Alimentaire, cosmétiques, médicaments ou biocarburants – les 1001 ressources des algues
La biomasse algale représente un potentiel largement sous-exploité dans le monde.
Les végétaux, terrestres ou marins, captent le gaz carbonique et accumulent des réserves d’énergie sous forme d’huiles et de sucres pour assurer leur survie dans toutes les situations. La biotechnologie permet aujourd’hui d’accéder et exploiter ces réserves, dites « biomasses », pour pallier à la problématique de la diminution des réserves fossiles et leurs transformations par l’industrie chimique. Parmi ces réserves, la biomasse algale représente un potentiel largement sous-exploité dans le monde.
Les grandes algues marines que l’on retrouve sur nos côtes sont appelées macroalgues, par opposition aux micro-algues, invisibles à l’œil nu, qui ne sont constituées que d’une cellule. L’exploitation de ces macroalgues ne date pas d’aujourd’hui. Les premières consommations d’algues datent de près de 17 000 ans, selon des fouilles archéologiques.
Les macroalgues sont cultivées en Asie et sont plutôt collectées en Europe, plus particulièrement en Bretagne, Irlande et Norvège. Depuis le début du XXe siècle et l’ère de l’industrialisation, des grands groupes, comme Cargill Food Ingredients, Dupont/Danisco ou CP Kelco, relayés aujourd’hui par des PME, mettent en place l’extraction des fibres d’algues, les polysaccharides. Ces grosses molécules sont les gélifiants des macroalgues, et sont à la base de nombreux ingrédients texturants, aussi appelés hydro-colloïdes, et utilisés dans l’industrie agroalimentaire. Ainsi, nos yaourts, flans et dentifrices, ainsi que de centaines d’autres produits contiennent des sels d’alginate (E401-405) ou des carraghénanes (E407), qui créent ou améliorent leur consistance. Dans ces procédés d’extraction chimique, seuls 30 à 40 % de la masse sèche de l’algue sont extraits et utilisés, le reste est très peu valorisé ou part à la poubelle.
Des points communs avec les composants de la peau et des muqueuses
Brune, rouge ou verte, les fibres présentes dans ces différentes familles de macroalgues, avec des compositions et structures chimiques originales et très variées, présentent bien d’autres vertus que leur caractère gélifiant.
C’est leur caractéristique d’être hautement sulfatées qui les rend particulièrement intéressantes, car elles ont ce point commun avec les composantes glucidiques des animaux, par exemple ceux trouvés dans les muqueuses ou dans la peau. Les groupements sulfates sur les polysaccharides leur confèrent une résistance à des environnements riches en sels, et leur permettent de mieux capter et retenir de l’eau et des ions.
Cette propriété est évidemment recherchée en cosmétique. Mais les molécules sulfatées jouent également un rôle clé dans de nombreux processus de défense (l’attaque par un pathogène) ou de signalisation (donner le « mot d’ordre » de communication de cellule à cellule). Ainsi, la similitude avec des molécules donnant des signaux d’alerte chez les animaux, mais également chez les plantes, fait des polysaccharides sulfatés des molécules intéressantes pour stimuler les réactions de défense. Par exemple la laminarine, polysaccharide de stockage chez les algues brunes, est commercialisée sous le nom de « Iodus 40 », utilisable en plein champ, et qui peut remplacer une partie des traitements par des insecticides.
Mangez des algues pour leur valeur nutritionnelle
Les algues sont extrêmement diverses : il en existe plus de 72 000 espèces, réparties dans 3 lignées différentes. Leur composition biochimique peut ainsi varier énormément d’une espèce à l’autre. Certaines algues sont très riches en protéines et ont ainsi la vertu de remplacer et apporter les protéines nutritives de viandes. Cette richesse en protéines permet potentiellement aussi la disponibilité de « peptides bioactifs » – de petits morceaux de protéines pouvant être bénéfiques pour la santé animale et humaine, dû à leur activité antimicrobienne, par exemple. D’autres algues regorgent d’oligo-éléments comme le zinc, le sélénium, ou encore de vitamines essentielles, comme la vitamine B12 que l’on se procure aussi par la consommation de viande. Toutes sont particulièrement riches en minéraux et d’autres éléments rares comme l’iode, mais aussi en fibres.
Ces fibres sont en fait composées des gélifiants alimentaires mentionnés plus haut ainsi que d’autres chaînes de sucres complexes, qui composent la majorité du poids sec des algues et en particulier de leur paroi cellulaire. Seule une infime partie de ces « sucres » ou polysaccharides est réellement digérée. Les algues sont donc une source intéressante de fibres alimentaires, mais aussi de composés prébiotiques, issus de ces fibres, qui favorisent un bon équilibre du microbiote intestinal – ce que l’on appelait auparavant la « flore intestinale ».
Pas tellement riches en lipides, elles sont en général constituées de « bon gras », c’est-à-dire notamment des acides gras mono – et polyinsaturés, comme les fameux oméga-3 et -6, par exemple.
