Mohamed Chetouani

Mohamed Chetouani

Ancien président du comité d’éthique de la recherche et professeur en robotique

Dès que nous travaillons sur l'humain dans sa complexité, nous ne pouvons pas l'aborder simplement par une discipline, nous avons besoin de regards complémentaires.

Ancien président du comité d’éthique de la recherche de Sorbonne Université et professeur à l’Institut des systèmes intelligents et robotiques (ISIR), Mohamed Chetouani a su mettre son savoir-faire au service de l’interaction sociale. Portrait d’un homme à l’interface de la technologie et des sciences humaines et médicales.

Sous la pyramide de l’ISIR, règne, dans le bureau de Mohamed Chetouani, le désordre organisé des gens qui travaillent tard. Issu d’une famille modeste d’origine marocaine, ce professeur d’informatique a grandi dans le 93 avec pour moteur la réussite intellectuelle inculquée par ses parents. Dès l’école primaire, il préfère fréquenter L’Atlas, une association qui propose des ateliers d’animation scientifique dans son quartier. « Ces ateliers, qui ressemblaient un peu à ceux que l’on trouve à la Villette, ont complètement changé la donne pour moi », souligne le chercheur. C’est ici qu’il apprend assidument les bases de l'informatique et de la robotique avec des animateurs passionnés. « On pouvait venir quand on voulait, il n’y avait pas d’horaire. J’y passais mes samedis entiers », se souvient-il en racontant la fierté qu’il avait ressenti lorsqu’à 13 ans, un journaliste l’avait interviewé sur le robot qu’il avait construit.

Fort de ces heures passées à programmer des systèmes sur les vieux ordinateurs de l’Atlas, il décroche un bac technologique avec mention. Cela lui vaut la reconnaissance de la mairie et de son lycée qui lui offre un voyage à l’étranger. Poussé par ses enseignants à poursuivre dans le supérieur, il s’inscrit en DUT automatique et informatique industrielle. Deux ans plus tard, alors qu’il se destinait à entrer en école d’ingénieur, il fait un stage qui change ses plans : il découvre que le métier d’ingénieur n’est peut-être pas aussi stimulant qu’il l’imaginait. Il se réoriente alors in extremis en licence d’ingénierie électrique à l’université Paris 13 avec l’espoir de devenir chercheur. En maîtrise, il rejoint les bancs de l’Université Pierre et Marie Curie pour se spécialiser en automatique et traitement du signal et commence, en 2001, une thèse sur le traitement de la parole à l’aide de méthodes d'apprentissage. Il aime la liberté qu’il découvre au laboratoire. Très tôt, il intègre un réseau d’experts européens et part en missions à Barcelone, en Écosse, aux Pays-Bas, etc. Ses différentes expériences l’amènent à travailler sur des applications pour améliorer la prise en charge de patients souffrant de troubles de la communication, comme des troubles auditifs ou encore la maladie Parkinson.

Une robotique humaniste

En 2005, lui qui avoue redouter parler en public obtient un poste de maître de conférences à l’ISIR alors en pleine création. Le laboratoire place l’humain au cœur de ses recherches et promeut l’ouverture envers les autres disciplines. Une aubaine. En 2006, il rencontre le psychiatre David Cohen avec qui il commence à travailler sur l’autisme. « Au début, on s’est intéressés à la prosodie des enfants autistes qui était jusque-là peu étudiée en raison du manque d’outils d’analyse », explique-t-il. Grâce aux méthodes automatiques qu’ils développent, Mohamed Chetouani et David Cohen élargissent leurs recherches à d’autres signaux de l’interaction sociale et notamment à la synchronie interpersonnelle. Ils analysent, de façon simultanée, les réactions de la mère et de l'enfant, sur le plan des interactions sociales, langagières, comportementales, etc. Ils montrent notamment que, loin de délaisser leurs bébés, les parents d’enfants autistes les stimulent beaucoup plus que la moyenne, et cela bien avant que le diagnostic ne soit posé.

Par la suite, Mohamed Chetouani s’intéresse à la façon dont des enfants souffrant de troubles du développement peuvent apprendre avec l’aide de robots dotés de capteurs, de caméras et de micros. « Les robots sont utiles pour créer des interactions mesurables et répétables. Nous cherchons à créer une boucle d’apprentissage vertueuse en demandant à l’enfant de leur enseigner une tâche, l’écriture, par exemple. L’enfant renforce ainsi ses apprentissages et les généralise, indique Mohamed Chetouani.  Nous travaillons notamment depuis plusieurs années avec le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qui accueille des enfants avec des troubles du neurodéveloppement et les résultats sont très positifs ». Il mène sur ce sujet plusieurs projets internationaux dont le projet Animatas financé par le programme-cadre de recherche et d'innovation de l'Union européenne ou encore le projet Techtoys.

La pensée plurielle

Fort de ces expériences, Mohamed Chetouani intègre, en 2017, le comité national préparatoire du quatrième plan Autisme. Il pilote désormais la mise en œuvre du Living & Learning Lab Neurodéveloppement (LiLLab) dédié à l’évaluation des dispositifs technologiques facilitant l’apprentissage, l’autonomie et l’inclusion scolaire et sociale des personnes autistes. Le LilLab regroupe des personnes souffrant de troubles du développement et leurs proches, des associations, des fondations, un centre médico-social pluridisciplinaire, mais aussi des chercheurs, des cliniciens, des enseignants et des entrepreneurs, des chercheurs en sciences de l’éducation, en psychologie, en robotique, etc. Une pluridisciplinarité que Mohamed Chetouani cultive aussi dans ses recherches en faisant appel au quotidien à des psychiatres, psychologues, linguistes, orthophonistes, pédagogues, spécialistes de l'interaction homme-machine, du traitement du signal, de l’intelligence artificielle, etc. « Dès que nous travaillons sur l'humain dans sa complexité, nous ne pouvons pas l'aborder simplement par une discipline, nous avons besoin de regards complémentaires », souligne le chercheur.

Et c’est cette même transversalité des points de vue qui nourrit le comité éthique de la recherche que Mohamed Chetouani a monté en 2019 à Sorbonne Université. « Plusieurs raisons m’ont amené à proposer ce comité : tout d’abord les questions autour du positionnement, dans mes recherches, du robot vis-à-vis de l’enfant, comme dispositif à contrôler plutôt que compagnon. Ensuite, la méthodologie et les protocoles que nous mettons en place avec les enfants (comment on interagit avec eux, comment on les accueille, on les informe, etc.). Enfin, la protection des données qui entre en jeu dans nos travaux. Toutes ces questions, nous les soumettions jusque-là à des comités d'éthique extérieurs lorsque nous devions faire évaluer nos projets. Il me paraissait essentiel qu’une grande université comme la nôtre se dote de son propre comité. » Un comité qui dès sa naissance a dû faire face, en raison de la pandémie, à des centaines de demandes d’évaluation : « Entre mars et juillet 2020, nous répondions 24H/24 à des milliers d'échanges. Nous avons fait en quelques mois, ce que nous aurions fait en temps normal en une année », se rappelle Mohamed Chetouani.
 
Passionné par ses recherches, Mohamed Chetouani l’avoue : il est de ceux qui ne tiennent pas en place. Le chercheur organise fin mars 2022 le premier salon interactif sur les nouvelles technologies numériques au service de l’accompagnement des personnes autistes qui réunira, à Saint Brieuc, associations, parents, professionnels du monde médico-social, chercheurs, développeurs, start-ups, etc. autour des dernières innovations du domaine.