Bruno Dubois
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Alzheimer, la maladie du siècle

A l’occasion de la sortie de son livre Alzheimer, la vérité sur la maladie du siècle, le neurologue Bruno Dubois nous éclaire sur cette pathologie qui nous vole progressivement souvenirs et identité.

Professeur de neurologie à la faculté de Médecine de Sorbonne Université et directeur de l’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer (IM2A) 1, il dirige également une équipe de recherche à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) 2.

Dans leur ouvrage paru en 2018 3, le gériatre Olivier Saint-Jean et le journaliste Eric Favereau voient dans la maladie d’Alzheimer « un grand leurre ». Que leur répondez-vous ?

Bruno Dubois : Dire que la maladie d’Alzheimer est un leurre est une méconnaissance de la réalité médicale. À l’IM2A, nous avons contribué à définir un cadre précis qui a fait sortir cette maladie du terrain vague où elle était jusque-là assimilée au gâtisme ou à la démence sénile.

La maladie d’Alzheimer a un retentissement sévère sur l’autonomie de la personne avec un tableau clinique spécifique et distinct de celui que l’on observe naturellement chez la personne âgée. Sur le plan biologique, c’est une maladie neurodégénérative qui se caractérise par une atrophie du cortex cérébral avec des lésions spécifiques (les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires). Ces éléments nous permettent de la reconnaître à n’importe quel âge et de la différencier avec certitude des simples troubles liés au vieillissement.  

Par ailleurs, il existe, dans de très rares cas (0,3%), des formes génétiques de la maladie qui touchent des patients plus jeunes et pour lesquels il n’est pas question de discuter la réalité de la pathologie.

La maladie d’Alzheimer n’est donc pas un leurre. C’est un objet médical fondamental, bien différent du déclin cognitif lié à l’âge, qui nécessite d’être clairement identifié et qui mérite de mobiliser toutes les énergies pour trouver un jour un traitement efficace, voire préventif.

Vous dirigez l’IM2A, premier centre français de recherche clinique dédié à cette maladie. Pouvez-vous revenir sur ses objectifs ?

B. D. : Né en 2010 et adossé à l’ICM, l’IM2A est une structure unique en France. Au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il regroupe en un même lieu des activités cliniques et de recherche avec pour objectif de structurer un centre de référence national pour le diagnostic précoce, le pronostic, la thérapeutique, la prévention et l’identification des marqueurs de la maladie d’Alzheimer.

Première consultation mémoire 4 de France, nous nous sommes engagés à l’IM2A dans la prise en charge des malades d’Alzheimer. Nous avons développé des programmes de prévention des troubles de la mémoire et de soutien aux aidants, ainsi qu’une prise en charge psychologique des patients. Nous avons notamment mis au point des serious game et des logiciels qui mobilisent leurs capacités cognitives et motrices. À travers des programmes d’information, nous accompagnons également les personnes qui ont des troubles de la mémoire sans avoir la maladie d’Alzheimer.

Quel regard portez-vous sur une possible guérison de la maladie d’Alzheimer d’ici quelques années ?

B. D. : Même si la guérison reste le but vers lequel nous tendons tous, force est de reconnaître l’échec des essais thérapeutiques qui se sont succédés ces dernières années. Les médicaments actuellement en cours de développement montrent une efficacité significative sur les lésions cérébrales des patients, mais pas sur leurs symptômes. L’une des hypothèses pour expliquer cet échec serait la réalisation trop tardive des essais cliniques chez des patients trop avancés dans la maladie.

Selon moi, la solution passera par une approche préventive. Nous savons que les lésions précèdent la survenue des symptômes de plusieurs années et que des mécanismes de compensation neuronale se mettent en place pour maintenir pendant un certain temps les performances intellectuelles et mnésiques des personnes porteuses des lésions Alzheimer (les plaques amyloïdes).

