Jean-François Ghiglione

Jean-François Ghiglione

Directeur de recherche à l'Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer

La science a mis en évidence que la pollution plastique ne résulte pas seulement d’une mauvaise gestion des déchets, mais plutôt de la surproduction.

Directeur de recherche CNRS à l'Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer, Jean-François Ghiglione est spécialisé en écotoxicologie microbienne, une discipline qui croise la microbiologie et l’étude des polluants. À l’origine des réseaux EcotoxicoMic et Plastiques, Environnement, Santé, il consacre ses recherches à l’étude de l’impact des plastiques sur le milieu marin, de la coordination de missions de terrain jusqu’à sa participation aux cycles de négociations du traité mondial contre la pollution plastique.

Une expertise très demandée. Au cours des dernières années, les travaux de Jean-François Ghiglione ont largement dépassé le cadre universitaire. Co-fondateur de société Plastic At Sea et membre du collège d’entreprises Beyond PlasticMed, il a été fortement impliqué dans le dialogue science-industrie. Plus récemment, il a participé à plusieurs auditions parlementaires et au Sénat. Il est aujourd’hui un membre actif de la Coalition Scientifique pour un traité mondial du plastique contraignant. « Je ne me définis absolument pas comme un militant », prévient toutefois Jean-François Ghiglione.
 

Un retour à la mer

Originaire de Nice, il a effectué la majeure partie de son cursus universitaire à Paris au sein de Sorbonne Université. Formé initialement à la biochimie en licence puis en maîtrise, il soutient ensuite une thèse à Lyon en 2000 sur la transformation des engrais par les bactéries dans le sol.

Il revient à la mer lors d’un post-doctorat à l’université de Jérusalem consacré à l’impact des hydrocarbures sur la vie dans les sédiments marins, avant d’être recruté en 2001 au CNRS au sein du Laboratoire d'Océanographie Microbienne (LOMIC) à Banyuls, sous tutelle de Sorbonne Université. « L’originalité de cet Observatoire est son accès direct à la mer, qui nous permet d’être directement en lien avec l’environnement qu’on étudie. Chaque jour, je me rends compte de la chance de travailler dans un cadre si privilégié », estime Jean-François Ghiglione.

Quelques années plus tard, il commence à travailler sur la pollution plastique en Méditerranée. Avec d’autres scientifiques, il fonde en 2013 le réseau EcotoxicoMic, qui regroupe actuellement plus de 160 membres répartis de 23 pays, tous spécialisés dans l’écotoxicologie microbienne. « Nous avons inventé le terme d’écotoxicologie microbienne pour faire reconnaître la communauté des chercheurs et chercheuses qui travaillaient sur cette discipline scientifique émergente », explique Jean-François Ghiglione.
 

Spécialiste de l’écotoxicologie microbienne

Cette discipline fondamentalement pluridisciplinaire étudie à la fois l’impact des polluants sur les fonctions essentielles assurées par les microorganismes, et inversement le rôle des microorganismes dans la transformation des polluants. « Cette nouvelle thématique scientifique s’est emparée des concepts d’écologie, de toxicologie et d’écotoxicologie, que l’on a adapté au monde passionnant des microorganismes. Malgré leur petite taille, les microorganismes ont un rôle essentiel dans le fonctionnement des grands cycles biogéochimiques de la planète, que les contaminants viennent perturber. Et sans ces tout petits organismes, pas de dépollution possible ! », précise Jean-François Ghiglione.

En étant ensuite co-fondateur du groupement de recherche « Plastiques, Environnement, Santé », le scientifique continue d’afficher ses recherches dans une science solidaire et multidisciplinaire. « Je ne pouvais pas travailler tout seul dans mon labo pour faire face à des questions sociétales, industrielles et politiques majeures. On ne peut pas relever de grands défis sans une collaboration solide entre les disciplines scientifiques. Il faut beaucoup de chercheuses et chercheurs si on veut essayer de comprendre comment l’écosystème réagit et s’adapte à des contaminations multiples qui gagnent de plus en plus de terrain », détaille-t-il.

En 2014, il participe à l’expédition de la fondation Tara Océan consacrée à la pollution plastique en Méditerranée. « On a fait tout le tour [de la Méditerranée] et on s’est rendu compte que c’est la mer la plus polluée au monde par les microplastiques. Pour moi, ce fut un choc, qui m’a fait poursuivre mes recherches dans ce domaine », se souvient le chercheur.

« La science a été écoutée »

En 2019, il coordonne l’expédition Tara Microplastiques qui, pendant sept mois, remonte neuf des plus grands fleuves européens pour faire un état des lieux de la pollution dans le continuum terre-mer. Les chiffres qui en découlent sont affolants. Dans un numéro spécial de quatorze articles scientifiques qu’il coordonne dans la revue Environmental Science and Pollution Research, les travaux révèlent une pollution majeure, avec des petits microplastiques invisibles à l’œil nu qui sont plus importants en masse que toutes les autres tailles de plastiques. Il révèle aussi que des bactéries pathogènes pour l’Homme sont transportées par ces minuscules radeaux.

« Comme en 2014 et grâce au soutien de la Fondation Tara Océan, ça a été l’occasion de dizaines d’articles dans la presse pour donner l’alerte sur cette pollution majeure. J’ai pris conscience de l’importance de transmettre la connaissance de nos recherches scientifiques vers le grand public », raconte Jean-François Ghiglione. Il est aussi à l’origine d’une action de science participative de grande envergure« Plastique à la loupe », qui mobilise chaque année plus de 400 classes (soit près de 14 000 élèves) pour étudier et sensibiliser à la pollution plastique.

En 2022, il rejoint la Coalition des Scientifiques internationale qui réunit aujourd’hui environ 400 membres de plus de 70 pays. Leur objectif est de fournir des données scientifiques indépendantes aux pays impliqués dans les négociations en vue d'aboutir à un traité international sur la pollution plastique. À l’issue de trois années de discussions, les négociatrices et négociateurs de 185 pays ont échoué, en août dernier, à se mettre d’accord. « Le traité de Paris est arrivé plus de vingt ans après les accords de Rio. Nous, on en est à trois ans », relativise Jean-François Ghiglione.

Et d’ajouter : « Ces dernières années de négociations ont permis de montrer que la pollution plastique n’était pas seulement un problème de gestion de déchets, mais qu’il était essentiel d’en réduire la production et de mieux réguler les produits chimiques toxiques qui les composent.  La science a été écoutée et placée au cœur du débat, et elle a été largement reprise par les représentants des états. Au moins, il n’y a pas eu de signature sur un traité sans ambition, ce qui est prometteur pour la suite des négociations. »