Jeanne Le Peillet

Jeanne Le Peillet

Fondatrice de Beink

De la recherche à l’entrepreneuriat

Docteure en biologie, Jeanne Le Peillet a fait de sa passion pour le dessin l’origine de son projet entrepreneurial. En 2024, elle a fondé Beink Dream, une startup qui développe une IA pour visualiser ses idées en temps réel, rendant le rendu graphique plus rapide, plus intuitif et accessible à tous.

Diplômée d’une école d’ingénieur et spécialiste en biotechnologies, Jeanne Le Peillet participe en 2018 à un projet d’encodage de données dans l’ADN à l’Institut de Biologie Physico-Chimique. Après cette expérience qui débouche sur un brevet et la création de la startup Biomemory, elle poursuit une thèse en biotechnologies à Sorbonne Université qu’elle soutient en 2022.

En parallèle de ses recherches, elle poursuit son activité de dessinatrice scientifique, une pratique qu’elle exerce depuis dix ans. Fille d’artistes, elle a très tôt appris à considérer le dessin comme un outil puissant : un moyen de réflexion, de collaboration, d’apprentissage, mais surtout de visualisation des idées. « C’est en donnant forme à ce que nous avons en tête que nous avançons, identifions de nouveaux problèmes, imaginons des solutions originales », explique-t-elle.

Entre deux publications, elle réalise des dessins pour des brevets, des protocoles, des découvertes, autant pour le public que pour le privé. Si ses collègues et clients font appel à elle, c’est autant pour ses talents de graphiste que pour sa maîtrise du langage scientifique. Mais le processus est frustrant : après des semaines de travail, le visuel déclenche souvent une pluie d’idées nouvelles chez son commanditaire, obligeant à tout reprendre, dans un cadre limité par le budget et les délais.

De là naît son intuition fondatrice : offrir aux porteurs d’idées une solution pour visualiser eux-mêmes leurs concepts, les affiner, les faire évoluer en temps réel, afin de mieux les définir avant de solliciter une tierce personne. C’est en partageant son projet autour d’elle que les choses se sont accélérées. « Je me suis dit que si autant de monde s’y intéressait, c’est que le besoin dépassait largement ce que j’avais imaginé. J’ai cherché des gens pour m’aider, et finalement ça a pris », confie-t-elle.

L’aventure Beink commence

En 2023, Jeanne griffonne les premiers prototypes de ce qui deviendra Beink Dream. Si le projet visait au départ le monde scientifique, le besoin qu’elle a identifié allait bien au-delà des laboratoires : donner forme à une idée, la faire évoluer, la partager, c’est aussi le quotidien de toute personne qui travaille en interaction avec d’autres : clients, managers, prestataires. « On veut s’assurer que, quand quelqu’un dit “je vois ce que tu veux dire”, il voit vraiment la même chose », explique-t-elle.

Puis en 2024 l’aventure prend corps, avec l’arrivée des premiers salariés, dont un ingénieur et docteur en IA. Ensemble, ils passent du prototype à un démonstrateur qui permet de visualiser, ajuster et faire évoluer une idée au fil de la réflexion.

Contrairement au text-to-image de DALL·E, Beink Dream fonctionne en image-to-image, favorisant des itérations rapides et collaboratives, en 15 secondes à peine. Le système repose sur des algorithmes développés en interne afin d’offrir à ses clients grands comptes un environnement parfaitement sécurisé, et lutter contre la standardisation induite par les IA génératives, qui réutilisent des images elles-mêmes créées par IA. « Beink veut casser ces logiques. On part de notre dessin, pour éviter les convergences de concepts », indique la fondatrice.

L’interface propose un tableau blanc infini, collaboratif, où plusieurs personnes peuvent créer, itérer, valider des concepts en direct. Le rendu n’a pas vocation à être photoréaliste, mais suffisamment précis pour valider une intention. « L’objectif est, par exemple, de s’accorder sur la scénographie générale avant de passer à la production réelle », précise-t-elle.

L’outil s’adresse à une large diversité d’utilisateurs : aussi bien ceux qui savent parfaitement dessiner que, surtout, ceux qui ne maîtrisent pas le dessin, mais ont besoin de concrétiser et partager rapidement leurs idées. Par exemple, un publicitaire reçoit un brief et peut, grâce à l'outil, proposer immédiatement un visuel, par griffonnages, collages ou en s’appuyant sur des images d’inspiration. « Le client peut réagir en live », détaille Jeanne. Le processus est simple : quelques mots et traits suffisent pour générer des variantes, comme passer d’une femme aux cheveux courts à une femme coiffée d’un chignon. « Ce langage par l’image permet de collaborer en temps réel, explique Jeanne. Certains de nos clients l’utilisent pour accélérer leurs process. D’autres conservent le même temps de création, mais multiplient les explorations visuelles pour parvenir à des designs plus innovants. »

Une startup hébergée à SCAI 

Dans les locaux du SCAI, l’équipe de Beink bénéficient aussi des ressources techniques du cluster, notamment en matière de calculs et d’accès aux processeurs graphiques, un atout précieux pour leurs développements. « Et puis, c’est un superbe endroit pour recevoir les partenaires et les clients, et montrer le dynamisme de l’IA en France », ajoute-t-elle.