Il faut donc tester l’efficacité des traitements au début ou avant même l’apparition des signes cliniques chez ces patients à risque. Ce qui pose le problème de pouvoir identifier ces personnes à un stade précoce.

Selon moi, la solution passera par une approche préventive. Nous savons que les lésions précèdent la survenue des symptômes de plusieurs années et que des mécanismes de compensation neuronale se mettent en place pour maintenir pendant un certain temps les performances intellectuelles et mnésiques des personnes porteuses des lésions Alzheimer (les plaques amyloïdes).

Vous pilotez l’une des grandes études mondiales dans le domaine de la maladie d’Alzheimer, l’étude INSIGHT-preAD 5 dont le but est justement d’essayer de comprendre le développement de la maladie avant l’apparition des symptômes. A presque cinq ans de la fin de cette étude, quel bilan en tirez-vous ?

B. D. : A cinq ans, le bilan de cette étude menée au sein de l’ICM et de l’IM2A par des équipes Sorbonne Université, AP-HP, Inserm et CNRS, est extraordinaire. C’est la première étude mondiale à suivre, sur un même site, 320 sujets âgés sains (dont certains sont porteurs de lésions cérébrales) pour comprendre pourquoi et comment la maladie d’Alzheimer se déclare chez certaines personnes et non chez d’autres. Elle a donné naissance à 68 projets de recherche et une vingtaine de publications déjà.

Grâce à cette étude, nous pouvons notamment affirmer que si les plaques amyloïdes sont nécessaires à la survenue de la maladie, leur présence ne suffit pas à prédire le déclenchement de la maladie, ni la date de son apparition.

En poursuivant le plus longtemps possible cette étude, nous espérons déterminer précisément quels sont les « facteurs modulateurs » qui raccourcissent ou allongent le temps de gestation de la maladie et nous rendent plus ou moins vulnérables à son développement.

Comment voyez-vous les orientations de l’IM2A dans les années à venir ?

B. D. : L’IM2A doit rester un centre de référence pour le diagnostic et la prise en charge des malades, mais elle doit également devenir une structure de calcul de risque pour repérer les personnes qui sont au plus près de déclarer la maladie. Nous avons développé, dans ce sens, de nouveaux tests cognitifs et techniques d’imagerie. Grâce en particulier à la chaire AXA-Sorbonne Université « Anticiper la maladie d’Alzheimer », nous participons activement aux recherches sur l’identification de biomarqueurs suffisamment fiables, facilement accessibles et peu invasifs.

A terme, mon souhait est de créer un grand centre de recherche clinique qui nous permettrait, en suivant des cohortes de sujets âgés sains, d’établir des bases de données multifactorielles pour mieux identifier les « facteurs modulateurs » dont nous parlions. Certains d’entre eux 6 ont déjà été mis en évidence dans l’étude Insight. Intégrés à des algorithmes prédictifs et à l’intelligence artificielle, ils serviront à concevoir des outils de dépistage innovants et à initier des essais thérapeutiques préventifs.


Pour en savoir +
Bruno Dubois, Alzheimer, la vérité sur la maladie du siècle, Editions Grasset, 2019.

1 IM2A (AP-HP) 

2 ICM (Sorbonne Université, CNRS, Inserm, AP-HP)

3 Olivier Saint-Jean et Eric Favereau, La maladie d’Alzheimer : le grand leurre, Editions Michalon, 2018.

4 Les consultations mémoire permettent aux patients présentant des troubles de la mémoire, de bénéficier d'un diagnostic précis et d'une prise en charge adaptée de la maladie d'Alzheimer et autres maladies apparentées.

5 Pour “INveStIGation of AlzHeimer’s PredicTors in subjective memory complainers -Pre Alzheimer’s disease”

6 Il s’agit notamment de l’âge, de l’existence d’antécédents familiaux, d’une concentration de lésions amyloïdes plus élevée ou encore d’une forme particulière (l’APOE4) d’une protéine que nous avons tous dans notre sang, l’apolipoprotéine E.