Entretien avec Karine Lacombe
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« J’ai bon espoir qu’en 2021 l’atmosphère de défiance envers la parole scientifique s’apaise »

Entretien avec la professeure Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine.

Karine Lacombe

Karine Lacombe est l'une des figures majeures de la lutte contre la pandémie. Elle nous raconte ce qui a changé durant cette seconde vague et comment la défense de la vérité scientifique est devenue, pour elle, un combat quotidien.

Vous êtes sur le front depuis février dernier. Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis la première vague sur le plan scientifique ?

Nos connaissances ont énormément progressé à la fois sur la dynamique de l'épidémie, l'agent pathogène et les traitements. Des essais thérapeutiques majeurs montrent par exemple que les corticoïdes permettent de diminuer de 25 à 30% la mortalité. À défaut d’avoir un antiviral performant, nous travaillons sur d'autres traitements innovants comme les anticorps monoclonaux et polyclonaux. Nous avons également vu à quel point l’aspect génétique était essentiel dans l’évolution de la maladie. Toutes ces avancées nous ont permis d’améliorer considérablement le pronostic et la prise en charge des patients.

Enfin, jamais en avril, nous n’aurions pensé que des vaccins seraient disponibles moins d'un an après le début de l'épidémie. Avec l’arrivée des campagnes vaccinales, nous apercevons désormais la lumière au bout du tunnel.

Et sur le plan hospitalier ?

La gestion de cette seconde vague ne s'est pas faite dans l’atmosphère anxiogène que nous avions connue au printemps. Nous avons beaucoup appris de notre première expérience. Même si nous étions fatigués par des mois éreintants, nous étions prêts : nous avions le matériel nécessaire et les connaissances scientifiques pour mieux prendre en charge les patients.

Cependant, l'hôpital reste sous tension. Dans mon service, la moitié des lits est dévolue à la Covid-19. Même s’il y a moins de patients que lors de la première vague, nous devons continuer à gérer le reste des pathologies avec le dimensionnement actuel du système de soin. 

Depuis votre opposition à Didier Raoult à propos de l’hydroxychloroquine, vous êtes victime de cyberharcèlement sur les réseaux. Vous êtes également l’une des cibles du documentaire Hold Up qui alimente les fantasmes autour de la Covid-19. Comment expliquez-vous et vivez-vous cette virulente défiance à votre encontre ?

Elle a sûrement à voir avec ma personnalité : une personnalité de constance et de combat qui doit être insupportable pour tous ceux qui cherchent à dominer.

Cette bataille médiatique, dont personne ne sort grandi, a été très difficile à vivre sur le plan personnel. J’ai beaucoup pris sur moi pour faire face aux attaques que j’ai reçues via les réseaux sociaux et les médias plus traditionnels. Mais, même si c’est épuisant, cela ne m’empêchera pas de continuer à porter une parole scientifique auprès du grand public.

Selon vous, le fait d’être une femme scientifique attise-t-il encore davantage ces réactions ?

Sans aucun doute. Certaines attaques dont j'ai été la cible relèvent des mécanismes sexistes et misogynes qui existent depuis longtemps. Mais au-delà du genre, c’est aussi ce que je représente à travers ma fonction de professeure de médecine qui est visé.

À ce titre, il est très important pour moi d’avoir reçu, tout au long de cette crise, le soutien et la protection fonctionnelle de mon administration de tutelle, Sorbonne Université.

Plus largement, nous avons vu fleurir sur le net et les réseaux de nombreuses thèses complotistes. Pourquoi cette crise est-elle selon vous si propice à ce phénomène de société devenu viral ?

En essayant de faire passer des messages sur l'épidémie, nous avons été confrontés à la montée en puissance d'un mouvement dont l’ambition était de remettre en cause la parole scientifique. Cette défiance globale envers la science est assez spécifique à la France. Nulle part ailleurs, nous ne trouvons des personnalités aussi clivantes et aussi populistes que celles qui ont émergé dans l’Hexagone. 

