COP25 : comment les scientifiques organisent la surveillance du climat
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COP25 : comment les scientifiques organisent la surveillance du climat

Depuis la dernière « Conference of the Parties » (COP) de décembre 2018, la problématique liée au réchauffement climatique est « descendue dans la rue ». Greta Thunberg fait des émules et le climat bouscule l’agenda politique de nombreux pays. Ces grand-messes que sont les conférences mondiales sur le climat, dont la 25e s’ouvre ce 2 décembre à Madrid, constituent des moments qui attirent l’attention du public et des médias, avec des résultats plus ou moins probants.

Les progrès sont lents, même si réunir les représentants de près de 300 états pour débattre de cette problématique sur base des résultats scientifiques constitue en soi un exploit.

Indépendamment du tempo géopolitique, les scientifiques restent mobilisés entre les conférences mondiales sur le climat pour répondre à ce grand défi. Depuis 1990 avec les rapports du GIEC, qui documentent tous les 5 à 7 ans l’impact actuel et futur de l’homme sur le climat et les progrès dans nos connaissances. Et, depuis quelques années, avec la mise au point d’une infrastructure qui fasse autorité pour la collecte systématique des données relatives au climat.

Dans un premier temps, une cinquantaine d’indicateurs du changement climatique ont été identifiés par le Système mondial d’observation du climat (GCOS en anglais) ; on les appelle les « variables climatiques essentielles » (ECV en anglais).

La surveillance de ces indicateurs s’appuie sur une série d’observations disponibles sur terre, sur mer ou dans l’atmosphère ; elles proviennent de mesures effectuées localement (par exemple au sein des stations météorologiques), ou par des instruments embarqués à bord de bateaux, avions et satellites.

Ce catalogue de variables couvre à la fois les « moteurs » du changement climatique – concentrations des gaz à effet de serre ou autres gaz à surveiller car ils peuvent interférer avec les gaz à effet de serre –, ainsi que les conséquences du changement climatique – températures à différentes altitudes, glace de mer, niveau des mers, humidité des sols, glaciers, etc.

La génération de ces données d’information est au cœur du programme environnemental Copernicus, une initiative européenne qui a pour but de fournir gratuitement un service d’accès aux informations disponibles sur six grandes thématiques : surveillance des surfaces continentales, des océans, de l’atmosphère, de la sécurité, du changement climatique, et traitement de l’urgence.

Copernicus est le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne, qui combine des mesures au sol et par satellite, couplées à des modèles atmosphériques, pour surveiller notre planète et à son environnement pour le bénéfice de tous les citoyens européens. Copernicus/ECMWF, CC BY-NC-ND


Collecter et surveiller les variables climatiques

À l’instar du domaine de la santé où l’on surveille quelques indicateurs essentiels pour contrôler l’état d’un individu (tension artérielle, taux de cholestérol, diabète, etc.), le service « changement climatique » de Copernicus (C3S) est en charge de la collecte et de la surveillance opérationnelle d’un certain nombre de variables climatiques essentielles (ECV), contrôlant ainsi l’état de santé de notre planète.

Ces ECV sont estimées à partir de toutes les observations (causes et conséquences) disponibles. Les mesures locales et aéroportées sont les mêmes que celles qui servent à faire les cartes de prévision météorologique quotidiennes, accumulées sur des durées longues pour parvenir à distinguer les fluctuations naturelles de l’atmosphère (le temps qu’il fait) du forçage induit par les activités humaines (le réchauffement du climat).

De la même façon, les modèles mathématiques qui sont utilisés en météorologie servent aussi dans le cadre du service C3S à produire des analyses globales et régionales de l’état de l’atmosphère. Ces analyses, qui combinent modèles numériques et observations, ont l’avantage de fournir une description numérique physiquement cohérente du climat passé récent sur plusieurs décennies.

S’appuyant sur l’expertise de la communauté scientifique européenne, C3S propose ainsi un dispositif de surveillance du climat en temps quasi réel, illustré par des bulletins mensuels de variables climatiques essentielles, la publication annuelle d’un rapport vulgarisé sur l’état du climat, ainsi que des indicateurs pertinents pour la prise de décision et le développement de législations et politiques dans un certain nombre de secteurs économiques (énergie, eau, construction, santé). Cela tant dans le domaine de l’atténuation (surveillance des gaz à effet de serre, par exemple) que de l’adaptation (débit des rivières, fonte des glaciers, augmentation du niveau de la mer, îlots de chaleur urbains, probabilité et intensité des tempêtes et impacts financiers, etc.).

Anomalie de la température de l’air en surface en Europe pour les étés de 1950 à 2018 par rapport à la moyenne de la période 1981-2010. Les données proviennent de ERA5 (bleu foncé et orange) et de E-OBS (bleu clair et orange clair). Copernicus/ECMWF/KNMI


Les sources de gaz à effet de serre difficiles à identifier

Pour que les accords internationaux sur le changement climatique fonctionnent, la surveillance des émissions des gaz qui impactent le climat constitue un élément clé : quel pays émet quelles quantités, en fonction des engagements internationaux pris.

