries indicatrices fécales en dessous des seuils réglementaires. L’équipe de Jean-Marie Mouchel surveille de près ces paramètres et effectue des analyses prospectives de la qualité de l'eau de la Seine utiles pour élaborer des plans de gestion : « Nous faisons notamment des essais pour mieux comprendre le rôle désinfectant de la lumière solaire et quantifier les mécanismes biologiques par lesquels les bactéries fécales résiduelles sont dégradées, indique le chercheur. Nous développons également des modèles connectés qui permettront de prévoir la qualité de l’eau en temps réel ».

Mais la baignade n’implique pas seulement d’avoir une eau suffisamment propre, il faut aussi mettre en place les infrastructures et les services indispensables à la sécurité des baigneurs. « Une baignade ne doit pas être installée n'importe où. Il y a des questions de voisinage et la gestion des usages multiples de l'eau reste complexe car la Seine est aussi utilisée pour la navigation. Il est essentiel de trouver un équilibre entre ces différents usages. Surtout qu’avec le réchauffement climatique, la demande de rafraîchissement par les habitants des villes va augmenter », précise Jean-Marie Mouchel.

Par ailleurs, si les problèmes de contamination par temps sec ont été résolus grâce aux réseaux d'assainissement et aux stations de traitement des eaux usées qui fonctionnent bien, il existe toujours des problèmes lors des orages. « Malgré tous les efforts déployés, nous n’arrivons pas à collecter et encore moins à traiter les volumes gigantesques d'eau polluée, des efforts sont encore nécessaires pour résoudre les problèmes de ruissellement et de mauvais branchements entre des réseaux d'eaux usées et d’eau pluviale. » En fournissant rapidement des prédictions sur la qualité de l'eau après les épisodes de pluie, les scientifiques espèrent faciliter la prise de décision en matière de gestion de l’eau pour orienter les politiques environnementales et réfléchir aux futurs aménagements nécessaires.