Ces positions « anti-sciences » rejoignent pour beaucoup l’attitude de défiance envers l'autorité qui préexistait à la crise sanitaire et aboutissent au fait qu’une partie de la population met en doute aujourd’hui l’intérêt de la vaccination.  

Avec l'arrivée des vaccins, la bataille médiatique risque donc de repartir de plus belle ?

Selon les sondages, 52% de la population serait contre la vaccination. Mais je pense, en réalité que la majorité des sondés n’est pas totalement opposée, mais plutôt en demande d'information. 

Le maelstrom médiatique actuel a brouillé les messages que nous voulions faire passer à ce sujet en tant que scientifiques. Mais, j’ai bon espoir que, courant 2021, cette atmosphère de défiance s’apaise. L’acclimatation à la menace sanitaire va devenir avec le temps un rempart contre la peur. Avec l’habitude, les gens seront moins anxieux et donc plus à même de comprendre les messages dispensés. 

J’espère que le comité vaccinal, qui réunit des scientifiques et des personnes issues de la société civile sous l’égide du Pr Fischer, permettra de mettre en place sereinement une campagne vaccinale.

Quels seraient, selon vous, les leviers pour lutter contre le complotisme ?

Il est important que les institutions s’emparent davantage des médias sociaux et en particulier de ceux destinés aux jeunes, comme TikTok ou Instagram. L’enseignement des sciences est crucial. Au fil des années, il a été réduit dans le secondaire, voire a complètement disparu de certaines filières. Sans un minimum de connaissances scientifiques indispensables pour comprendre les phénomènes qui nous entourent, comment réfuter les théories complotistes ?

Il est essentiel d’aller vers les jeunes, dans les lycées, pour échanger, les informer et les initier à la démarche scientifique.

Karine Lacombe

Afin de promouvoir ce savoir auprès des jeunes, Sorbonne Université a mis en place plusieurs dispositifs. Et il est, selon moi, essentiel de continuer de les sensibiliser aux sciences, d’aller vers eux, dans les lycées, pour échanger, les informer et les initier à la démarche scientifique.

Il me semble également important que l’université rentre dans la bataille des réseaux sociaux en luttant contre les personnes qui la discréditent et calomnient ceux qui la représentent.

Quelles leçons tirer de cette crise en termes de communication scientifique ?

Dans une période où les scientifiques sont devenus, pour les médias et les réseaux sociaux, de véritables objets de consommation, nous avons deux solutions. Soit l’autocensure, qui risque de faire émerger, à la place de la parole scientifique, des porteurs de fausses informations. Soit la création d’un organe autonome de production d'une information scientifique vérifiée capable de proposer un panel de spécialistes chargés de la diffuser.

Sur le modèle de l’ancien Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, cette structure permettrait d’articuler une meilleure politique pédagogique autour d'informations scientifiques sûres et de porter un message objectif, moins sujet à la critique que ne le sont actuellement les propos tenus par les experts de façon individuelle.

Vous avez publié en novembre dernier la bande dessinée La Médecin, une infectiologue au temps du Corona. Pourquoi avoir choisi ce genre littéraire pour sensibiliser la population à la réalité des hôpitaux ?

Je n’avais pas envie d’écrire un essai sur cette crise, comme beaucoup d’éditeurs me le proposaient. Je voulais toucher le grand public, faire passer un message pour que les gens comprennent de l'intérieur ce que nous avons vécu à l’hôpital et comment nous avons fait front auprès des familles et des malades.

La bande dessinée, qui parle à tous, m’a aussi permis de diffuser des messages scientifiques dans un langage accessible à chacun : le fonctionnement des traitements, l’importance des masques, ce qu’est un virus, comment il se transmet, etc. Je souhaitais montrer que la population n’avait pas été confinée à tort et qu'il se passait vraiment quelque chose de grave.