Statut des femmes au Maroc
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Statut des femmes au Maroc : la complexité d’une évolution en marche

Au moment où l’actualité au Maroc est marquée par la campagne #STOP490, lancée en février 2021 par le collectif « Hors la Loi », fondé en 2019 pour demander notamment la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage, et que demeure ouverte depuis plus de deux ans la demande de changement de la loi relative à l’héritage des femmes au Maroc, se pose plus que jamais la question du modèle de société attendu par une partie de plus en plus audible de la société marocaine.

À cette question vient s’ajouter celle, sous-jacente, de l’articulation entre islam et modernité au Maroc – un pays où, de par la Constitution, l’islam est religion d’État.

Une réforme en faveur des droits des femmes et de l’enfant

Les indicateurs montrent des avancées encourageantes en matière de statut des femmes au Maroc depuis les années 2000, y compris concernant leurs droits au sein de la famille, avec en premier lieu la réforme du Code de la famille de février 2004, qui avait répondu à une attente nationale forte, en écho avec le mouvement international considérant la lutte contre les inégalités hommes-femmes comme facteur de développement et de cohésion sociale, à l’aune notamment du 5ᵉ objectif des Objectifs de développement durable 2015-2030 de l’ONU, relatif à l’égalité entre les sexes.

Cette réforme avait consacré l’égalité entre les époux dans la direction du foyer, à travers leur coresponsabilité au sein de la famille – et, par là même, la disparition du concept de l’homme chef de famille.

De plus, elle avait instauré le droit de la femme à demander le divorce, une prérogative auparavant uniquement réservée aux hommes par le biais de la répudiation ; la possibilité du divorce pour mésentente ; la fixation de l’âge du mariage à 18 ans pour filles et garçons ; l’abolition de la tutelle sur la femme majeure, lui permettant de se marier sans l’accord d’un tuteur.

Un processus prometteur en marche

Cette réforme avait également touché l’intérêt de l’enfant, en permettant pour la première fois en matière d’héritage aux petits-enfants du côté de la fille d’hériter de leur grand-père, au même titre que les petits-enfants du côté du fils. Autoriser les petits-enfants de la fille d’hériter de leur grand-parent maternel avait constitué une innovation de la loi marocaine, y compris par rapport à la loi islamique.

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Le code de 2004 avait également établi pour la première fois le droit de l’enfant illégitime à la reconnaissance de sa paternité dans le cas où il serait né d’une relation hors mariage en raison de force majeure, élargissant le champ des preuves légales à présenter au juge, alors qu’auparavant, la règle était la non-reconnaissance systématique de l’enfant né hors mariage.

Cette réforme avait été perçue comme une libération de la femme marocaine du statut de « subordonnée », et de « mineure à vie », qu’elle avait auparavant, et avait eu le mérite de montrer que les mentalités au Maroc n’étaient pas restées figées dans le passé, offrant l’espoir de nouvelles réformes à venir. Elle avait eu le mérite, aussi, d’avoir eu un rôle d’accélérateur du changement, démystifiant l’idée longtemps dominante selon laquelle il était très difficile, voire, inconcevable, de réformer le code marocain de la famille, perçu comme un corpus « sacré » en raison du fait qu’il puise sa source principale du rite malékite sunnite musulman.

Inadéquations entre mutation sociale et lois en vigueur

Si la mise en place des réformes et les progrès réalisés pour combattre les discriminations basées sur le genre sont en marche, des déséquilibres perdurent, et des chantiers restent ouverts pour consolider et généraliser la matérialisation de l’égalité hommes-femmes au Maroc ainsi que la protection des droits des femmes, plus en conformité avec l’article 19 de la Constitution de 2011 qui consacre le principe d’égalité sur le plan des droits pour tous les Marocains.

Pour exemple, en matière d’héritage, si les règles demeurent presque les mêmes quatorze siècles après l’avènement de l’islam, il est difficile de nier que l’état d’esprit de solidarité qui les justifiait au temps du prophète, consistant notamment en la prise en charge des femmes par les hommes de leur famille, règle sociale incontournable durant des siècles, a évolué vers plus d’individualisme dans la société marocaine contemporaine.

