Les addictions, comment ça marche ?
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Les addictions, comment ça marche ?

Jocelyne Caboche, directrice de recherche en neurosciences au laboratoire Neuroscience de l’Institut de biologie Paris-Seine (IBPS), nous dévoile les mécanismes cérébraux des addictions.

Depuis des millénaires, les drogues sont utilisées à des fins thérapeutiques, euphorisantes ou sacrées pour modifier l’état de conscience. Dans la Grèce antique, les médecins avaient recours à l’opium. Les feuilles de coca étaient utilisées par les Sud Américains pour leurs vertus stimulantes et de nombreux artistes se servaient de drogues pour trouver l’inspiration, à l’instar de Baudelaire qui parlait du laudanum comme d’une « vieille et terrible amie ».

Les addictions, un enjeu de société

Cocaïne, cannabis, opiacés, tabac, alcool, amphétamines et autres dérivés de synthèse... toutes ces substances psychoactives agissent sur le cerveau et modifient l’activité mentale, les sensations et le comportement. Si la plupart d’entre elles sont illicites, d’autres, comme le tabac ou l’alcool, sont autorisées. Pourtant, toutes exposent à des risques pour la santé et la vie sociale, et peuvent entraîner des addictions. Selon le Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022, le tabac tue 73 000 personnes chaque année en France, l’alcool environ 50 000 et les drogues illicites 1 600.

« Si l’addiction a longtemps été considérée comme une faiblesse de la volonté, elle est aujourd’hui reconnue comme une pathologie cérébrale liée à des changements durables dans le cerveau », affirme Jocelyne Caboche.

Mais comment définir une addiction ?

« L’addiction se met en place quand nous passons d’une consommation ponctuelle et récréative à un usage soutenu puis à une consommation abusive et compulsive », explique la chercheuse.

Selon le Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders (DSM), l’addiction se caractérise notamment par la recherche et l’usage compulsifs de drogue malgré la connaissance de ses conséquences nocives, et la présence de rechutes même après des années d’abstinence. D’autres troubles psychiques et cognitifs, comme des difficultés de concentration, d’expression ou de mémorisation, peuvent s’ajouter. Ils risquent alors d’altérer les résultats scolaires ou professionnels, voire d’entrainer une déscolarisation et une marginalisation.

« Chez les enfants et les adolescents, ces effets néfastes sont encore plus importants, précise la chercheuse. Encore en maturation, leur cerveau est plus vulnérable aux effets toxiques et des troubles du développement peuvent apparaître. »

Pour la société, les addictions constituent un enjeu considérable en raison des dommages sanitaires et sociaux qu’elles induisent et des coûts pour les finances publiques. D’après le Plan national de mobilisation contre les addictions, le coût social total de ces consommations a été estimé, en 2010, à près de 120 milliards d’euros tant pour l’alcool que pour le tabac et à près de 10 milliards pour les drogues illicites.

Mais les addictions ne se limitent pas aux drogues. Nous observons aujourd’hui des phénomènes de dépendance aux jeux de hasard ou d’argent, mais aussi à l’activité physique, aux jeux vidéo et aux écrans.

« Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur les pratiques avec les écrans ou les jeux vidéo. Mais il semblerait que ces derniers agissent sur les mêmes structures cérébrales que les substances chimiques qui induisent une addiction », ajoute Jocelyne Caboche.

Si l’addiction a longtemps été considérée comme une faiblesse de la volonté, elle est aujourd’hui reconnue comme une pathologie cérébrale liée à des changements durables dans le cerveau.

Jocelyne Caboche

Les mécanismes cérébraux à l’origine des addictions

Cocaïne, ecstasy, tabac, alcool, héroïne, médicaments psychoactifs... Toutes ces substances, pénètrent rapidement dans le cerveau où elles agissent sur une zone appelée le « circuit de la récompense ». Là elles amplifient, par différents mécanismes d’action, l’activité des neurones impliqués naturellement dans une récompense, les neurones dopaminergiques. Cela a pour effet d’augmenter le taux de dopamine, cette molécule du plaisir, dans le cerveau.

En activant, avec une puissance bien supérieure à celle des récompenses classiques, les structures impliquées au quotidien dans la motivation et la récompense, les drogues vont en quelque sorte « hacker » le circuit de la récompense.

« La corruption de ces mécanismes cérébraux a une incidence progressive et insidieuse sur le comportement associé aux récompenses naturelles, explique Jocelyne Caboche. Le plaisir du quotidien va de ce fait perdre peu à peu de sa valeur. » 

Mais les drogues n’ont pas qu’un effet ponctuel, elles ont aussi des effets à long terme sur le cerveau. En augmentant le taux de dopamine, la prise de drogue induit des changements durables de l’expression des gènes de certains neurones et peut modifier leur structure et leur activité. Ces modifications agissent comme une sorte de « mémoire du plaisir ».

« En cela, les addictions peuvent être considérées comme des formes pathologiques de mémoire, des mémoires néfastes, mais robustes, persistantes et souvent très liées au contexte de la prise de drogue », précise la chercheuse.

Cette mémoire du plaisir explique en partie les risques de rechute même après plusieurs années d’abstinence.

De nouvelles pistes thérapeutiques

Dans son laboratoire à Sorbonne Université, Jocelyne Caboche cherche donc à comprendre les effets à long terme liés à cette mémoire de l’addiction.  

« En utilisant une combinaison d’approches multidisciplinaires allant des études cellulaires et moléculaires aux études comportementales chez l’animal, nous étudions les mécanismes neuronaux à l’origine des changements comportementaux à long terme associés à l’addiction », précise la chercheuse.

En décrivant l’ensemble de mécanismes impliqués dans la mémoire des drogues, Jocelyne Caboche et son équipe ont pu identifier des voies biochimiques qui sont à l’origine d’une modification à long terme des propriétés neuronales. Cela a permis de développer de nouvelles stratégies pharmacologiques agissant de façon ciblée sur ces molécules.

« La recherche fondamentale est essentielle pour faire avancer la recherche préclinique et clinique, et développer de nouvelles perspectives thérapeutiques », souligne la chercheuse. 

Dans cette perspective, Jocelyne Caboche a créé avec son collègue Peter Vanhoutte, en 2015, la startup biopharmaceutique Melkin Pharmaceuticals. Le but de la société est de développer des molécules innovantes pour le traitement des troubles du système nerveux central dont les addictions. Des études précliniques sur les premières molécules développées par l’entreprise ont été lancées et permettent d’envisager une entrée en phase clinique d’ici 2 à 3 ans.