
De l’Initiative à l’Institut : l’Antiquité au croisement des savoirs et des sociétés
Depuis sa transformation en Institut, l’ancienne Initiative ISAntiq incarne une dynamique renouvelée au sein de l’Alliance Sorbonne Université. Fort d’un réseau scientifique d’une rare richesse et d’une communauté soudée autour des Sciences de l’Antiquité, l’Institut se positionne désormais comme un acteur central, à la fois en France et à l’international. Cette structuration permet de repenser les frontières disciplinaires, de renforcer les liens entre recherche, formation et société, et d’ancrer l’étude de l’Antiquité dans les enjeux contemporains. À travers cette interview, Alessandro Garcea revient sur les grandes évolutions de l’Institut, ses ambitions pédagogiques, scientifiques et citoyennes, ainsi que sur les nouvelles voies de recherche qu’il ouvre, au croisement des savoirs anciens et des technologies d’aujourd’hui.
Interview avec Alessandro Garcea, directeur de l’Institut ISAntiq
Depuis son passage du statut d’initiative à celui d’institut, comment l’Institut Sciences de Antiquité a-t-il évolué ? Qu’est-ce que ce changement de statut a permis ou transformé ?
Alessandro Garcea : L’Initiative ISAntiq a permis, d’une part, à la communauté des antiquisants de la Faculté des Lettres de se constituer et de tisser des liens importants, et d’autre part, à notre Université d’émerger comme pôle d’enseignement et de recherche sur l’Antiquité qui n’a pas d’égal en termes de taille et de richesse d’activités en France et à l’étranger. À ce jour, il n’est pas outrancier de dire qu’ISAntiq est parfaitement identifiée et connue, au sein de la Faculté, au sein de l’Université, et dans le panorama des études des Sciences de l’Antiquité.
La transformation de l’Initiative en Institut représente l’aboutissement de ce processus et, en même temps, un nouveau départ. L’Institut est en effet le meilleur écosystème pour réellement fédérer les structures de l’Alliance SU concernées par les thèmes qui définissent notre identité et pour assurer le plus vaste rayonnement possible à nos activités. L’Institut des Sciences de l’Antiquité se caractérise par une forte dimension internationale. Il a vocation à s’appuyer notamment sur le réseau des cinq Écoles Françaises à l’Étranger, tant pour la recherche que pour la formation. Des partenariats avec des instituts de recherche étrangers sont en train de se mettre en place. La présence, au sein de l’Institut, de trois porteurs de projets ERC (Pecunia dir. Anne Valérie Pont, LiTeRA dir. Alessandro Garcea, et Palai dir. Victor Gysembergh) contribue également à développer cette dynamique.
L’interdisciplinarité était déjà centrale dans votre démarche en tant qu’initiative. Comment s’est-elle renforcée ou structurée dans le cadre de l’institut ?
A.G. : L’Institut part du principe selon lequel les Sciences de l’Antiquité se distinguent entre elles moins par la diversité de leurs objets que par celle de leurs méthodes. De ce constat vient la nécessité de les regrouper et de les faire interagir entre elles,
- suivant une approche multidisciplinaire, consistant à faire converger des perspectives complémentaires que l’on peut avoir sur un même objet complexe (c’est par exemple le cas du projet Enquête archéologique et géophysique sur la ville d’Haïdra, permettant d’appréhender cette ville antique dans ses différents aspects archéologiques et historiques),
- par des actions interdisciplinaires, impliquant la co-construction de projets fondés sur l’intégration de plusieurs disciplines pour la compréhension unifiée d’un problème (c’est le cas par exemple du projet Bruits de couloir : pour analyser les graffiti du couloir d’accès aux deux théâtres de Pompéi l’archéologie et l’étude du bâti pompéien dialoguent avec l’analyse linguistique et littéraire des inscriptions textuelles ainsi que l’histoire de l’art et des images, le tout observé au prisme de l’histoire sociale et culturelle),
- dans le cadre de projets transdisciplinaires, ayant pour objectif d’aller au-delà des barrières entre la recherche pure et la société, et incluant des partenaires non-universitaires issus de différentes communautés (par exemple le partenariat avec la Bibliothèque Fesch d’Ajaccio, qui conserve des incunables et de rares éditions anciennes appartenus au cardinal Fesch, et le travail sur les archives de savants du XXe siècle, qui se situaient à la marge des grandes institutions de l’enseignement supérieur et qui ont franchi librement les barrières disciplinaires dans l’étude de l’Antiquité - projet Pour une historiographie de la marge).
Quels sont aujourd’hui les grands objectifs que vous vous fixez en tant qu’institut ? En quoi diffèrent-ils (ou non) de ceux de l’initiative ?