En partenariat avec SCAI, l’équipe vient de décrocher un appel à projets France 2030, visant à accélérer l’usage de l’IA dans l’économie. « C’est un projet d’envergure, avec un budget de plus de 4 millions d’euros », précise-t-elle. Au sein de ce projet, plusieurs axes sont développés. D’abord, le travail sur une IA non biaisée : « Si nous dessinons une femme, elle ne doit pas forcément être blanche et filiforme. L’enjeu est que l’IA propose des représentations variées, inclusives et non stéréotypées », explique-t-elle. Un autre chantier porte sur la traçabilité et la garantie des droits d’auteur des visuels générés. Enfin, Beink et SCAI travaillent ensemble sur l’impact environnemental des IA, notoirement gourmandes en énergie. « Notre techno est 40 fois plus frugale que les modèles communément utilisés », se félicite Jeanne Le Peillet.

En parallèle, l’équipe poursuit le développement de Beink Dream avec de nouvelles typologies de visuels, visant à se rapprocher des protocoles scientifiques. « L’objectif est de renouer dès l’an prochain avec la sphère R&D, qui était mon point de départ », confie l’entrepreneuse.

Des journées XXL

Au sein de Sorbonne Université, Jeanne a bénéficié de l’accompagnement de Pépite Sorbonne Université avant d’intégrer la Station F et Agoranov. « Aujourd’hui, on est une petite dizaine dans l’équipe », raconte la jeune femme. Un changement d’échelle rapide alors qu’ils n’étaient que trois il y a un an. Elle envisage de stabiliser l’équipe sous la barre des 15 personnes le plus longtemps possible, pour préserver l’agilité et la vitesse de développement : « Quand on grossit trop vite, on croit avoir plus de temps, mais en réalité, il y a plus de management, plus de gestion humaine, et ce n’est pas toujours un gain de temps. »

Depuis l’année dernière, Jeanne Le Peillet parvient à se verser un salaire grâce notamment aux subventions et financements obtenus. « Nous avons décroché la bourse French Tech Emergence de la BPI, des prêts convertibles via la French Tech Seed, un prêt innovation R&D, et aussi 500 000 euros qu’une première investisseuse a mis sur la table. Cela a permis de recruter les premiers salariés de l’équipe. Et à la signature de notre premier client, j’ai sauté le pas pour me verser mon premier salaire. Ça m’a permis de sécuriser ma situation et d’arrêter les cours particuliers de maths que je donnais à côté », raconte-t-elle. Car l’entrepreneuriat, elle le confirme, est un engagement à 200 %. « Je commence à travailler sur le fond de mes sujets à partir de 19h, quand les réunions et les rendez-vous sont terminés. La journée commence tôt, et entre les rendez-vous clients et la gestion des plannings ultra serrés, il faut garder un œil sur tout », confie-t-elle.

À cela s’ajoute la coordination avec son équipe, principalement composée de profils très tech, docteurs et ingénieurs en IA. « On a choisi de concentrer nos ressources sur le développement produit car même si beaucoup de briques existent en open source, notre système image-to-image itératif demande des développements spécifiques, tout en nous assurant l’indépendance vis-à-vis des géants de l’IA », ajoute Jeanne Le Peillet. La docteure pilote aussi la stratégie produit au quotidien : comprendre les besoins des clients, identifier les fonctionnalités prioritaires, les tester en interne, etc. « Beink Dream évolue vite, avec de nouvelles fonctionnalités toutes les deux semaines », précise-t-elle.

Pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat, la jeune femme recommande une bonne dose de naïveté associé à beaucoup de pragmatisme : « Ne pas essayer de tout prévoir à l’avance, parce que si on fait la liste des problèmes, on n’y va plus. Mieux vaut y aller avec enthousiasme, bien s’entourer, et surtout, ne jamais perdre de vue ce qui nous fait plaisir. »

Et malgré des journées qui finissent à 23h, elle trouve encore, certains week-ends, le temps de dessiner pour elle. « J’aime dessiner les gens, leurs attitudes. Que quand on regarde un dessin, on puisse deviner ce qu’ils ressentent, ce qu’ils ont vécu », sourit-elle.

La suite ?

Lors de VivaTech 2025, une nouvelle solution a été dévoilée. « On s’adresse à des personnes qui pensent visuel, mais un visuel abstrait. On propose des formats plus schématiques », précise Jeanne. À plus long terme, la fondatrice de Beink souhaite ouvrir la plateforme vers la 3D, afin de permettre aux utilisateurs de valider leurs designs dans l’espace.

Elle suit également de près les futurs appels d’offres de la Cité de l’Innovation. « On commence à prendre de l’ampleur, donc ce serait continuité logique de rejoindre le projet. C’est aussi stratégique de rester proche de l’écosystème de Sorbonne Université, avec qui nous avons beaucoup de projets à mener ! », conclut-elle.

Portrait rédigé par Justine Mathieu

Crédits photos : Arnaud Abboud et Renaud De La Tour