Les algues sont aussi des organismes photosynthétiques : comme les plantes terrestres, elles utilisent l’énergie du soleil pour leur croissance. Pour cela elles ont besoin de molécules spéciales, les pigments, dont la chlorophylle fait partie. Les algues contiennent donc de la chlorophylle, mais également d’autres types de pigments, comme la phycoérythrine que l’on trouve chez les algues rouges, ou la fucoxanthine chez les algues brunes. Ces pigments, ainsi que certains composés phénoliques, qui sont des composés algaux proches des tannins, comme ceux trouvés dans le vin ou le thé, sont des antioxydants avérés.
Les algues représentent ainsi des alternatives intéressantes pour apporter de nombreux éléments essentiels pour notre santé, sans pour autant apporter trop de sucres, en dépit de leur composition majoritairement constituée de ces derniers.
Comment extraire ces molécules des algues ?
Dans le domaine des macroalgues, la biotechnologie permet d’avoir accès à des molécules difficiles à extraire ou à produire. En effet, les cellules d’algues sont protégées par une paroi épaisse constituée de plusieurs types de molécules complexes, qui représentent une réserve de carbone, la biomasse.
Les enzymes, de petits ciseaux moléculaires que l’on peut produire par la biotechnologie permettent de découper spécifiquement certains composants de la paroi des algues. En effet, les microorganismes, bactéries et champignons, vivant en association avec les macroalgues en tirent leur besoin en carbone pour la génération d’énergie. Pour ce faire, ils sont équipés d’outils spécifiques, les enzymes, permettant de décomposer les chaînes de sucres complexes en briques unitaires (l’hydrolyse enzymatique), sans pour autant en détruire leur spécificité ou originalité, et qui sont facilement assimilables par les microorganismes.
Appliquée à la biotechnologie, l’utilisation des mêmes outils, les enzymes, permettra d’améliorer l’extraction de certaines molécules d’intérêt, et aussi d’obtenir des fragments originaires des gros polymères, plus actifs, car plus assimilable par les organismes. Ces molécules d’intérêt seront également plus faciles à produire de manière standardisée, grâce aux « ciseaux spécifiques » que sont les enzymes, et en contraste avec le découpage hasardeux en extraction chimique, comme cela est nécessaire pour l’industrie pharmaceutique par exemple.
Coûteuse, car nécessitant également la production des enzymes, l’hydrolyse enzymatique présente cependant une façon proche du naturel de décomposer cette biomasse précieuse et riche en éléments exploitables. En effet, l’hydrolyse enzymatique se fait en milieu neutre et à température ambiante. De plus, une enzyme spécifique ne dégrade qu’une composante en laissant intacte tous les autres, et ceux-ci peuvent ainsi également être valorisés, avec des étapes successives – c’est le principe de la « biorafinerie »). Enfin, l’utilisation d’une enzyme dégradant une composante peut faciliter l’extraction d’une deuxième composante de façon plus efficace ou plus rentable.
Ainsi, des chercheurs de l’Académie des Sciences de Chine ont récemment publié des travaux démontrant l’action de petits sucres extraits d’algues brunes, et de l’alginate en particulier, sur les stades précoces de la maladie d’Alzheimer chez la souris. D’après cette étude, des sucres issus des algues rééquilibrent des désordres du microbiote intestinal (dérèglement maladif, appelé « dysbiose »), ce qui a pour effet de diminuer la neuroinflammation subie dans le cerveau et impliquée dans le déclenchement de la maladie.
Les algues regorgent de composants intéressants pour les matériaux de demain
Souples et solides à la fois, les algues ont parfois un aspect qui rappelle celui du plastique. De fait, les composants de leur paroi ont bien des points communs, mécaniquement parlant, avec le plastique. À Saint-Malo, l’entreprise Algopack a conçu un matériau plastique fabriqué à 100 % à base d’algues, une première mondiale. Pour sa production, les déchets de l’industrie des algues peuvent être utilisés, ainsi que des algues cultivées localement. Mais cela fonctionne également avec la biomasse constituée par les algues prolifératives qui envahissent les côtes caraïbéennes par exemple. En fin de vie, les objets fabriqués avec ce plastique sont compostables : enfouis directement dans le jardin, ils pourront fertiliser le potager.
Enfin, les algues vertes comme la laitue de mer (algue appartenant au genre Ulva et à la base des marées vertes) produisent une petite molécule, l’« acide acrylique », bien connue des fabricants de plastiques, vernis, peintures et colles. À l’heure actuelle, l’acide acrylique est un dérivé de pétrole. Bien que les quantités produites par les algues soient pour le moment beaucoup trop faibles pour répondre aux besoins croissants du marché (plus de 6 millions de tonnes en 2020), les techniques d’extraction pourraient s’améliorer avec l’utilisation des enzymes, et les mécanismes qu’utilise l’algue pour le produire (la « biosynthèse ») commencent à être décryptés. Ces avancées pourraient dans le futur ouvrir la voie à des procédés propres de synthèse de l’acide acrylique grâce à la biotechnologie.
Mirjam Czjzek, Directrice de recherche CNRS, équipe de glycobiologie marine, Station biologique de Roscoff, Sorbonne Université; Diane Jouanneau, Ingénieure de recherche CNRS, Station Biologique de Roscoff, Sorbonne Université et Philippe Potin, Directeur de recherche CNRS, Station biologique de Roscoff, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.