A.G. : Les objectifs de l’Institut consistent donc tout d’abord à :
- élargir notre communauté dans l’optique de l’ouverture multi-, inter- et transdisciplinaire que j’ai évoquée ;
- donner une meilleure visibilité à l’offre de formation existante, tout en décloisonnant les parcours traditionnels ;
- augmenter l’employabilité de notre public étudiant, notamment par la création d’un Diplôme Universitaire en Sciences de l’Antiquité, susceptible d’attirer de nouveaux publics et de générer des ressources propres ;
- internationaliser nos formations. L'un des projets phares pour 2025 est la création d’une formation conjointe en papyrologie et histoire de la philosophie antique organisée par le Centre Léon Robin en collaboration étroite avec le Centre international pour l’étude des papyrus d’Herculanum de Naples. Sous la forme d’un atelier annuel et de séminaires mensuels binationaux, les participants pourront travailler notamment sur le livre 28 du traité Sur la nature d’Épicure. D’autres projets en collaboration avec l’Université d’Athènes et l’Ecole française d’Athènes sont en train de se mettre en place.
Les axes ou enjeux de recherche ont-ils été redéfinis ou approfondis dans le cadre de cette nouvelle structuration ? Si oui, lesquels ?
A.G. : Nos activités permettent de montrer que les Sciences de l’Antiquité ne constituent pas un univers clos: elles dialoguent avec d’autres savoirs, tant dans le domaine des sciences humaines (religion, pouvoir et institutions sont étudiés à la lumière de sources numismatiques, épigraphiques et juridiques), que dans celui des sciences dures. Nos projets sur les physiologies médicales et philosophiques grecques et romaines, sur les textes des alchimistes gréco-alexandrins et leur transmission, sur le feu et la chaleur, ainsi que sur les textes botaniques et zoologiques de l’Antiquité, ne se conçoivent qu’en lien étroit avec des biologistes et cliniciens, ou en collaboration avec les structures de recherches du MNHN. L’un deux contrats doctoraux 2025 a été attribué à un projet sur l’évolution génétique des populations du Bassin parisien de l’Âge du Fer à nos jours, qui contribuera à la compréhension du processus de romanisation des Parisii dont parlent les sources antiques.
Les activités de l’Institut se fondent en outre sur le potentiel transformateur des nouvelles technologies appliquées aux sources antiques (philologiques et archéologiques), par exemple avec le recours à l’imagerie multi-spectrale (dans le projet Palingenesis, qui s’occupe des palimpsestes) et aux méthodes géophysiques complémentaires non invasives et non destructrices, ou plus généralement aux humanités numériques (bases de données et corpus électroniques : grammairiens latins, étymologies grecques, lexique philosophique gréco-latin, Galien en ligne, commentaires néo-latins à Tacite de la Renaissance, etc.).
Comment l’institut s’intègre-t-il désormais dans les formations proposées ? De nouvelles dynamiques pédagogiques ont-elles vu le jour ?
A.G. : L’Institut donne une assise solide à l’École des Langues Anciennes de Sorbonne Université (ELASU), qui propose des enseignements en langues de l’Orient ancien et de l’Antiquité classique et tardive (sumérien, akkadien, élamite, hittite et louvite, ougaritique, araméen, phénicien et punique, hébreu biblique, sudarabique et nordarabique, grec byzantin, copte, syriaque et éthiopien, étrusque, sanskrit, mycénien, etc.). Par l’apprentissage de plusieurs langues anciennes, l’Institut entend promouvoir des recherches qui dépassent les frontières entre les peuples et leurs idiomes : le contact linguistique a représenté un phénomène très répandu dans le monde méditerranéen ancien, non seulement en littérature, mais aussi en philosophie, droit, médecine, administration etc. La perspective du multilinguisme est essentielle pour comprendre l’évolution des langues, les pratiques d’apprentissage et de traduction, les processus de communication interculturelle, etc. L’Institut a pour ambition de former de futurs spécialistes capables de travailler dans ces domaines innovants.
De nombreuses formations ad hoc, selon les besoins des jeunes générations qui entreprendrent des projets de recherche en Sciences de l’Antiquité, sont régulièrement mises en place.
Quel rôle l’institut entend-il jouer dans la société aujourd’hui, notamment à travers ses recherches ? Voyez-vous une évolution par rapport à ce que vous envisagiez en tant qu’initiative ?
A.G. : L’Antiquité est toujours présente dans le débat public contemporain, mais il s’agit d’un sujet dont s’emparent souvent des non-spécialistes pour le plier à des objectifs idéologiques qui lui sont étrangers. Dans ces derniers mois, la chronique nous a donné des exemples notables venant des États Unis. En mettant en avant les échanges entre les peuples, les dynamiques d'interaction et le multilinguisme dans les civilisations anciennes, l’Institut promeut résolument une vision ouverte et inclusive de l’Antiquité, visant à favoriser un dialogue social élargi sur les relations entre diversité linguistique et identités culturelles.