Sans ce suivi, il est difficile d’envisager de mettre en œuvre un accord universel sur le climat juridiquement contraignant comme l’Accord de Paris – qui ne possède toutefois pas de mécanisme de sanction. Signé par 195 nations, il vise une diminution objective et volontaire des émissions des gaz à effet de serre par pays.

Au sein de ce système de surveillance, les satellites représentent une composante importante, notamment grâce à leur excellente couverture géographique et le fait que le satellite voit « tout le temps et presque partout ».

Mais la mesure du dioxyde de carbone et du méthane par satellite (les deux principaux gaz à effet de serre émis par les activités humaines) reste compliquée.

Autant les instruments embarqués à bord de satellite peuvent maintenant mesurer les concentrations de certains polluants et permettent d’identifier d’où provient la pollution, autant la mesure de gaz déjà présents en quantité abondante est compliquée ; il faut en effet isoler de petites perturbations qui s’additionnent à un fond important de gaz déjà existant.

Sans la présence des gaz à effet de serre dans notre atmosphère, pas de vie possible sur terre ; la température moyenne à sa surface serait de -18 °C !

L’atmosphère est constituée à 99 % d’oxygène (O2) et d’azote (N2). Ces gaz sont stables, de concentration constante et ils sont transparents au rayonnement infrarouge thermique émis par la Terre. La capacité d’absorption d’un gaz est directement liée aux propriétés spectroscopiques des molécules qui le composent et à leur structure – et en particulier, dans l’infrarouge, à leur capacité à « vibrer ». Les molécules diatomiques comme l’oxygène et l’azote n’ayant pas cette capacité de vibration, elles n’absorbent donc pas le rayonnement infrarouge.

Les gaz à effet de serre absorbent la radiation infrarouge émise par la terre, et réchauffent les basses couches de l’atmosphère. 
C. Clerbaux

Par conséquent, l’essentiel des gaz qui composent l’atmosphère n’a pas d’impact sur la température à la surface de la Terre. Le 1 % restant de l’atmosphère est composé de gaz à effet de serre dont les concentrations varient et qui, en revanche, peuvent absorber le rayonnement infrarouge thermique.

Ils piègent ainsi une partie du rayonnement infrarouge qui s’échappe de la Terre vers l’espace. Certains gaz à effet de serre – en particulier le dioxyde de carbone, le méthane et les chlorofluorocarbures – sont émis par les activités humaines et viennent s’ajouter aux concentrations naturelles liées à l’activité géologique et aux cycles biogéochimiques.

Les gaz à effet de serre constituent donc une petite proportion de l’atmosphère mais leur rôle est déterminant : ils contrôlent la température de la surface de la Terre et des basses couches de l’atmosphère par leur capacité à absorber la radiation infrarouge.

Les gaz à effet de serre ont la particularité de rester longtemps dans l’atmosphère, en particulier le CO2 qui y reste plusieurs dizaines d’années. C’est à cause de cette longévité qu’il est difficile d’estimer quel pays émet quelle quantité de CO2. En effet, toutes les sources de CO2 s’additionnent et se mélangent en continu, transportées par les vents.

Les mesures locales et précises existent, mais pour mettre en place une réglementation contraignante quant au suivi des émissions du CO2, il faut s’assurer qu’une surveillance globale est possible.

Il y a donc actuellement un effort technologique important dans le cadre du « programme Copernicus » pour mettre au point des missions satellites « Sentinelles climat » qui, associées aux réseaux d’observations au sol et à des méthodes puissantes de modélisation, permettent de mesurer à l’échelle des pays, et de distinguer les sources ponctuelles du fond continu de CO2.

Des démonstrateurs de tels instruments volent déjà, sans encore toutefois atteindre encore les performances demandées pour discriminer les sources naturelles des sources anthropiques. La mesure du CH4 est un peu plus facile, car son temps de persistance dans l’atmosphère est une dizaine d’années.

Seules, les observations satellitaires ne sont pas suffisantes pour surveiller les émissions anthropogéniques de CO2, et la Commission européenne a bien identifié que pour mettre en place un système de surveillance et de vérification des émissions anthropogéniques de CO2, il est nécessaire de s’appuyer sur une infrastructure autour des mesures satellites, réseaux au sol, et systèmes de modélisation, d’inversion et d’assimilation de données.

Il s’agit là d’un défi scientifique et technique majeur pour les cinq années à venir. Une course contre la montre pour permettre d’avoir un système en place en soutien au suivi du deuxième « bilan mondial » de l’Accord de Paris qui aura lieu en 2028.


Cathy Clerbaux, Directrice de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Sorbonne Université et Jean-Noël Thépaut, Directeur des services Copernicus, CEPMMT, Météo France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.