En effet, cette dernière, en quelques décennies, est passée d’une structure traditionnelle de nature patriarcale et tribale à la famille nucléaire de plus en plus urbanisée, dans laquelle la femme s’autonomise par le travail et contribue financièrement à la marche du foyer. Dans son « Rapport sur la Parité », publié en octobre 2015, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) avait estimé que « la législation successorale inégalitaire participe à augmenter la vulnérabilité des femmes à la pauvreté ».

Lois matrimoniales en lien avec le religieux

Autre exemple d’inégalités en droits, le mariage entre une femme marocaine musulmane et un non-musulman non converti à l’islam n’est pas permis en droit marocain. Une règle qui ne s’applique pas à l’homme marocain, qui peut épouser une femme des trois religions du livre sans obligation de conversion à l’islam. Si la femme marocaine musulmane épouse – hors du Maroc – un non-musulman non converti à l’islam, les enfants nés de cette union sont considérés comme des enfants non légitimes au regard de la loi marocaine, qui ne reconnaît pas cette union.

Cette situation est considérée par nombre de Marocaines et de Marocains comme étant non conforme à la Constitution de 2011, dont l’article 19 consacre l’égalité en droits entre tous les citoyens indistinctement de leur genre. Se trouve ainsi posée la question d’offrir un statut juridique plus juste aux femmes marocaines qui épousent des non-musulmans et aux enfants nés de ces unions, et par extension, la question d’une éventuelle reconnaissance des mariages civils contractés à l’étranger entre une femme marocaine musulmane et un non-musulman non converti à l’islam, afin de trouver une issue équitable à une situation juridiquement et socialement inconfortable.

Le mariage des mineures

Par ailleurs, le contexte social et éducatif, ainsi que l’application imparfaite de certaines dispositions du Code de la famille, restent un frein à la concrétisation de l’égalité entre les sexes au Maroc.

Ainsi, l’application du Code de la famille se heurte encore aujourd’hui à des difficultés sur le terrain, notamment en zone rurale en ce qui concerne le mariage des mineures. En dépit de la fixation de l’âge de la majorité matrimoniale à 18 ans pour les deux sexes lors de la réforme du Code de la famille de 2004, 9 % des mariages contractés au Maroc pour l’année 2018 étaient des mariages de mineurs. 90 % concernaient des filles, alors même que le Code de la famille ne prévoit de dérogation par voie judiciaire avant 18 ans qu’à titre exceptionnel, et en tenant compte en priorité de l’intérêt de la mineure, à la lumière d’une enquête sociale, encore rarement appliquée.

Les statistiques montrent aussi que l’avis favorable des juges sur les demandes de dérogation est autour de 90 %, et il est à supposer que le consentement de la mineure pour se marier ne va pas de soi. Une campagne nationale sur le mariage des mineures avait été lancée en mars 2019 par le CNDH, dans le but de mobiliser toutes les parties prenantes autour de ce phénomène inquiétant. Les associations demandent aujourd’hui une révision du Code de la famille en supprimant toute possibilité de mariage des mineurs, et des partis politiques se sont également emparés de la question en soumettant récemment un projet de loi visant à l’interdire.

Inégalité d’accès au marché de l’emploi et paradoxes

Sur le terrain, d’autres sources d’inégalités sont liées au fait que les femmes sont faiblement intégrées au marché de l’emploi formel, puisque seulement 22 % des femmes travaillent. Elles sont davantage exposées au chômage, structurellement plus élevé que le chômage masculin : 14 % contre 7 % pour les hommes selon le Haut Commissariat au Plan.

De plus, 18,4 % des ménages au Maroc sont dirigés par des femmes, dont 22 % vivant seules, et dont une majorité sont sans qualification. De plus, sept femmes chefs de ménage sur dix sont veuves ou divorcées, 65,6 % parmi elles sont illettrées et la majorité (75 %) est inactive.

