Les impacts neurologiques et psychiatrique de la Covid-19
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Covid-19 : quels impacts neurologiques et psychiatriques ?

Entretien avec le Pr. Jean-Christophe Corvol, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Mieux comprendre les conséquences neurologiques et psychiatrique de la Covid-19, c’est l’objectif de l’étude menée par le Pr Jean-Christophe Corvol, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et directeur du centre d’investigation clinique neurosciences de l’Institut du Cerveau. À l’occasion de la Semaine du Cerveau, il revient sur son projet de recherche Cohorte Covid neurosciences.

Dans quel contexte avez-vous lancé cette étude de recherche clinique ?

Jean-Christophe Corvol : Lors de la première vague en 2020, nous avons été mobilisés, en tant que neurologues, pour suivre les patients Covid hospitalisés à la Pitié-Salpêtrière. Très vite, la présence de symptômes neurologiques (perte du goût et de l’odorat, céphalées) chez ces patients nous a permis de détecter le neurotropisme du virus, c’est-à-dire sa capacité à infecter le système nerveux.

Avec le soutien de l'Institut du Cerveau et de l'AP-HP, et grâce à un don de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) puis à un financement de la Fondation de France, nous avons mis en place une étude pour recenser l’ensemble des symptômes neurologiques et psychiatriques liés à la Covid-19 afin de comprendre quelle était l'atteinte du système nerveux dans cette maladie.

Quels étaient les objectifs de cette étude et sa méthodologie ?

J.-C. C. : L’objectif était double. D’une part, décrire, dans leur complexité, les symptômes neurologiques et psychiatriques qui apparaissaient après une infection au SARS-Cov-2. D’autre part, voir quel était l’impact de la Covid-19 chez des patients qui présentaient déjà des pathologies neurologiques ou psychiatriques chroniques.

Afin d’avoir une vision globale et standardisée, l’étude a réuni l’ensemble des acteurs du département médico-universitaire de neurosciences impliqués dans l'évaluation et la prise en charge des maladies neurologiques et psychiatriques : neurologues, rééducateurs, psychiatres, plateaux de neuro-imagerie, spécialistes en neuropathologie, neurophysiologie ou anatomopathologie.

Quels sont les résultats de cette étude ?

J.-C. C. : Entre mars et avril 2020, plus de 500 patients sur les 2000 hospitalisés pour Covid-19 présentaient des manifestations neurologiques. Nous avons constaté une très grande diversité des symptômes, avec des atteintes pouvant toucher le système nerveux central (cerveau, tronc cérébral ou moelle) comme le système nerveux périphérique (nerfs, jonctions neuromusculaires, etc.). Si les troubles du goût et de l’odorat étaient les plus fréquents (environ 80%), 40% des troubles concernaient des déficits moteurs, 35% des troubles cognitifs (troubles de mémoire, de l’attention, etc.), 20% des troubles psychiatriques (anxiété, dépression, délire, hallucinations…), 20% des céphalées.

Par ailleurs, 16% des patients ont eu un accident vasculaire cérébral (AVC) et 40% présentaient des encéphalopathies (confusions, troubles du comportement, crises d'épilepsie, etc.) en rapport avec une atteinte du système nerveux central. Beaucoup de patients qui sortaient de réanimation souffraient de confusions post-réveil, de complications liées à l'intubation, d’atteinte des nerfs périphériques en raison du positionnement adopté pendant les semaines de réanimation ou encore de complications psychiatriques liées directement ou indirectement au virus.

Avez-vous pu identifier les causes et les mécanismes d’action liés aux complications cérébrales et neuronales du virus ?

J.-C. C. : L'étude d'imagerie a montré que la plupart des lésions cérébrales n’étaient pas directement liées à l’atteinte du système nerveux par le virus (moins de 10%). Et chez les patients qui ont subi une ponction lombaire, nous n’avons pas retrouvé de trace du virus dans le liquide céphalo-rachidien qui baigne le cerveau et les nerfs.

Dans la majorité des cas, les causes de ces lésions cérébrales sont d’ordre vasculaire (type AVC), en raison notamment de la capacité du SARS-Cov-2 à former des caillots dans le sang, ou d’ordre systémique ou immunitaire : en réagissant contre le virus, le système immunitaire peut entrainer des complications à long terme de type neurologique. Il y avait finalement assez peu de complications directement liées à une atteinte du système nerveux par le virus lui-même, comme des encéphalites ou myélite.

Des travaux sont toujours en cours au niveau anatomopathologique pour mieux comprendre les mécanismes d’action du virus sur les différences cellules du tissu cérébral.  

Quel impact a eu la Covid-19 chez les patients qui souffraient déjà de maladies neurodégénératives ?

Nous avons constaté que, chez la plupart d’entre eux, l'infection au SARS-Cov-2 a eu tendance à aggraver leurs symptômes de façon transitoire et le plus souvent réversible. Beaucoup de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont eu des confusions ou des délires, et nombre de patients souffrant de la maladie de Parkinson présentaient une aggravation de leurs difficultés motrices. Mais, environ 15 jours après la fin de l'infection, ils revenaient, en général, à leur état antérieur, même si, malheureusement, chez certains l’infection a favorisé le franchissement d’un pallier dans l’évolution de leur maladie. Par ailleurs, la mortalité liée à l’infection était généralement plus importante chez les patients présentant des maladies neurologiques avancées.

Quelle prise en charge proposez-vous pour les complications neurologiques et psychiatriques provoquées par la Covid-19 ?

J.-C. C. : Les symptômes neurologiques que nous avons observés chez les patients répondent à des protocoles de rééducation classique et nous les avons pris en charge dans nos services. En revanche, nous connaissons encore très mal les complications à long terme sur le système nerveux : les patients peuvent être apathiques, fatigués, anxieux, avoir des difficultés cognitives, des maux de tête, des mouvements anormaux persistants des mois après l’infection, sans que l'on puisse observer de lésion neurologique.

Nous devons désormais suivre ces patients à plus long terme pour comprendre ce qui se passe et essayer de prévenir les complications.

Quelles sont vos perspectives de recherche liées aux conséquences neurologiques de la Covid-19 ?

Il est désormais clairement établi que l’infection au SARS-Cov-2 touche le système nerveux. La question reste maintenant de savoir si les lésions cérébrales provoquées par la maladie sont réversibles ou vont laisser des traces voire être le lit d'un processus neurodégénératif à plus long terme. Il est donc important qu’un travail épidémiologique soit mené pour savoir si les personnes infectées par le virus sont plus à risque de développer une maladie dégénérative par la suite.

Par ailleurs, nous avons lancé une étude nationale sur la réponse immunitaire et vaccinale face à la Covid des patients souffrant de sclérose en plaques traités par immunosuppresseurs. Les premiers résultats suggèrent qu’ils n’obtiennent pas une réponse immunitaire suffisante après une vaccination et sont donc plus à risque de développer des formes graves de la maladie.

Nous étudions également les formes neurologiques rares dans lesquelles l'infection du virus agit directement sur le système nerveux pour savoir si elles sont ou non liées à des facteurs génétiques particuliers.