Alexandra-Kuyo

Alexandra Kuyo

Une doctorante civilisationniste qui étudie le Brexit

Mon sujet analyse les enjeux et les impacts du Brexit sur l’industrie automobile britannique et européenne

Alexandra Kuyo a choisi de faire une thèse en convention avec une entreprise (CIFRE) sur un sujet d’actualité : les enjeux et les stratégies de négociation du Brexit. Elle est en deuxième année de thèse dans l’école doctorale Civilisations, cultures, littératures et sociétés (ED 020) et nous l’avons rencontrée. 

Pouvez-vous nous retracer votre parcours du master au doctorat ?
Alexandra Kuyo : J’ai fait un master 2 Langues littératures et civilisations étrangères et régionales (LLCER), parcours recherche avec comme spécialité études anglophones. Comme je ne souhaitais pas me tourner vers l’enseignement, j’ai contacté la conseillère en insertion professionnelle Axelle Ferraille pour regarder les possibilités à envisager. J’avais deux options : soit poursuivre en thèse grâce au Programme Sciences et management pour lequel j’ai passé l’oral mais je n’ai pas été retenue, soit faire mon doctorat avec une Convention industrielle de formation par la recherche ou CIFRE. Avec l’aide de ma directrice de thèse, Claire Charlot, qui avait été aussi ma directrice de master, j’ai orienté mon sujet afin qu’il puisse attirer une entreprise. Comme j’étais engagée dans des études anglophones, je me suis dit, pourquoi pas le Brexit ? C’est un sujet d’actualité qui pourrait être utile à une entreprise.

Je me suis tournée vers le secteur de l’automobile. J’ai trouvé mon partenaire industriel sur LinkedIn : la Plateforme de la filière automobile (PFA), une association professionnelle regroupant les constructeurs et les équipementiers automobile au niveau national. C’est une sorte de syndicat qui négocie auprès des pouvoirs publics les intérêts des constructeurs, en se basant surtout sur les directives européennes mises en place. Par exemple, dans le contexte de la transition énergétique, l’électrification et l’interdiction de la fabrication des véhicules thermiques à l’horizon 2035 sont actuellement des sujets de négociation de la part des industriels.

Je suis actuellement en 2ème année académique. Toute ma première année a été consacrée à la procédure administrative auprès de l’ANRT. Ma CIFRE a démarré en octobre 2021 et se terminera en octobre 2024. 

Quel est votre sujet de thèse ? 
A.K : Mon sujet analyse les enjeux et les impacts du Brexit sur l’industrie automobile britannique et européenne. Lorsque le Royaume-Uni faisait encore partie de l'UE, les échanges de biens avec l'Europe étaient exonérés de droits de douane. Une fois hors de l'Europe, ces droits de douanes menaçaient d'être réintroduits, c'est pourquoi il a été capital de négocier un accord de libre échange (qui permet de supprimer directement ou progressivement les barrières commerciales - dont les droits de douane). Dans le cadre de l'accord du Brexit, tous les biens échangeables sont mentionnés (meubles, matériaux, animaux, aliments, éléments chimiques, etc.). C'est le cas des voitures et de leurs composants.

Dans le cadre de la transition énergétique, la batterie électrique a une grande importance. À l'heure actuelle, la majorité des batteries électriques proviennent d'Asie. Pour les échanges Royaume-Uni - Europe, l'origine préférentielle est appliquée. L'origine d'une marchandise est sa nationalité. Elle est calculée sur plusieurs bases : lieux de transformation du produit, origine de ses composants, etc. Pour être exonérée de droits de douane, il faut que la batterie soit considérée comme suffisamment européenne ou britannique. Dans le cadre de l'accord du Brexit, les critères de détermination de l'origine de la batterie évoluent en trois phases et se durcissent entre 2021 et 2027. L'objectif est de permettre à l'Europe de développer son industrie de batteries électriques, en évitant que le Royaume-Uni soit trop avantagé (ce dernier pourrait s'approvisionner en batteries asiatiques et exporter ses véhicules vers l'UE, sans droits de douane, ce qui pénaliserait le marché européen).

Dans le cadre de ma thèse, je me focalise sur la première phase du règlement sur les batteries (1er janvier 2021- 31 décembre 2023) afin de comparer l'avancement de l'électrification en Europe (France) et au Royaume-Uni pendant cette période. Je regarde le développement de l’infrastructure de recharge, d’approvisionnement en matière première, de transformation de l’emploi, l’adaptation de l’emploi des salariés à ce nouveau métier dans le cadre de la transition énergétique. Je compare les deux cas. Je regarde comment cela se passe au Royaume-Uni depuis sa sortie de l’UE, comment ils s’en sortent au niveau des investissements étrangers, des subventions, quels sont leurs objectifs par rapport à ceux de l’Europe. 

Comment travaillez-vous ?
A.K : La civilisation est un mélange d’histoire, de science politique, d’économie et de sociologie. Dans ma thèse, je touche à 3 points : l’histoire, les sciences politiques et l’économie. Pour la partie historique, je relate les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe. La partie économique concerne la comparaison. Grâce aux réunions et séminaires auxquels j’assiste dans le cadre de la Plateforme, j’ai accès à un grand nombre d’informations sur ce qui se passe à la fois sur le marché français, sur le marché européen et au niveau de la commission européenne. Le fait d’être immergée me permet d’avoir de la matière sur laquelle travailler. Depuis la mise en œuvre de l’accord du Brexit (1er janvier 2021), j’ai accès aux données fournies par certains constructeurs et par des homologues. Ces données constituent une ressource utilisable et très utile.

Mon travail est basé aussi sur des entretiens, des interviews avec les différents acteurs de négociations du Brexit, les différents acteurs du secteur automobile. Elles sont prévues pour septembre 2022. Je me base aussi beaucoup sur les livres pour étudier le discours de politologues et d’experts, en comparant les sources de la presse. Ma tâche est de toujours remettre en question ce qui est énoncé en fonction du contexte, de l’origine de la source. Un journaliste peut dire ou écrire quelque chose sur l’impact, sur le développement du véhicule électrique au Royaume-Uni ou sur le développement des bornes de recharge et nous, en réunion, nous pouvons avoir une information qui contredise ce qui est énoncé. C’est à ce niveau-là que je peux intervenir, dire ce qui se passe du point de vue de la presse.

L’immersion permet d’avoir une vraie visibilité sur ce qui se passe vraiment. Dans le cadre de la plateforme, mes interlocuteurs sont des constructeurs, des équipementiers, des associations automobiles au niveau européen et au niveau national, des membres d’ambassades dédiés au commerce international, des personnes de l’administration française et du Parlement. J’assiste aux réunions avec ma responsable, la directrice du pôle affaires internationales. Je peux évoquer les problèmes internes de façon anonyme dans ma thèse. 

Avez-vous une idée de votre avenir ?
A.K : À la sortie de la thèse, j’aimerais travailler comme consultante pour un cabinet de conseil. C’est un métier tremplin. Je suis en contact avec des consultants et ils me disent que c’est un métier très prenant. Progresser hiérarchiquement, c’est donner toute sa vie. Même si j’aime beaucoup ce que je fais, sur le long terme, c’est plus flou pour moi. Pourquoi ne pas être à son compte ? Une autre option est d’entrer dans les institutions européennes.