Paradoxalement, à côté de ces réalités difficiles, l’Unesco relève dans son dernier rapport sur la science publié le 11 février 2021 que le Maroc, à l’instar d’autres pays arabes, compte un pourcentage important de femmes diplômées en ingénierie (42,2 %), alors qu’il est très faible dans le monde, y compris dans les pays de l’OCDE, avec des taux qui n’atteignent pas les 28 % (20 % aux USA, 26 % en France, 14 % au Japon).

On peut dire que, malgré des réalisations prometteuses au niveau de l’émancipation des femmes par le travail – y compris informel – et par les droits nouveaux dont elles bénéficient, de nombreuses inégalités persistent entre les hommes et les femmes au Maroc.

L’égalité à l’épreuve des résistances culturelles

Pour ajouter à cette complexité, chacun peut constater que, pas seulement au Maroc mais partout, les mentalités ont la peau dure, en cela qu’elles mettent plus de temps à évoluer que les lois.

En effet, les Marocaines doivent faire face aux inégalités en matière d’héritage ; à l’existence de diverses formes de violences faites aux femmes en dépit d’une loi dédiée (loi 103.13 de février 2018). En ce qui concerne le marché de l’emploi, la représentation des femmes dans les instances politiques et dans les instances décisionnelles dans les entreprises reste encore faible et l’intégration des femmes dans le marché du travail formel est lente. Les disparités salariales ; l’éducation des filles dans le monde rural ; la déscolarisation et les chiffres encore élevés des mariages des filles mineures rendent plus difficile l’émancipation des femmes au Maroc.

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S’ajoutent à cela la situation des mères célibataires, et la persistance des assignations des femmes dans des rôles socialement pré-établis et de certaines attitudes misogynes visant à contrôler la femme dans son corps, sa parole ou dans ses mouvements. Les perceptions méfiantes qui perdurent concernant l’idée de la « libération de la femme » dans l’imaginaire collectif à dominance patriarcale font que, comme le souligne l’historienne Michelle Perrot, « les chemins qui mènent vers l’égalité sont interminables ».

Les femmes, comme la jeunesse marocaine, souhaitent incarner leur rôle au sein de la société et s’inscrire dans le développement du pays. La poursuite des réformes juridiques protectrices des droits des femmes et des libertés individuelles est très attendue, comme le montrent les campagnes actuellement portées par la société civile.

Interprétation des textes religieux et évolution des lois

Les débats en cours à ce propos touchent inévitablement à l’articulation entre les idées de liberté et d’égalité, et l’islam, religion d’État au Maroc.

Si les uns les voient parfaitement en cohérence, à la condition d’une lecture égalitariste et contextualisée des textes sacrés de l’islam qu’ils considèrent comme favorable au statut de la femme et des libertés en général ; d’autres défendent l’idée de lois régissant la vie privée, indépendantes de toute source religieuse.

D’autres encore avancent l’argument de l’immuabilité du Coran pour défendre une exégèse (« ijtihad ») très orthodoxe, et justifier ainsi leur résistance au changement des lois dès lors qu’elles touchent aux libertés individuelles et à l’égalité des sexes. Il est intéressant de relever que « ijtihad » en arabe, provient du verbe « ijtahada » qui signifie « s’efforcer ». L’interprétation serait un acte qui découle d’un effort, elle ne vient pas de soi, ne coule pas de source. S’efforcer à interpréter donc. Surtout lorsque la question du modèle de société en est l’enjeu.


L’autrice est intervenante au colloque Femmes et religions en Méditerranée du Collège des Bernardins.


 

Le Collège des Bernardins est un lieu de formation et de recherche interdisciplinaire. Acteurs de la société civile et religieuse entrent en dialogue autour des grands défis contemporains, qui touchent l’homme et son avenir.

Hakima Fassi Fihri, Coordinatrice opérationnelle du projet européen 4EU+ / Chercheure en droit de la famille et féminisme dans le monde arabo-musulman, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.